Iran, septembre 2022. La mort de Mahsa Amini, pour une mèche qui dépassait. Une mèche qui a mis le feu au poudres. Un soulèvement. Sous le couvercle du hijab, la marmite de la liberté n'en pouvait plus. En Iran, collectivement, le courage s'est éveillé. Aucune répression ni honteuse "realpolitik" ne pourra plus l'arrêter.
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Une mèche, peut-être, dépassait de son hijab.
En Iran, depuis le 5 juillet dernier et une loi « sur le hijab et la chasteté du pays », qui impose de nouvelles restrictions vestimentaires aux femmes, c’est potentiellement un crime. Le 13 septembre, Mahsa Amini a été arrêtée par la police des mœurs du sinistre régime du président Raïssi. Mahsa avait 22 ans, elle était kurde iranienne. Pour une mèche de trop, Mahsa a été traînée au poste de police, violentée. Elle en est morte. Commotion cérébrale. Mais Mahsa, c’est tout l’Iran qui a été frappé en pleine tête.
Une mort de trop, une mèche de trop qui a mis le feu aux poudres.
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Une image.
Des cheveux flottent au vent.
C’est « l’image du siècle », clame la poète et cinéaste indienne Leena Manimekalai, elle-même poursuivie par un tribunal de Dehli pour "représentation irrespectueuse des dieux hindous" : en cause, l’affiche de son nouveau film qui montre un personnage, habillé en déesse Kali, fumant des cigarettes (Lire ICI). Déclarée pour cela « criminelle » par le gouvernement nationaliste-hindou de l’ex-paramilitaire Narendra Modi, Leena Manimekalai, exilée à Toronto, au Canada, n’a pu assister aux obsèques de sa grand-mère, début septembre.
« L’image du siècle » (en tête de cet article) : un drapeau de cheveux. Une œuvre qui, a priori, n’a rien à voir avec Mahsa Amini.
Son titre : Ombre indigène. Réalisée en 2014, exposée en 2016 au Wiels, à Bruxelles.
Son autrice : Edith Dekyndt, artiste-plasticienne belge, formée à l'atelier d'images imprimées des Arts (Arts au carré) de Mons (son site internet : https://edithdekyndt.be).
Ce drapeau de cheveux, forcément, il a une histoire. L’œuvre a été réalisée lors d’un séjour de l’artiste en Martinique. Ombre indigène se dresse au Diamant, à l'endroit-même où Édouard Glissant, poète du Tout-Monde est né et a été enterré et où un navire transportant une centaine d'esclaves africains s'est brisé sur les falaises il y a près de deux cents ans.
Les cheveux, l’esclavage, c’est encore toute une histoire.
Les esclaves africaines utilisaient leurs tresses comme moyen de communication. Les crowns (tresses), étaient utilisées pour aider les esclaves à échapper à l'esclavage, comme en Colombie, où le tressage des cheveux permettait de relayer des messages. Par exemple, pour signaler qu'elles voulaient s'échapper, les femmes tressaient une coiffure appelée départs. Des tresses épaisses et serrées, tressées près du cuir chevelu et attachées en petits pains sur le dessus. Un autre style était fait de tresses courbes, étroitement tressées sur la tête, qui représentaient les chemins qu'elles allaient emprunter pour s'échapper. Dans les tresses, elles conservaient également de l'or et cachaient des graines qui, à long terme, les aidaient à survivre après leur fuite. Au-delà d'une simple coiffure donc, un symbole de liberté et d'émancipation.
(Voir notamment Sandro Miller, CROWNS. Mes cheveux - Mon âme - Ma liberté, SKIRA, 2021. Lire ICI)
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C’est aussi une forme d’esclavage que subissent les femmes d’Iran.
La servitude du hijab.
Le 12 juillet dernier, a eu lieu, à l’initiative du gouvernement iranien, la « Journée du hijab et de la chasteté », célébrée avec force propagande par la télévision nationale (vidéo ci-dessus). Ce même 12 juillet, un mouvement lancé sur les réseaux sociaux par plusieurs activistes appelait les Iraniennes à sortir dans la rue sans hijab (Lire sur RFI, 12/07/2022). Comme le rappelle l'ancienne secrétaire d'État Jeannette Bougrab, « Il ne faut pas se tromper sur le sens du voile. Il n'est ni un phénomène de société, ni un artefact de mode. Il sert une politique délibérée de genre qui a pour but d'asservir l'esprit et le corps féminin. Ce n'est pas un hasard si l'une des premières décisions prises par l'Ayatollah Khomeiny en accédant au pouvoir après quinze années d'exil fut d'imposer le port du hijab à toutes les femmes, et ce le 7 mars 1979, la veille de la journée internationale du droit des femmes instituée par les Nations unies deux ans avant. »
En Iran, « le changement, bien sûr, est nécessaire, inévitable et urgent », écrivait en janvier dernier Michael Page, directeur adjoint pour le Moyen-Orient au sein de l’ONG Human Rights Watch, alors que la répression des libertés des citoyens et citoyennes ne fait qu'augmenter. Ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres : en janvier dernier, le Tribunal révolutionnaire de Téhéran a ainsi condamné à six ans de prison pour « rassemblement et collusion en vue d'agir contre la sécurité nationale », ainsi qu’à deux ans de prison et 74 coups de fouet pour « atteinte à la sécurité nationale et trouble à l'ordre public » la célèbre militante des droits humains Narges Mohammadi, porte-parole du Centre des défenseurs des droits de l'Homme fondé par la prix Nobel de la Paix Shirin Ebadi (Lire ICI). Narges Mohammadi, atteinte d'une grave maladie neurologique qui provoque une paralysie musculaire, s'est vu refuser un passeport, ce qui l'a empêchée de rejoindre sa famille qui vit en France.
En novembre 2021, la diplomatie française avait mollement demandé la libération de Narges Mohammadi (Lire ICI). Depuis : silence radio. Ces derniers jours, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, Emmanuel Macron a tenu à serrer la main de son homologue iranien Ebrahim Raïssi. Dans le communiqué de l’Élysée, à l’issue de cette rencontre, il est indiqué qu’après avoir longuement parlé du nucléaire, « le Président de la République a dit le choc qui a été le sien à la nouvelle de la mort de Mahsa Amini après son arrestation, et a insisté sur la nécessité qu’une enquête transparente fasse la lumière sur ce drame. »
La poignée de mains entre Emmanuel Macron et Ebrahim Raïssi, le 20 septembre aux Nations unies, à la Une de la presse iranienne
« La balle est maintenant dans le camp de l'Iran », a ajouté Emmanuel Macron. En effet : la balle est surtout dans le corps des Iraniens et Iraniennes qui manifestent. Déjà plus de 50 morts à ce jour. L’ambassade de France à Téhéran s’est contentée de publier un communiquer à l’adresse des ressortissants français : « Depuis que Mahsa Amini est décédée le 16 septembre, des manifestations et des rassemblements sont observés en Iran, à Téhéran comme dans les principales villes du pays. Dans ce contexte, cette ambassade souhaite rappeler ses consignes générales de prudence, en particulier celles de se tenir à l’écart de tout rassemblement et de s’abstenir de prendre des photographies dans l’espace public. » Vive la realpolitik !!!
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Image tirée de la page Facebook My Stealthy Freedom
La journaliste, écrivaine et activiste iranienne Masih Alinejad, réfugiée aux États-Unis, rêve pour sa part « du jour où les libertés ne seront plus furtives ». En 2014, elle a lancé le mouvement "My Stealthy Freedom" pour dénoncer le port forcé du hijab en Iran. Et en 2018, elle a publié en 2018 un livre intitulé The Wind in My Hair ("Le vent dans mes cheveux ", toujours inédit en français).
En juillet dernier, un homme de 23 ans nommé Khalid Mehdiyev a été arrêté alors qu'il tentait de pénétrer dans sa maison de Brooklyn avec un fusil d'assaut de type AK-47 caché dans sa voiture, muni d'une soixantaine de balles. Autant dire, comme le dit Emmanuel Macron, que « la balle est dans le camp des Iraniens ».
Documentaire ARTE de Nahid Persson (Suède, 2021, 52mn) disponible jusqu'au 21/10/2022
« Les femmes iraniennes ont toujours subi un lavage de cerveau », dit Masih Alinejad. « Leurs cheveux et leur identité ont été pris en otage parce que c'est ainsi que le gouvernement contrôle la société. »
Et puis arrive un jour, un jour-Mahsa, un jour où la soupape n’en peut plus de contenir la marmite.
Ce soulèvement-là, aujourd’hui,
En images et vidéos, ci-dessous.
Comme le dit un proverbe persan : « La main de la générosité vaut mieux que le bras de la vigueur. » Ou encore : « On ne cueille point le fruit du bonheur sur l'arbre de l'injustice. »
Jean-Marc Adolphe, 24/09/2022
Illustration en tête d'article : Edith Dekyndt, Ombre indigène (2014)
Des étudiantes iraniennes écrivent le nom de Mahsa Amini après son meurtre brutal par la police des moeurs.
Dessin Oğuz Yiğit
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