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Joint français et réveil breton


Cette photo d’un reporter de Ouest-France, reprise par Paris Match, montrant face à face

un manifestant et un CRS, va illustrer le conflit (lire en fin d’article).


C’était il y a tout juste 50 ans. A Saint-Brieuc, en février 1972, les ouvriers du Joint Français débrayent pour obtenir le même niveau de salaire que les Parisiens. Un conflit victorieux qui fut emblématique du réveil social breton.


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MÉMOIRE DES LUTTES À une époque où l’État décidait des implantations d’usine, dans le cadre d’une politique de décentralisation, le Joint français inaugure en 1962 une usine dans une Bretagne peu industrialisée.

Ces usines « s’installent en Bretagne parce que les dirigeants se disent On va avoir à faire à une main-d’œuvre docile, en tout cas plus docile qu’en région parisienne, qu’on va pouvoir payer peu cher car ce n’est pas le même niveau de vie, avec une production à moindre coût », explique l’historien Vincent Porhel, auteur d’ Ouvriers bretons (Presses universitaires de Rennes).

Après une série de débrayages dans les ateliers produisant des joints de tous calibres, jusqu’à 15 tonnes pour l’industrie automobile et aéronautique, les ouvriers, dont beaucoup de femmes, votent la grève générale et l’occupation de l’usine. Ils réclament une augmentation de salaire de 70 centimes par heure.

Au nom de la liberté de travail, le préfet, sur instruction du ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin, ordonne aux gardes mobiles de déloger les grévistes. Ainsi, « de facto, il y a une caserne au milieu de la ville de Saint-Brieuc », note Vincent Porhel.


« Il va y avoir la conjonction des revendications sociales et économiques avec

une revendication identitaire bretonne régionaliste » (Christian Bougeard, historien)


La direction du Joint Français, filiale de la Confédération générale de l’électricité (CGE) –l’un des plus grands groupes industriels de l’époque–, fait la sourde oreille aux revendications des grévistes de Saint-Brieuc (Côtes d’Armor), alors qu’ils sont payés 30 % de moins que leurs collègues du Val-d’Oise à fonction égale, leur donnant l’impression d’être « méprisés » par Paris.

« Il va y avoir une conjonction des revendications sociales et économiques classiques avec une revendication identitaire bretonne régionaliste », souligne l’historien Christian Bougeard, qui a publié Les années 68 en Bretagne.

Peu à peu, les comités de soutien fleurissent : les paysans apportent œufs, artichauts et choux-fleurs, les prêtres participent à des collectes tandis que la mairie PSU (Parti socialiste unifié) soutient le mouvement.


« On ne travaillera pas avec le fusil dans le dos »


Les ouvriers de Saint-Brieuc reçoivent aussi l’appui de nombreux chanteurs, dont Claude Nougaro et Gilles Servat.

« Quand je chantais en breton, je me faisais engueuler par les gens de gauche », qui assimilaient les militants de la cause bretonne aux collaborationnistes de l’Occupation, se souvient Gilles Servat. « La grève du Joint Français a changé beaucoup de choses sur la perception de la culture bretonne », estime le chanteur de La Blanche hermine.

Ainsi, le 18 avril, de 15.000 à 18.000 personnes, dont des trotskistes et des maoïstes venus de Paris, défilent à Saint-Brieuc, où l’on voit le Gwenn ha du (nom du drapeau breton) non loin de la bannière rouge, avec des protestataires scandant « On ne travaillera pas avec le fusil dans le dos » pour dénoncer les CRS dans l’usine.

Deux autres événements contribuent à médiatiser le conflit : pendant une nuit, des grévistes vont « séquestrer » – certains grévistes préférant la périphrase de « maintien en condition de négociation » – des membres de la direction à l’inspection du travail. Et la photo d’un reporter de Ouest-France, reprise par Paris Match, montrant face à face un manifestant au visage enragé et un CRS, qui étaient en réalité deux amis d’enfance, va illustrer le conflit.

Toute une région vibre et se mobilise pour le Joint Français alors que la radio et la télévision nationales évoquent la grève les 1er et le 2 mai. À Paris, le 1er mai, des grévistes ont symboliquement pris la tête du cortège de l’extrême gauche.

Le 3 mai, des manifestations se déroulent à Saint-Brieuc, Vannes, Lorient et Quimper. Le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas décide alors d’en finir : au ministère du Travail, des négociations se déroulent le 29 avril, puis le 5 mai, aboutissant à un protocole d’accord le 6 mai.

Après huit semaines de grève, la direction se sentant acculée concède une augmentation de 65 centimes du salaire horaire.

À l’issue de cette grève victorieuse, la caisse de soutien a permis de verser 1.110 francs à chaque gréviste.


Colloque pour le cinquantenaire


Elisabeth Renault, directrice du musée d'Art et d'Histoire de Saint-Brieuc.

Photo Philippe Erard / Bretagne magazine.


« C’est une grève victorieuse, d’autres conflits qui vont éclater par la suite vont prendre comme modèle le Joint Français », note Vincent Porhel.

En Bretagne, « le véritable Mai-68 est le Joint français », soutient Élisabeth Renault, directrice du musée de Saint-Brieuc, où auront lieu colloque et exposition sur cet événement de la France pompidolienne, en mai 2022, pour en souligner le cinquantenaire (A lire ICI et appel à communications).

L’importance de la grève du Joint Français à Saint-Brieuc tient au fait qu’outre une lutte pour plus de justice sociale et salariale dans une période riche en conflits, elle s’est transformée en combat de toute une région pour sa dignité, son identité, sa langue et sa culture.

Après le choc pétrolier de 1973-1974, les grèves et leur écho médiatique vont s’essouffler dans la péninsule armoricaine.

Les grandes mobilisations changeront de cadre, comme lors de la lutte contre l’implantation d’une centrale nucléaire à Plogoff (1978-81) ou après la marée noire provoquée par l’Amoco Cadiz en 1978.


L’histoire d’une photo

Le 6 avril 1972, les CRS reçoivent l’ordre de libérer l’usine occupée par les salariés du Joint Français à Saint-Brieuc. L'ajusteur Guy Burniaux se retrouve face à Jean-Yvon Antignac, son ami d’enfance devenu CRS : « Y'avait les CRS d'un côté et nous de l'autre, c'est là que j'ai reconnu mon copain d'école. Je l'ai "croché" et je lui ai dit tape moi dessus puisque tu es là pour ça. Il avait sa matraque, il m'a dit, non, je ne vais pas te frapper ! ». La scène est immortalisée par Jacques Gourmelen, photographe du quotidien Ouest France. Le lendemain, la photo se retrouve en couverture de Paris-Match. Leur histoire a donné lieu à un film de Christophe Cordier : « Frères de classe » (Disponible sur Vimeo https://vimeo.com/158933061 ).


Le Joint français

Bénéficiant de fortes aides de l’État et de la ville (zone industrielle aménagée, prix du terrain symbolique), l’usine du Joint Français, qui fabrique des joints de caoutchouc et appartient au grand groupe industriel La Compagnie générale d’électricité (CGE), est venue s’installer à Saint-Brieuc en 1962. Employant une main-d’œuvre jeune, peu qualifiée, essentiellement ouvrière (OS) et féminine (64 %), l’entreprise passe de 211 salariés en 1963 à 579 en 1967 et à 1.031 à son apogée en 1970.


VIDEOS

« Si d’un seul coup disparaissaient les joints, la vie deviendrait impossible ». 8 decembre 1966 Après une présentation sommaire de l'utilisation des joints en caoutchouc dans l'industrie et dans les foyers, ce sujet, consacré à l'entreprise le Joint Français, présente la production, les techniques de fabrication des joints sur le site de Bezons en Région parisienne, mais aussi sur le site de la nouvelle usine de Saint Brieuc. La caméra s'attarde particulièrement sur le travail et le cadre de vie des ouvriers et des ouvrières de l'usine de Saint Brieuc. Images d'archive INA Institut National de l'Audiovisuel.

Et aussi : Journal télévisé de 20 h, le 2 mai 1972.


Le mois de mai breton est agité et sème des graines de colère qui vont très vite germer. « Au Joint Français, les ouvriers bretons disent merde aux patrons. » Le ton est donné. En 1972, à Saint-Brieuc, débute la grève du Joint Français. Un reportage de S. Breton, T. Bouilly, D. Dallemagne, B. Thibaut / avec Christian Bougeard, Guy Burniaux, Patrick Burniaux pour France 3 Bretagne.


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