First cow, film de Kelly Reichardt (2010)
Alors que son nouveau film, First Cow, sort en salles le 20 octobre, la réalisatrice américaine Kelly Reichardt fait l’objet d’une rétrospective intégrale au Centre Pompidou, qui s’ouvre en sa présence ce 14 octobre.
Sur les terres encore sauvages de l’Oregon du début du XIXe siècle, un humble cuisinier et un immigré chinois se lient d’amitié et s’associent pour monter un modeste commerce de beignets à destination des trappeurs qui sillonnent le coin. Si leurs beignets font fureur, c’est qu’ils ont un secret de fabrication : la nuit, clandestinement, ils tirent le lait de la première vache introduite sur le territoire américain, propriété exclusive d’un notable du coin. Telle est la base scénaristique de First Cow, une trame à partir de laquelle la caméra de Kelly Reichardt tisse sa toile, dans la patience des détails (une main qui saisit des champignons lors d’une cueillette, l’épaisseur de la mousse dans laquelle les pieds s’enfoncent, un curieux lézard que l’on retourne délicatement…) comme dans l’humanité qu’elle fait surgir chez ses protagonistes, en marge du système économique conquérant et dominant.
First Cow, bande annonce
Remarqué en février 2020 à la Berlinale, First Cow a vu sa distribution entravée par l’arrivée du Covid. Un coup dur, évidemment. Mais Kelly Reichardt a pris l’habitude de donner du temps au temps. Loin de la machine à produire hollywoodienne, cette réalisatrice a signé sept longs-métrages en vingt-six ans. Son premier film, River of Grass, en 1994, avait pourtant d’emblée retenu l’attention du Festival du film de Sundance, qui lui accorda son grand prix. Il lui a fallu attendre douze ans pour réaliser son second long-métrage, Old Joy en 2006.
Pour Le Monde, les films de Kelly Reichardt sont politiques, « de la plus belle des façons : par l’exemple, le respect accordé aux figures humaines, leur appréhension du territoire, leur souci de l’histoire, les relations étroites qu’ils tissent avec leur environnement. (…) Le cinéma de Reichardt interroge les façons d’habiter ou d’arpenter une Amérique désertée par ses mythes fondateurs et confrontée à l’épuisement de ses récits providentiels. »
Kelly Reichardt sur le tournage de « Wendy et Lucy » en 2008 © Field Guide Films, Filmscience
« Ce qui frappe, en regardant ses films », ajoute Jean-Michel Frodon sur Slate, « c'est surtout leur côté «organique», la manière dont chacun semble se développer selon une logique intérieure, aussi impérative que délicate. (…) Les mots sont souvent pour elle un moindre enjeu que les gestes et les espaces. (…) Elle inscrit chaque long-métrage dans un territoire géographique qui joue un rôle décisif dans le récit. Il s'agit toujours d'y circuler, de l'occuper physiquement. Elle aime laisser advenir les événements, fussent-ils minuscules, dans la durée du plan. (…) Kelly Reichardt est aussi la cinéaste au monde, en tout cas du monde occidental, dont la mise en scène est la plus intimement et puissamment travaillée par une pensée du vivant qui ne se réduit pas aux êtres humains. (…) Sa manière de filmer la continuité entre les ordres naturels est une proposition essentielle. (…) Si le terme «écoféministe» n'existait pas, il faudrait l'inventer pour elle. Entre son refus des dispositifs de domination modélisés par le patriarcat et sa manière de remettre en question l'anthropocentrisme conquérant et dominateur, la continuité est légitime et dynamique. »
Kelly Reichardt, « le geste comme geste politique »
« Le cinéma américain adore les héros. Si vous faites un western américain depuis n’importe quel point de vue autre que celui de l’homme blanc, on l’interprète comme une déclaration politique. C’est étrange, parce que le postulat de départ du western, c’est précisément la découverte d’un nouveau territoire, où les règles ne sont pas encore fixées, où l’organisation du pouvoir n’est pas établie – c’est la création d’un nouveau monde. Mais dans les faits, ça devient une expansion de l’ancien monde. Le rythme, s’il est plus lent, est également considéré comme un geste politique...
Parce qu’il va à l’encontre du rythme de nos sociétés de consommation et de divertissement. Le monde de l’Internet ne nous incite pas à regarder quoi que ce soit de trop près ni trop longtemps. Le simple fait de résister à cette imposition de la vitesse au film donne le sentiment de travailler contre un système qui voudrait vous faire faire autre chose. Mais je n’ai jamais rien créé dans le but d’envoyer un quelconque message. J’aime me concentrer sur les personnages et sur l’histoire. Aller plus lentement, c’est mon rythme naturel. »
Rétrospective Kelly Reichardt au Centre Pompidou, à Paris, du 14 au 24 octobre. ICI
First Cow, en salles à partir du 20 octobre
A lire : Judith Revault d’Allones, Kelly Reichardt, L’Amérique retraversée, coédition De l’incidence / Centre Pompidou, 224 pages, 18 €.
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