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Jazz végétal, émancipation et LSD

"Delonix regia", alias "Poinciana", alias "le Flamboyant".


Ce 16 avril 2025 à Washington, Taj Mahal ne célébrera pas the Emancipation Day : il a lâché l'affaire voici deux ans. Donald T, lui, ne lâche pas l'affaire, mais c'est le business de l'asservissement plutôt que de l'émancipation. Avant-hier, la contre-culture hippie était sous LSD ; alors que là, l'absence de culture qui règne à la Maison Blanche (vraiment très blanche) se dope plutôt à la kétamine, laissant le fentanyl aux pauvres. A-t-on gagné au change ? Qu'en dirait-filmerait aujourd'hui Charlie Chaplin avec l'aide de Sydney ? Une lueur d'espérance, quand même : restons flamboyants. Nous sommes plus nombreux.


Est-ce que le monde va ? Il va.

Est-ce qu'il va bien ? C'est une autre paire de manches.

Ils sont un certain nombre, sur cette planète, à activement s'activer pour que ça aille de mal en pis.

On ne va pas en dresser la liste : vous la connaissez.

Peut-être suffirait-il de se dire, pour commencer, que nous sommes plus nombreux.

Dans toutes les langues que l'on voudra bien inventer :

We are more in number / Somos más / Нас стало більше / Bizden daha çok var / Siamo più numerosi / Είμαστε περισσότεροι από εμάς / Jest nas więcej / 私たちはより多い / Somos mais numerosos / Wir sind mehr / هناك المزيد منا / Mūsu ir vairāk / Ada lebih banyak dari kita / etc.


Jean-Marc Adolphe, 15/04/2025, 22 h 49


 Ephémérides


Il y a deux ans, c’était hier, le 16 avril 2023, à 92 ans, Frederick Russell Jones lâchait l’affaire. Il avait pas mal donné. Miles Davis le considérait comme un modèle. Keith Jarrett, pareil. Mais si le nom de Frederick Russell Jones ne vous dit rien, c’est à peu près normal. A partir de 1952, converti à l’islam, il se fit appeler Ahmad Jamal. A sa mort, Francis Marmande écrivait dans Le Monde : « On l’aimait d’un amour spécial, tant il l’était, dans son phrasé, son swing, ses deux mains parfaitement égales, sa silhouette juvénile, son sourire éclatant, et sa manière unique d’enchanter ses trios ou quartettes. (…) Il aime les musiciens qui bougent en scène, et finira par se fixer sur des batteurs natifs de La Nouvelle-Orléans, en Louisiane : « Leur style, leur tempo, leurs roulements, tout vient de leur histoire, des “marching bands”, de leur mémoire et de leur pratique. »


Ahmad Jamal, à New York, en septembre 1959. Archive photo CBS


« J’étais un ange parmi les diables », confiait de son côté Ahmad Jamal : « les boppers faisaient exploser les notes. Moi, je les laissais résonner jusqu’au bout de leur vie. » Pour ça, il faut être sacrément artiste, non ?


L’un des morceaux les plus célèbres de Ahmad Jamal, enregistré avec Israel Crosby (contrebasse) et Vernel Fournier (batterie) lors d’un concert au Pershing Lounge de Chicago en 1958 (l’année de naissance de notre rédacteur en chef, qui n’est dont plus si jeune mais pas encore si vieux), c’est Poinciana. Du jazz végétal, en quelque sorte : Poinciana est une chanson composée en 1936 par Nat Simon et Buddy Bernier, qui puise ses racines dans une chanson folklorique cubaine intitulée La Canción del Árbol ("la Chanson de l'arbre"), inspirée par un arbre tropical ornemental, aujourd’hui connu sous le nom scientifique Delonix regia, mais qui portait autrefois le nom de Poinciana regia, baptisé ainsi en l’hommage de Philippe de Longvilliers de Poincy, un gouverneur français du XVIIe siècle (en français, cet arbre est appelé "flamboyant" ou "flamboyant royal". Il est originaire de Madagascar et est célèbre pour sa spectaculaire floraison rouge écarlate et sa large couronne en forme de parasol).


Avant Ahmed Jamal, malgré certaines interprétations (notamment celle de l’orchestre de Duke Ellington), ce morceau était peu connu dans le jazz. Le concert de Chicago, en 1958, donnera naissance à l’album At the Pershing: But Not for Me, qui restera 108 semaines dans les charts et deviendra un immense succès commercial. Ahmed Jamal a lui-même a souligné que ce titre avait changé sa vie, lui permettant de vivre de sa musique pendant des décennies et d’ouvrir son propre club à Chicago.


Journée de l'émancipation


Si Ahmad Jamal était encore de ce monde, contre Trump et vicissitudes, il n'aurait pas manqué de célébrer, ce 15 avril, the Emancipation Day (journée de l'émancipation) commémorant aux Etats-Unis le décret libérant les esclaves du district de Columbia, que signa Abraham Lincoln en 1862. A Washington, c'est un jour férié, mais à la Maison Blanche aucune cérémonie particulière n'est prévue. Donald Trump a un mot d'excuse : il a golf.


On se moque de Donald Trump, c'est fastoche. Ceci dit, plus grand monde en France n'utilise ce mot d'émancipation, issu du latin juridique emancipatio, dérivé du verbe emancipare qui signifiait « affranchir de l’autorité paternelle » ou « affranchir un esclave du droit de vente ». Le verbe latin emancipare est lui-même composé de e- (préfixe privatif, indiquant la sortie ou la séparation) et de mancipare ("prendre par la main"), ce dernier venant de manus ("main") et capere ("prendre")...


En d'autres termes (les mêmes) : pour s'émanciper, quand est-ce qu'on reprend la main ?


Sydney et Charlie Chaplin dans "Pay Day" (1912).


Un Chaplin peut en cacher un autre


Entre eux, c'était comme qui dirait à la vie à la mort. D'ailleurs, Sydney n'a choisi par hasard la date du 16 avril pour mourir (en 1965) : c'était la date de naissance (16 avril 1889) de son petit frère, Charlie. Chaplin, évidemment.

Sydney avait pris les devants dans la vie, il fit de même sur les planches puis au cinéma. Après avoir un temps bourlingué en mer (comme steward), Sydney Chaplin s'est mis à faire l'acteur. En juillet 1906, il décroche un contrat avec les Speechless Comedians de Fred Karno, l'une des troupes de divertissement les plus célèbres et les plus prospères d'Angleterre. Fred Karno est considéré comme l’un des plus grands innovateurs du music-hall britannique et le « père du slapstick » moderne. Pour contourner la censure qui interdisait les dialogues sur scène, il inventa des sketchs entièrement visuels, qui ont préfiguré le cinéma muet : ses spectacles comme Jail Birds (1895) ou Early Birds (1899) sont des précurseurs du burlesque à l’écran.


Au sein de la troupe de Karno, Sydney Chaplin rencontre un vif succès, au point d'un devenir le comédien principal. Fred Karno ne pouvait guère lui refuser d'engager son jeune frère, Charlie. Et c'est dans les bagages de la companie de Fred Karno que Charlie Chaplin débarque aux Etats-Unis, à la fin de l’année 1913. Remarqué par Mack Sennett, le fondateur de la Keystone Comedy Company à Hollywoodn qui l'engage, Charlie Chaplin tourne en 1914 son premier film, Pour gagner sa vie ("Making a Living"), qui voit naitre le personnage de Charlot. Déjà à l'époque, pour gagner sa vie, le cinéma, c'est pas mal (d'autant qu'avec l’essor du cinéma, le music-hall décline : Karno fait faillite en 1927). Sydney rejoint Charlie aux States, et joue des rôles secondaires dans cinq films réalisés par Charlie, avant de devenir en 1918 directeur des Charles Chaplin Productions, se consacrant dès lors quasiment exclusivement à la gestion de la carrière de son frère aîné. Homme d'affaires (avec un pilote, Emory Herman Rogers Jr., il a a lancé en 1919 la première compagnie aérienne américaine privée, la Syd Chaplin Airline Company), Sydney Chaplin s'est révélé meilleur imprésario que comédien. Pour être un bon imprésario, peut-être n'est-il pas inutile d'avoir quelques talents de comédien...


En 1940, Charlie Chaplin réalise et interprète son premier film parlant, Le Dictateur (titre original : "The Great Dictator"). On peut à bon droit se demander quel film il pourrait faire aujourd'hui sur Donald T.


Par ordre de disparition


A chaque jour suffit sa peine. On a bien conscience qu'il eut fallu, ce 16 avril, rendre hommage (par ordre de disparition) à l'écrivain, philosophe, journaliste et militant politique péruvien José Carlos Mariátegui, marxiste et pionnier de l'indigénisme (mort le 16 avril 1930), à Roland Topor (16 avril 1997), ainsi qu'à l'écrivan chilien Luis Sepúlveda (16 avril 2020) ; ou encore, à la mort à la vie, célébrer les naissances respectives du chorégraphe Merce Cunningham (16 avril 1919) et du fantasque Bobby Lapointe (16 avril 1922). On garde des réserves pour les années à venir.


Sous LSD

Autre naissance à saluer, ce jour : celle du LSD, le 16 avril 1943...


Le réchauffement climatique inventé par les Chinois, des Haïtiens qui mangent les chats et les chiens de leurs voisins, Barak Obama fondateur de Daesh, « si je n’étais pas son père… » à propos de sa fille Ivanka, jusqu’à cette étonnante appréciation à l’endroit d’Emmanuel Macron : « Il adore me prendre la main ». Et si Trump était sous acide(s) ? A very bad trip !


Donald Trump sous LSD. ? Image issue de bloomberg.com, animation à retrouver ICI


Quoique la passion pour les substances psychotropes de son entourage ne soit pas un mystère, cf Elon Musk et la kétamine et comme l’expliquait Libération dans un article paru le 6 avril dernier, on peut désespérer de voir un jour le président halluciné des États-Unis enfourcher une paire de lunettes psychédéliques sous l’un de ses innombrables casquettes MAGA, tout comme de le voir un jour adopter la politique qui irait avec : quel abîme le sépare de cet hymne à la joie libertaire que fut le mouvement hippie, avec sa contestation surréaliste des conventions sociales, sa farouche opposition à la guerre du Vietnam et ses allègres dégringolades au LSD, cette drogue découverte il y a tout juste 82 ans.


C’est en effet une semaine d’anniversaires pour la contre-culture des Sixties. Le 16 avril 1943, Albert Hofmann, chimiste pour la firme Sandoz (aujourd’hui Novartis) se touchait les yeux dans son laboratoire de Bâle, alors qu’il était penché sur un échantillon d’un champignon de seigle. Intrigué par les sensations étranges qui s’en suivirent, il décida trois jours plus tard de tester la substance qu’il venait d’isoler, le diéthylamide de l’acide lysergique. Il en ingurgita donc 0,25 grammes, une dose qu’il croyait infime, mais qui ne l'était pas tant que ça. Il venait de découvrir là les "vertus" d'un composant contenu dans l'ergot de seigle que les anciens connaissaient bien, qui provquait des troubles dénommés « mal des Ardents » ou encore « feu de Saint-Antoine ». Ce jour-là, Albert Hofmann sauta sur son vélo pour rentrer à la maison, et ce fut... le premier trip de l’histoire que le mouvement psychédélique américain célèbre, chaque année, le 19 avril : The Bycicle Day. Commercialisé à partir de 1947 en milieu psychiatrique sous le nom de Delyside - il provoque des états altérés de conscience qu’on estime bénéfiques dans le traitement des maladies mentales - le LSD commence à se diffuser, dans le cadre de la psychothérapie, au milieu des années 1950. Alors que la CIA s’intéresse à ses possibles applications militaires, le LSD fait sa route dans la société américaine, jusqu’à croiser, en 1961, celle de Timothy Leary. L’excentrique psychologue destiné à devenir un précurseur de la contre-culture était tellement fasciné par les effets de cette drogue sur la conscience humaine qu’il se fit virer comme un malpropre de Harvard, où il enseignait, après l’avoir utilisée avec ses étudiants lors de séances expérimentales.


Le bus Furthur et les Marry Pranksters en 1964


« Ouvrir les portes de la perception », « atteindre un état de conscience cosmique », mais aussi laisser libre cours à l’imagination et explorer des nouvelles voies de la création artistique devinrent les idéaux instigateurs d’une consommation massive, à un moment où sa nocivité n’était pas encore connue. Il faudra attendre le milieu des années 1960 pour que le LSD soit interdit par certains États américains - notamment la Californie, en 1966 – et 1971 pour que l’ONU le classe définitivement parmi les drogues proscrites. À temps pour que Ken Kesey, l’auteur de Vol au-dessus d'un nid de coucou, et ses Marry Prankster (les Joyaux Lurons) entreprennent leur traversée épique - et très acide - de l’Amérique, à bord d’un bus scolaire peint en mille couleurs, "The Furthur", truffé de LSD et envie de liberté, avec la Beat Generation à la conduite en la personne de Neal Cassidy. Leur Acid Tests, sorte de fêtes foraines décalées pendant lesquelles ils distribuaient de la drogue aux locaux entre danses, théâtre improvisé, musique, ont marqué à jamais la culture américaine. On raconte que, arrivés à Phoenix au milieu d’une campagne électorale, Kesey et son groupe peignèrent sur les fenêtres du bus le slogan « A VOTE FOR BARRY [l’un des candidats] IS A VOTE FOR FUN » juste avant de traverser le centre-ville à reculons...


C'était une autre époque. On ne va pas dire que tout était forcément mieux avant, mais aujourd'hui, entre fentanyl pour les pauvres et kétamine pour les junkies de la vallée siliconée et autres excités de la facho-tech, il n'est pas certain qu'on ait gagné au change.


Un ordinateur 704 chez IBM en 1957. Photo Eclair mondial / SIPA


Et le dieu ordinateur dans tout ça ?


Il y a tout juste 70 ans, le 16 avril 1955, Jacques Perret, professeur de philologie, à qui IBM avait demandé de trouver un équivalent français au "computer", sortait de son chapeeau le mot "ordinateur". Jacques Perret (1906-1992), qui n'a aucun lien de parenté avec cet autre inventeur de mots qu'est Pierre Perret, était un latiniste et théologien catholique français, professeur à la Faculté des lettres de Paris entre 1948 et 1971. Il décrivit le mot "ordinateur" comme « correctement formé » et dérivé du vocabulaire théologique. Selon le Littré, ce terme désignait « Dieu qui met de l’ordre dans le monde ». Il reflétait ainsi l'idée de "mise en ordre", parfaitement adaptée à la fonction des machines informatiques.


Aux humanités, comme déjà dit, l'ordinateur qui sert à éditer ces chroniques commence à se faire quelque peu poussif, à force de le pousser dans ses retranchements. Le remplacer devient plus qu'urgent, faute de quoi on devra demander au Saint-Esprit de mettre en ligne, et là, on ne garantit pas le résultat. Comme on n'est pas trop adeptes du culte du veau d'or, les kopecks manquaient à l'appel, même en étant roublards. Par exemple, on n'a pas les moyens de se payer kétamine ou LSD (c'est sans doute mieux pour la santé) ; les seules drogues que l'on consomme sont absolument gratuites : dopamine et peu de sommeil. les humanités, c'est comme une start-up qui aurait encore du mal à starter. Souscription-collecte fut donc lancée pour remplacer le matériel défaillant. Bonne nouvelle : s'il manque encore un chouïa pour joindre les deux câbles, on y est presque. Merci aux premiers souscripteurs et souscriptrices : on tient le bon bout ! Dans l'espoir de contribuer à résoudre le "conflit israélo-palestinien", on pourrait dire simultanément Inch'allah et Mazel tov. Quioiqu'on soit plus agnostiques sur les bords.


Jean-Marc Adolphe, Nadia Mével, Anna Never

 

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