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Isatta, 24 ans, migrante sierra-léonaise prise au piège de Beyrouth

Isatta Bath et son bébé, migrante sierra-léonaise piégée au Liban. Photo Hassan Ammar / AP


Reportage à Beyrouth où des travailleuses migrantes, notamment sierra-léonaises, ont été piégées par la guerre.


Elles sont sierra-léonaises, et font partie des 160.000 migrants, notamment venus des Philippines, du Sri Lanka, du Soudan du Sud, dont 65 % de femmes, recensés au Liban en 2023 par l’Organisation internationale des migrations des Nations unies. Que sont-elles venues faire au Liban ? La Sierra Leone, petit pays d'Afrique de l'Ouest, abrite une forte communauté libanaise installée depuis plus d’un siècle, fortement impliquée dans les affaires et le commerce. Et parallèlement, de nombreux Sierra-Léonais se rendent chaque année au Liban pour apporter une aide financière à leur famille restée au pays. Femmes de ménage, employées domestiques, le statut de ces femmes dépend d'un régime de parrainage connu sous le nom de kafala, qui est souvent synonyme d'abus : retenue des salaires, confiscation des documents officiels, voire abus sexuels dans certains cas. Ce quotidien déjà précaire a été bouleversé par l'offensive israélienne au Liban. Plus de 10.000 migrants ont demandé à être rapatriés, mais seulement 400 ont pu rentrer chez eux à ce jour. Privées de tout, environ une centaine de migrantes sierra-léonaises ont trouvé refuge dans un ancien garage automobile à Hazmieh, à l'est de Beyrouth. Parmi elles : Isatta Bath, 24 ans. Reportage.



BEYROUTH (AP) - « Mon expérience au Liban n'est pas bonne pour moi. Je suis vraiment fatiguée » : Isatta Bah se réveille dans un abri surpeuplé de la banlieue de Beyrouth, serrant dans ses bras son bébé, Blessing. Cette jeune femme de 24 ans, originaire de Sierra Leone, passe ses journées à attendre un visa de sortie qui lui permettrait, ainsi qu'à son enfant d'un an, de prendre l'avion pour retourner dans son pays. Elle souhaite retrouver sa famille après avoir vécu des conditions de travail abusives et des violences sexuelles, ainsi que les récentes horreurs de la guerre au Liban. Comme Isatta Bah, des centaines de travailleurs migrants au Liban attendent d'être rapatriés après l'entrée en vigueur, le mois dernier, du cessez-le-feu mettant fin à la guerre de 14 mois entre le Hezbollah, basé au Liban, et Israël.


Le Liban attire depuis longtemps des travailleurs migrants. Séduits par des promesses d'emplois stables et de salaires décents, ils entrent au Liban par l'intermédiaire d'agences de recrutement, dans le cadre d'un système de travail basé sur le parrainage, connu sous le nom de Kafala, pour se retrouver souvent piégés par des passeports confisqués, de longues heures de travail, des salaires retenus et, pour beaucoup, de mauvais traitements.


Des travailleuses migrantes sierra-léonaises bloquées au Liban attendent d'être rapatriées dans leur pays, alors qu'elles sont hébergées

dans un ancien atelier de concession automobile transformé en centre d'accueil à Hazmieh, à l'est de Beyrouth, au Liban.

Photo Hassan Ammar / AP

 

Le système de la Kafala est depuis longtemps critiqué par les ONG de défense des droits de l'homme, mais le gouvernement n'y répond que rarement, voire jamais. Isatta Bah n'en savait rien lorsqu'elle est arrivée au Liban en 2022. On lui avait promis un emploi dans un supermarché avec un salaire mensuel de 200 dollars. Au lieu de cela, on l'a envoyée, dès son arrivée, dès son arrivée, s'occuper d'une femme âgée.


Moins d'un mois après son arrivée, son fils de trois ans, resté au pays, est tombé malade et est décédé. Elle dit qu'on ne lui a pas laissé le temps de faire son deuil et qu'elle a fui la maison de son employeur. Son employeur a confisqué son passeport et d'autres documents personnels. Son expérience au Liban a ensuite pris une tournure plus sombre. Un jour, elle et cinq colocataires ont été pris en charge par un chauffeur de taxi qui leur a dit qu'il les ramènerait chez elles, avant de les laisser au milieu de nulle part. Un groupe d'hommes les a poursuivies et violées.

Un ancien atelier de concession automobile transformé en refuge à Hazmieh, à l'est de Beyrouth, au Liban. Photo Hassan Ammar / AP

 

Sans papiers, les migrants hésitent à s'adresser à la police. Il a fallu environ deux semaines à Isatta pour se rétablir et retrouver du travail dans un hôtel. Deux mois plus tard, elle a découvert qu'elle était enceintes. Avec la guerre, sa vie est devenue plus précaire. Lorsqu'Israël a intensifié ses bombardements sur la banlieue sud de Beyrouth en septembre, Isatta a fui la zone à pied avec son bébé. Tous les travailleurs migrants n'ont pas échappé aux attaques. O37 d'entre eux ont été tués et 150 blessés depuis octobre 2023, selon Joelle Mhanna, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

 

Une poupée sur un matelas appartenant à une travailleuse migrante sierra-léonaise bloquée au Liban. Photo Hassan Ammar / AP

 

Il y avait peu d'endroits où se réfugier. La plupart des centres d'hébergement gérés par le gouvernement libanais ont refusé d'accueillir les personnes déplacées qui n'étaient pas libanaises, explique l'activiste Dea Hage-Shaheen. Après avoir soutenu les femmes migrantes lors de précédentes crises au Liban, elle est intervenue à nouveau avec d'autres bénévoles. Pour héberger plus de 200 femmes originaires de Sierra Leone, dont Isatta Bah, ces bénévoles ont aménagé comme ils ont pu une ancienne concession automobile abandonnée appartenant à la famille Dea Hage-Shaheen.

 

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« La plupart des migrants sont accueillis par des ambassades, des ONG et des organisations communautaires, y compris des églises, des monastères et d'autres groupes religieux », précise Joelle Mhanna. Le gouvernement libanais n'a pas pas répondu aux appels répétés des organisations de défense des droits et des Nations Unies.


Deux travailleuses migrantes sierra-léonaises, bloquées au Liban, qui attendent d'être rapatriée dans leur pays d'origine.

Photos Hassan Ammar / AP

 

L'OIM déclare avoir reçu des demandes d'environ 10.000 migrants souhaitant être rapatriés, soit une petite fraction des 175.000 personnes présentes au Liban. Au 26 novembre dernier, l'OIM avait aidé plus de 400 migrants à rentrer chez eux. Cela inclut deux vols charters pour des personnes en provenance du Bangladesh et de la Sierra Leone. On ne sait pas combien d'autres vols sont prévus, ni vers quelles destinations.


Le 19 novembre, l'aéroport international de Beyrouth-Rafic Hariri était rempli de rires et d'applaudissements. Des femmes de Sierra Leone qui ont pu être évacuées sont arrivées en groupes, traînant des valises et se donnant l'accolade. Certaines ont dansé pour célébrer leur vol tant attendu. Pour Mariam Sesay, qui se présente comme leader de la communauté sierra-léonaise au Liban, il y a eu « beaucoup de détresse et de traumatisme » au cours des derniers mois. Isatta Bah ne faisait pas partie des personnes qui partaient, mais elle et d'autres personnes du refuge étaient heureuses de voir des amies pouvoir rentrer chez elles.

 

Photo Hassan Ammar / AP

 

Elle attend maintenant son tour, comme plus de 50 autres personnes. On lui a d'abord dit qu'elle avait besoin de documents officiels pour son bébé et du consentement du père pour voyager. Mais un avocat l'a dispensée de ces formalités en raison de sa situation, explique Dea Hage-Shaheen. « Je souhaite rentrer chez moi pour poursuivre mes études », confie Isatta : « Depuis que je suis petite, j'ai toujours voulu être étudiante en informatique, parce que je suis douée pour ça ». Elle regarde Blessing, son enfant : « Maintenant, j'ai quelqu’un dont je dois m'occuper. « Quand je la regarde marcher ou rire, cela me donne de la joie… »

 

Sally Abou Ajoud et Lujain Jo / Associated Press

Traduit de l’anglais par la rédaction des humanités.

 

Journalisme et droits d’humains. L’agence Associated Press consacre de nombreux articles et reportages sur les migrations. A suivre ici (en anglais) : https://apnews.com/hub/migration


Pour Mariam, activiste et leader communautaire de Sierra Leone :

« maintenant nous avons une image claire de la façon dont le racisme fonctionne au Liban. Car même dans cette situation terrible

dans laquelle tout le monde se trouve, ils nous rejettent encore parce que nous sommes des migrants. De plus, nous n'avons pas accès aux refuges. Ils affichent en ligne qu'ils ont des places vacantes. Lorsque nous les contactons, ils nous répondent : "Ah, je suis désolé, nous n'avons pas de place. Ils ont de la place pour leurs citoyens, mais pas pour les migrants. Je pleure beaucoup parce que vous savez, nous avons souvent été maltraitées au fil des ans, mais dans cette situation, nous ne nous attendions pas à être traitées de cette façon.

Nous sommes dans la rue, sous la pluie, et nous devons faire face à toutes sortes de problèmes.»

 

Parce que vous le valez bien, les humanités, ce n'est pas pareil. Dons et abonnements ICI

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