Parmi les 56 blessés consécutifs au tir de missile russe sur un restaurant de Kramatorsk : Victoria Amelina. Cette jeune romancière ukrainienne de 37 ans, aujourd'hui "dans un état critique" (c'est à dire entre la vie et la mort) y dinait en compagnie de 3 personnalités colombiennes -dont le grand écrivain Héctor Abad Faciolince-, engagés dans une campagne de solidarité de l'Amérique latine pour l'Ukraine.
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Un nouveau tir de missile russe a frappé hier soir Kramatorsk, à l'est de l'Ukraine. Cette fois-ci, c’est un restaurant qui a été touché, particulièrement fréquenté à l’heure de la frappe. Ce matin, le bilan (encore provisoire) fait état de 9 morts (dont 3 enfants) et 56 blessés.
Parmi les blessés (légers), trois personnalités colombiennes : le célèbre écrivain Héctor Abad Faciolince (notamment auteur de L'oubli que nous serons et Trahisons de la mémoire, parus en français en 2010 et 2016 aux éditions Gallimard) ; Sergio Jaramillo, qui fut vice-ministre colombien de la Défense de 2010 à 2012, et que l’ex-président Santos avait nommé Haut commissaire à la paix, chargé de suivre entre 2012 et 2016 le processus de paix entre l’État colombien et la guérilla des FARC ; et la grande journaliste Catalina Gómez, spécialiste du Moyen-Orient, et actuellement correspondante du quotidien El Tiempo en Ukraine.
L'écrivain colombien Héctor Abad Faciolince (à gauche), et le diplomate Sergio Jaramillo (à droite),
légèrement blessés dans le restaurant touché par un tir de missile, le 27 juin à Kramatorsk.
En février dernier, Sergio Jaramillo avait affirmé, dans une émission du média losdanieles.com, la nécessaire solidarité de la Colombie avec l’Ukraine (ici, en espagnol : https://youtu.be/1gOuM4pziro).
Sergio Jaramillo et Héctor Abad Faciolince étaient précisément en Ukraine pour « exprimer au peuple ukrainien la solidarité de l’Amérique Latine contre la barbarie et l’invasion illégale menée par la Russie », au nom de la campagne "Aguanta Ucrania" (Tins bon Ukraine), une initiative indépendante née en février dernier de la société civile latino-américaine. (sur Twitter : https://twitter.com/AguantaUcrania) Quand certains dirigeants d'Amérique latine (sans surprise, le dictateur nicaraguayen Daniel Ortega, le Venézuélien Nicolas Maduro, mais aussi le président brésilien Lula au Brésil) font preuve d'une complice "mansuétude" (pour ne pas dire plus) vis-à-vis du despote du Kremin, cette initiative est tout sauf anodine.
La romancière Victoria Amelina, entre la vie et la mort
Victoria Amelina (depuis son compte Twitter, https://twitter.com/vamelina)
Hier soir, Sergio Jaramillo, Héctor Abad Faciolince et Catalina Gómez dinaient en compagnie de la jeune romancière ukrainienne Vicoria Amelina. Cette -ci a été beaucoup plus grièvement blessée, comme l'a relaté Héctor Abad Faciolince sur son compte Instagram : « Victoria, Sergio Jaramillo, Catalina Gómez et moi-même étions en train de discuter. Nous venions de commander des pizzas et nous plaisantions sur la loi sèche qui ne nous autorisait qu'à commander de la bière sans alcool. Victoria était en train de déguster sa bière zéro lorsque les envahisseurs de Poutine ont lancé le missile. Je suis tombée par terre comme frappée par la foudre. Tout s'est mis à bouger au ralenti. Lorsque je me suis relevé, Victoria était assise, très pâle, les yeux fermés et parfaitement immobile. Elle n'avait pas l'air blessée, mais elle ne réagissait pas non plus. Elle a finalement été emmenée dans une ambulance. Elle souffre d'un grave traumatisme crânien. Elle est entre la vie et la mort après avoir été opérée à l'hôpital 3 de Krematorsk. »
Membre du PEN Club depuis 2018, Victoria Amelina est auteure de plusieurs romans dont certains ont été traduits en anglais et allemand (mais à ce jour, aucun en français). En 2021, elle a été lauréate du prix littéraire Joseph Konrad Koźniewski, décerné par l'Institut polonais de Kyiv, qui écrivait à cette occasion : « La prose de Victoria Amelina est un excellent exemple d'analyse approfondie des traumatismes individuels et nationaux. L'auteure est l'une des rares dans le processus littéraire contemporain à dépeindre l'impact des cataclysmes collectifs sur la conscience des contemporains et des témoins oculaires (comme la Révolution de la dignité dans le roman Le syndrome de novembre, "Синдром листопаду, або Homo Compatiens", 2014) et l'écho générationnel des tragédies passées (souvenirs traumatisants de l'Holodomor dans le roman "Дім для дома", 2017).
En février dernier, Victoria Amelina avait été invitée lors d'un festival littéraire à Carthagène, en Colombie, alors qu'était lancée la campagne "Aguanta Ucrania". C'est à cette occasion qu'elle avait rencontré Héctor Abad Faciolince et Sergio Jaramillo.
Ces derniers jours, Victoria Amelina participait à un festival de littérature à Kyiv. Elle y a fait part d'un travail en cours sur l'écrivain et activiste Volodymyr Vakulenko :
« Depuis 2022, j'aide à documenter les crimes de guerre. Ils sont si nombreux sur le territoire ukrainien qu'aucun service de police ne peut y faire face seul. C'est pourquoi la société civile apporte son aide.
Lorsque les forces armées ukrainiennes ont libéré le district d'Izioum en septembre 2022, j'ai participé, avec l'ONG Truth Hounds, à la première mission de recherche sur le terrain visant à recueillir des preuves de crimes de guerre. En tant qu'écrivain et membre de PEN Ukraine, je savais déjà que Volodymyr Vakulenko avait été enlevé par les occupants dans sa maison près d'Izioum. Nous savions qu'il avait disparu.
Dès la libération d'Izioum, j'ai voulu partir à la recherche de Volodymyr. Nous sommes allés voir ses parents et avons appris comment les choses s'étaient passées. Puis nous avons commencé à le chercher ou à chercher des réponses à la question "que lui est-il arrivé ? En discutant avec le père de Volodymyr, nous avons commencé à parler de ses livres et du genre d'écrivain qu'il était. C'est alors que le père de Volodymyr a mentionné que son fils avait tenu un journal pendant l'occupation. La veille de son arrestation, il l'avait caché dans le jardin, sous un cerisier. C'est ainsi que nous avons trouvé ce journal. Sous le cerisier.
Le journal est petit. Volodymyr l'a écrit depuis le début de l'occupation. Bien qu'il écrive également sur le début de la guerre, le journal se termine le 21 mars 2022, Journée internationale de la poésie. Volodymyr l'enterre dans le jardin le 23 mars. Le 22 mars, les occupants lui rendent visite pour la première fois. Ils l'ont emmené avec son petit garçon. Mais ils l'ont laissé partir. Le 24, ils sont venus le chercher pour la deuxième fois. Ils n'ont pris que lui. Plus tard, le corps de Volodymyr a été retrouvé sur le bord de la route pendant l'occupation, et personne ne l'a su. Pour nous, il a été retrouvé dans une fosse commune dans la forêt d'Izioum, dans la tombe numéro 319. (...) La chose la plus importante dans ce journal est la dernière phrase. Elle dit qu'il voit des grues dans le ciel et qu'il entend dans leur "kurly" "Tout se passera en Ukraine. Je crois en la victoire". Ce sont les mots qui mettent fin à sa vie dans ce journal. »
(Lire sur France info, le 9/12/2022)
Sur la tombe de l'écrivain Volodymyr Vakulenko, à Izioum. Photo Guillaume Herbaut / "Le Monde"
Avant d'être frappée par les éclats du missile russe sur Kramatorsk, Victoria Amelina avait tenu à conduire Sergio Jaramillo et Héctor Abad Faciolince sur le site où Volodymyr Vakulenko a enterré ses journaux intimes peu avant d'être arrêté, torturé et tué par les envahisseurs russes.
Après le tir de missile sur le restaurant où il dinait en sa compagnie, Héctor Abad Faciolince écrit : « Ceux d'entre nous qui ont survécu sont éveillés, espérant que si nous ne nous endormons pas, Victoria se réveillera aussi de ce cauchemar et de l'enfer que l'armée russe a créé sur la belle terre d'Ukraine. »
Jean-Marc Adolphe
Photo en tête d'article : Les restes du restaurant de Kramatorsk détruit par un missile russe dans l’est de l’Ukraine, le 27 juin 2023. Photo Genya Savilov / AFP
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Merci de m'avoir fait connaître cette remarquable écrivaine! Ainsi que l'étroite collaboration de la Colombie avec l'Ukraine en ses temps si horribles, cauchemardesques...