Jack Kerouac. Photo Jerry Yulsman
S’il n’était mort en octobre 1969, Jack Kerouac aurait 100 ans ce 12 mars 2022. Petit hommage-voyage, en mots, en sons et en images.
Cet article vous est offert par la rédaction des humanités, média alter-actif. Pour persévérer, explorer, aller voir plus loin, raconter, votre soutien est très précieux. Abonnements ou souscriptions ICI
« J'ai réalisé que soit j'étais fou, soit le monde était fou ;
et j'ai choisi le monde. Et bien sûr, j'avais raison. »
(Jack Kerouac, Vanité de Duluoz)
Lowell, Massachusetts, 12 mars 1922. Tiens, ça fait 100 ans tout juste. Ce 12 mars 1922 naissait, dans une famille de souche franco-québécoise, mister Jack Kerouac. Le début d’un long voyage, par les voies les plus buissonnières d’une poésie sans limites. Au début, petit Jack parle le joual, un sociolecte issu du parler quotidien des navigateurs d’origines diverses de France (notamment Bretons et Normands) qui voyageaient vers l’Amérique. A l’époque, ils ne disaient qu’ils voyageaient : ils « voilaient ».
C’est donc dans le joual, une langue que Google ne sait même pas traduire, que Jack Kerouac. Ça a peut être gonflé ses poumons de voiles. A 6 ans, il commence à apprendre l’anglais, découvre la passion de l’écriture et rédige de longues lettres à ses proches. Il écrit son premier roman à 11 ans. La littérature devient pour lui une sorte de refuge contre les conventions établies, patriarcales et conservatrices des États-Unis dans les années 1930-1940. A 18 ans, il rentre à l’Université Colombia, qu’il abandonne à l’aube de sa deuxième année d’études, après avoir lu les nouvelles de Thomas Wolfe qui lui réinjectent, si besoin était le goût du voyage. Mettre les voiles, larguer les amarres… Il s’engage dans la marine marchande au printemps 1942, mais regagne New-York, déçu, quelques mois plus tard.
En juillet 1947, il décide de parcourir les routes des Etats-Unis. Littéralement, un trip. Entre temps, grâce à l’éditeur Lucien Carr, il rencontre Williams Burroughs et Allen Ginsberg. Kerouac, Burroughs et Ginsberg : les trois mousquetaires de la Beat Generation.
« Les fous, les marginaux, les rebelles, les anticonformistes, les dissidents…tous ceux qui voient les choses différemment, qui ne respectent pas les règles. Vous pouvez les admirer ou les désapprouver, les glorifier ou les dénigrer. Mais vous ne pouvez pas les ignorer. Car ils changent les choses. Ils inventent, ils imaginent, ils explorent. Ils créent, ils inspirent. Ils font avancer l'humanité. Là où certains ne voient que folie, nous voyons du génie. Car seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu'ils peuvent changer le monde y parviennent. »
(Jack Kerouac, Sur La Route)
Le grand œuvre de Kerouac, en tout cas son livre culte, c’est bien évidemment "Sur la route", écrit d’un seul jet sur des feuilles destinées à la calligraphie, que l’auteur a collées entre elles. Le récit des pérégrinations, des rencontres et des désillusions de l’auteur (Sal Paradise) et de Neal Cassady (Dean Moriarty) ; deux personnages hors-normes en quête d’absolu : «Je voulais entreprendre un hymne immense qui unirait ma vision de l’Amérique avec des mots crachés selon la méthode spontanée moderne. Au lieu d’un simple récit horizontal des voyages sur la route, je voulais une étude verticale, métaphysique du personnage de Cody et de sa relation à “l’Amérique” en général.»
Un « livre » (ou plutôt un rouleau) écrit staccato, façon jazz. A New York, avec un camarade de classe, Jack Kerouac avait fréquenté régulièrement les caves où se produisaient Charlie Parker, Dizzy Gillespie et surtout Count Basie, son idole. Du rythme du jazz va naître son style d’écriture, qu’il qualifie de prose instantanée : « Pas de pause pour penser au mot juste mais l’accumulation enfantine et scatologique de mots concentrés. »
Ce qui reste de Jack Kerouac, au-delà de l’anti-conformisme qui fit sa réputation, c’est la liberté d’une écriture qui voile grand large, et qui improvise la langue au-delà de tous les standards qui voudraient la corseter.
Jean-Marc Adolphe
« Les seules personnes pour moi sont les fous, ceux qui sont fous de vivre, fous de parler, fous d'être sauvés, désireux de tout en même temps, ceux qui ne bâillent jamais ou ne disent pas une chose banale,
mais qui brûlent, brûlent, brûlent comme de fabuleuses chandelles romaines jaunes
qui explosent comme des araignées à travers les étoiles et au milieu
vous voyez la lumière centrale bleue éclater et tout le monde fait Awww ! ».
(Jack Kerouac, "Sur la route")
Illustration : schae.studio
A SUIVRE
Sur France Culture, "la Compagnie des auteurs" (Matthieu Garrigou-Lagrange) vogue au rythme anti-conformiste de la mythique Beat Generation. Premier volet consacré à une des figures majeures de ce mouvement, The "Kings of the Beat": Jack Kerouac (1922-1969). Portrait d'un écrivain devenu icône d'un mouvement malgré lui, avec Yves Buin, auteur de la biographie de Jack Kerouac chez Folio/ Gallimard publiée en 2006 et Jack Kerouac, vendredi après-midi dans l'univers aux éditions Jean-Michel Place en 2000. ICI
Et : "Les Chemins de la philosophie" (juin 2018) : Sur la route, de Jack Kerouac. Entre roman de l'errance et roman initiatique, suivez la route avec Josée Kamoun, traductrice du rouleau original. ICI
VIDEOS
Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Lucian Carr et quelques autres à New York en 1959.
Interview en français dans "Le sel de la semaine" (1967), un des entretiens les plus mythiques de l'histoire de la télévision québécoise
"Le Grand Jack" (1987). Un film de Herménégilde Chiasson produit par l’Office national du film du Canada en 1987
"Sur la route de Jack Kerouac à Brest". Documentaire ARTE. Mythique cité du Ponant, la ville de Brest est avant tout peuplée par des marins, des militaires et des piliers de bistrot lorsque, dans les années 1960, l’écrivain américain Jack Kerouac y pose ses valises. Descendant d’une famille d’émigrés québécois, il entend retrouver ici la trace de ses ancêtres bretons. Si cette quête est vaine, il tire de cette expérience sa dernière grande œuvre : "Satori à Paris".
Comments