Corruption, dommages environnementaux, coût démesuré... Au Monténégro, une autoroute déchire la montagne, franchit gorges et canyons mais pour l'heure ne mène nulle part. Et le chantier pharaonique à un milliard de dollars menace de faire dérailler l'économie du minuscule pays des Balkans.
Après six années de travaux, le petit village tranquille de Matesevo constitue le terminus improbable d’une route parmi les plus coûteuses au monde. En 2014, le Monténégro, pays candidat à l’Union européenne, a contracté un emprunt de 944 millions de dollars auprès d’une banque chinoise pour la réalisation par la compagnie chinoise CRBC d’un premier tronçon d’une quarantaine de kilomètres. « La construction est impressionnante et on ne doit pas s’arrêter là », dit Dragan, 67 ans, retraité à Matesevo. « Ce serait comme d’acheter une voiture coûteuse et la laisser au garage. »
La portion d’autoroute reliant Matesevo et la banlieue de Podgorida doit être inaugurée en novembre. Mais le pays de 600 000 habitants devra encore trouver plus d’un milliard d’euros pour réaliser les 130 kilomètres nécessaires à l’achèvement de l’ouvrage. Les adversaires du projet dénoncent aussi les dégâts sur l’environnement et la possible corruption autour d’un projet destiné à connecter vers le sud la ville de Bar, sur la côte Adriatique, et vers le nord la frontière serbe, puis in fine Belgrade.
Des ONG parlent de corruption
Le projet d’autoroute avait été lancé par le Parti des démocrates socialistes (DPS) du président Milo Djukanovic, passé dans l’opposition fin 2020 après trois décennies de règne. À l’époque, l’actuel ministre des Infrastructures Mladen Bojanovic avait ferraillé dur contre la route qualifiée d’aventureuse. Des ONG comme MANS parlent de corruption, déclarant que plus d’un tiers des entreprises monténégrines impliquées avaient partie liée au DPS. « Il n’y a pas eu d’appels d’offres public, les travaux ne sont pas transparents », selon Dejan Milovac, responsable de l’ONG. « Les décisions ont été prises à l’abri des regards et c’est que nous payons aujourd’hui. » Le gouvernement a promis d’enquêter.
CARTE : Autoroutes monténégrines – en rouge le projet d’autoroute Bar-Boljare
Les habitants du village, situé au bord de la rivière Tara, classée au patrimoine de l’Unesco, avec la gorge la plus profonde d’Europe, essayent de voir le bon côté des choses. « Pour nous, il y a des aspects positifs. Certains ont réussi à vendre leur terrain et à partir, ce qui était impossible avant » dans une région pauvre où l’émigration est élevée comme ailleurs dans les Balkans, déclare un villageois.
Désormais, les piliers géants de l’autoroute surélevée surplombent sa maison et la font ressembler à une maison de poupées. « J’ai réussi à vendre des légumes et des poulets aux ouvriers chinois », dit-il, assurant également que les tonnes de terre déversées par le chantier ont consolidé les rives de la Tara contre les inondations. Personne ne sait comment rembourser l’emprunt chinois, qui représente un cinquième de la dette étrangère monténégrine. La première échéance tombe en juillet dans un pays où le PNB s’élevait à moins de cinq milliards d’euros avant le coronavirus.
En cas de défaillance, une commission d’arbitrage à Pékin pourrait contraindre le Monténégro à céder la gestion d’infrastructures majeures. Pékin a été mis en cause ces dernières années pour avoir pris au « piège » de la dette des pays où il mène des infrastructures titanesques dans le cadre de ses nouvelles routes de la soie.
Les écologistes vent debout
contre les dégâts infligés à l’environnement
La Chine dément vouloir accroître son influence dans les Balkans par le biais de ses investissements.« Cette coopération est mutuellement bénéfique, c’est du gagnant-gagnant », assure l’ambassade de Chine au Monténégro. « En plaquant des étiquettes négatives sur les investissements chinois, c’est non seulement injuste pour la Chine mais aussi manquer de respect aux pays des Balkans. »
En attendant, le Monténégro est inquiet. « Si on ne trouve pas des sources de financement sur lesquelles s’appuyer, on aura des gros problèmes », déclare le ministre des Infrastructures Mladen Bojanic. « On aura à assumer un lourd fardeau. » Le gouvernement a lancé un SOS à Bruxelles, qui étudie « les moyens d’aider » mais « n’a pas vocation à rembourser des prêts contractés auprès de tiers », selon le commissaire à l’Elargissement Oliver Varhelyi.
Les écologistes sont vent debout contre les dommages infligés au lit de la Tara même si la CRBC s’est engagée à le remettre en état sur quelques centaines de mètres. La route vise à favoriser le tourisme et développer des régions pauvres en raccourcissant les trajets à travers des paysages somptueux mais accidentés. Aujourd’hui, le gouvernement reconnaît que les revenus escomptés par les péages ne suffiraient même pas à assurer la maintenance, estimée à 77 millions d’euros annuels. « Il faudrait au moins 22 000 ou 25 000 véhicules quotidiens pour rentabiliser l’autoroute », soit largement plus que le trafic attendu, explique Ivan Kekovic, un ingénieur qui s’est retiré du projet. Zelko Rajkovic, 55 ans, enseignant dans la station de ski de Kolasin, près de Matesevo, confirme. Prendre l’autoroute pour aller jusqu’à la capitale serait plus sûr et diviserait le temps de trajet par trois. Mais cela coûterait cher en péages. « Je prendrai la nouvelle route seulement s’il y a une grosse tempête ou une urgence. »
A SAVOIR
Le Monténégro est un pays des Balkans, en Europe du Sud.
Il est bordé par la mer Adriatique et frontalier de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Serbie, du Kosovo et de l’Albanie.
Sa population est de 600 000 habitants, dont 170 000 dans la capitale Podgorica.
Le pays a déposé sa candidature d’adhésion à l’Union européenne en 2008.
La monnaie est l’euro, non officielle mais utilisée de facto depuis 2002.
A LIRE
VIDEO Reportage Arte, « Le Monténégro sur la voie de la dépendance chinoise » (disponible jusqu’au 04/06/2024) : A VOIR ICI
Le 3 juin 2021 a marqué les quinze ans d’indépendance du Monténégro. Le pays de 620 000 habitants, candidat à l'UE, est en difficulté économique. Il doit rembourser un total de plus d'un milliard d'euros à ses créanciers chinois, notamment suite à un prêt accordé en 2014 pour mener à bien un vaste projet d'autoroute. Résultat, la dette publique a explosé avec la pandémie et la baisse du tourisme, le PIB a chuté et le nouveau gouvernement craint de se retrouver dépendant de la Chine et de devoir lui céder la propriété de certaines infrastructures.
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