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Michel Strulovici

Intifada, ou ubuntu ?

Dernière mise à jour : 29 nov.

Image générée par l'intelligence artificielle.



CHRONIQUE Qu'un militant salafiste répande sa détestation de l'école laïque et républicaine, qu'il accuse d'apprendre à "mécroire", et donc "d'islamophobie", faut-il encore s'en étonner ? Que ce même activiste, surfant sur la "cause palestinienne", en vienne à appeler à généraliser l'intifada (pour lui synonyme de jihad), lui vaut d'être poursuivi. Mais loin de marquer son opprobre contre l'auteur de tels propos, une partie de la gauche insoumise lui témoigne son "respect". Loin du concept africain de l'ubuntu, qui cherche la possibilité d’une humanité commune, est-ce la fin d'une gauche universaliste, désormais prête à céder aux sirènes du communautarisme, sans voir le projet théologico-politique qui s'avance ainsi, à peine masqué ?


Il est des propos de personnalités d'importance qui en disent long sur l'état du débat public, c'est à dire sur la manière dont vit et/ou meurt notre démocratie. Ils sont aussi le signe de l'apparition dans notre société d'imaginaires politiques et culturels nouveaux, souvent importés.


Ainsi peut-on relever la prompte réaction du ministre français de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, se réjouissant de pouvoir « partager » avec Elon Musk, sitôt annoncé sa nomination dans la future administration, « les meilleures pratiques pour lutter contre l’excès de bureaucratie, réduire la paperasse, et repenser les organisations publiques pour améliorer l’efficacité des agents publics ».


A l'autre bord du spectre politique, je m'attarderai sur le soutien affirmé le 15 novembre dernier par le député LFI Eric Coquerel, aux propos incendiaires d'un islamiste convaincu, Elias d'Imzalene, qui a invité à une « intifada dans les rues de Paris et de la banlieue ».

Rappelons les faits : à Paris le 8 septembre dernier, à l'issue d'un rassemblement pro-palestinien, Elias d'Imzalene lançait au micro : « Est-ce qu’on est prêt à mener l’intifada dans Paris ? Dans la banlieue ? Dans nos quartiers ? On va leur montrer que la voix de la libération vient de nous. Qu’elle démarre de Paris ». Des propos qui lui ont valu d'être poursuivi pour "provocation publique à la haine ou à la violence" (et non pour avoir "dénoncé le génocide à Gaza", comme le proclament ses soutiens) : huit mois de prison avec sursis et 2.000 euros d'amende ont été requis à son encontre (le délibéré sera rendu le 19 décembre). Le 15 novembre, enfin, questionné au micro de RMC sur la présence à ses côtés d'Elias d'Imzalene à une manifestation avant le match France-Israël, Eric Coquerel déclare le militant islamiste, qui a donc appelé à une forme de guerre civile, « plus respectable que le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau » (1).


Des propos que la fonction qu'Eric Coquerel exerce dans les institutions de la République rend d'autant moins anodins. Le député de la France insoumise occupe en effet l'un des postes clés de l'Assemblée nationale, où il préside la puissante et prestigieuse Commission des Finances, celle qui débat, amende le projet gouvernemental de budget, le projet essentiel de tout gouvernement.


C'est à cette aune qu'il faut mesurer la gravité de tels propos qui sont, à ma connaissance, rarissimes dans l'histoire de la Vème République. Seule la période de l'OAS, pendant la guerre d'Algérie, me semble les rappeler. Et encore, ceux qui les tenaient étaient passés à la clandestinité et n'occupaient pas des fonctions de poids au cœur du système démocratique. De tels propos révèlent tout à la fois la violence du débat politique dans notre pays (2), sa dégradation propre aux sociétés en crise, et la relative "normalité" d'une telle assertion puisque personne, notamment à gauche, n'en révèle la toxicité, ni ne la conteste. Qu'Elias d'Imzalène reçoive un soutien XXL des Insoumis et que l'islamiste soit préféré à ce point au ministre, doit retenir notre attention. Qui est donc ce nouvel héros des mélenchonistes  ?

« Liberté pour Iquioussen ! Liberté pour nos imams ! ». lors d'une manifestation à Paris le 3 septembre 2022, à l'appel

de son mouvement "Perspectives musulmanes", pour demander la libération de l'imam Hassan Iquioussen,

fiché S pour avoir notamment déclaré qu'Oussama ben Laden était un « grand combattant face aux Américains » et

un « grand défenseur de l'Islam », en plus de nombreux propos antisémites, misogynes, etc. Ayant fui en Belgique pour échapper

à un mandat d'expulsion français, il y est arrêté et est expulsé vers le Maroc par les autorités belges en janvier 2023.


Un parcours édifiant


Si son "coup d’éclat" pro-intifada a soudain attiré sur lui les projecteurs, cela fait une bonne dizaine d’années qu’Elias d’Imzalène « appelle les musulmans à faire sécession avec la République », comme l’écrit l’essayiste Naëm Bestandji (3). Un "combat" qui le voit d’abord évaluer dans les parages du néo-nazi Alain Soral et du négationniste Dieudonné. Ces deux-là, associés dans plusieurs manifestations du mouvement "Égalité et réconciliation", fondé par Soral (voir sur Wikipédia), se retrouvent en 2009 sur une liste commune, « antisioniste », pour les élections régionales en Ile-de-France. Dieudonné invitera par la suite Elias d’Imzalène au théâtre de la Main d’or pour plusieurs conférences en 2013 sur « le choc des civilisations », prônant une vision binaire du monde, où la communauté musulmane devrait agir comme une contre-société séparée avant de la subvertir. Cette même année 2013, devant la mosquée salafiste de Torcy, dont les deux imams ont ensuite été poursuivis puis expulsés pour avoir  « explicitement légitimé le djihad armé en appelant les fidèles à prier pour les djihadistes du monde entier afin de détruire les ennemis de l'Islam en France et dans le monde », Elias d’Imzalène proclamait encore :  «Vos écoles, dans lesquelles vous envoyez vos enfants, dans lesquelles on m'a appris à mécroire, à détester [l'islam, NDLR], à détester nos ancêtres, doivent être abandonnées et qu'on arrive à nos écoles. Aujourd'hui, nous devons nous dire : le projet d'école et le projet de mosquée, c'est deux choses qui vont ensemble. […] C'est à nous de faire nos centres de loisirs. C'est à nous de prévoir des salles de sport pour nos femmes. […] Un jour il faudra penser communautaire. Un jour il faudra penser grand. Un jour il faudra penser même à avoir nos banques... »

 

Elias d'Imzalène, qui prône sur Internet et réseaux sociaux (4) le combat contre "les mécréants", se répand en incessantes diatribes contre « le complot islamophobe » qui sévirait, selon lui, dans notre pays. Il est de toutes les vindictes contre l'interdiction du port du voile puis de l'abaya à l'école, proteste contre le rejet des prières publiques au sein de l'Université, etc. Il est également l'un des organisateurs de nombreuses manifestations qui se réclament de l'islam politique le plus radical. C’est ainsi au nom de "Perspectives musulmanes" qu’il organise en août 2022, aux côtés du parti des Indigènes de la République d'Houria Bouteldja, la mobilisation en soutien à l'imam Hassan Iquioussen, visé par un arrêté d’expulsion pour «des actes répétés de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les juifs ». Plus récemment, il est encore est remarqué, lors de diverses manifestations contre « l'entité sioniste », notamment devant Sciences Po Paris, aux côtés de Rima Hassan, devenue l’égérie de la France Insoumise. L’"influenceur salafiste" est ainsi devenu, aux yeux de certains, parfaitement « respectable »…


Galipette idéologique


Une partie notable de la gauche fait donc le choix de transformer en icône ce promoteur du séparatisme, dont certaines positions flirtent avec l’apologie du terrorisme, et sonnent en tout cas comme une véritable déclaration de guerre à la République. Une telle compromission traduit un bouleversement complet des fondamentaux et de l'action de la gauche depuis des lustres.  La stratégie mélenchoniste "du bruit et de la fureur", qui passe par l’accumulation d'actes, de propos fonctionnant sur l'affect, sur la "nécessaire fracturation" de notre société, à tout propos et sur tous les sujets, nationaux et internationaux, trace en effet une ligne cohérente qui rompt avec le corpus idéologique de la gauche, tout à la fois celle de gouvernement comme celle de la transformation révolutionnaire (5). Je m'interroge depuis quelques années sur cette mutation, une véritable "galipette idéologique", qui transforme en son contraire toute une vision du monde et son expression politique, ainsi que l’imaginaire qui les sous-tendent.

 

A gauche, il existe un avant et un après Jean Luc Mélenchon. Sans tomber dans un quelconque culte de la personnalité et me rattachant, en cordée, au célébrissime couplet de L'Internationale : « il n'est de sauveur suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun... », je bute pourtant sur cette réalité de l'incarnation en politique (6). Mélenchon, à la tête d'un mouvement où seul compte son avis (7), mène donc la danse idéologique dans une grande partie de la gauche. Le « vive le chaos » qui sourd de tous ses propos (où s’insère logiquement le « respect » accordé par Eric Coquerel à un salafiste qui appelle à l’intifada) est en rupture avec l'imaginaire de progrès de la Gauche politique. Et ce qui mit plus de deux siècles à se bâtir dans la violence et les larmes, pas à pas, depuis les l'époque des Lumières, a été emporté, anéanti, en une dizaine d'années seulement…

 

Par quel mystère une gauche universaliste et républicaine qui, au fil du temps, ajouta à son univers la lutte de classes, peut-elle ainsi muer en son contraire ? Comment des forces d'émancipation peuvent-elles se lier à des idéologies de soumission et en reprendre les refrains victimaires ? Jusqu’alors, la gauche de transformation accordait toutes ses faveurs à la Raison. Elle s'était même constituée pour annoncer son règne. Elle prônait une société débarrassée des superstitions et des affirmations à l'emporte-pièce fondées sur les croyances d'un temps immuable. Elle voulait établir le règne de la science et étendre la démocratie à tous les secteurs de la vie nationale et au monde entier.

 

« Contre nous de la tyrannie », chantait-on en 1792 en montant au front à l'assaut des armées royales. Voici la gauche vantant aujourd'hui les vertus de la discrimination fondée sur la couleur de la peau (qu'elle appelle émancipation, dans une acceptation du terme digne d'un système orwellien). La voici, au nom d'une supposée justice, favorisant l'ingérence du sacré le plus sectaire au cœur même de la vie de la Cité.


La gauche, dans toute ses composantes était universaliste. Voici nombre de ses partisans, soutenant aujourd’hui une vision communautariste de notre société. Le temps est-il advenu d'une gauche en France qui souhaiterait découper notre société en tranches ethnico-religieuses, à l'exemple des théories intersectionnelles des pays anglo-saxons ?

 

Maintenir la possibilité de l’universel – et donc d’une humanité commune


Cette culture anglo-saxonne implique en fait le repli sur des particularités « genrées », « racialisées » et « religieuses ». Ainsi le projet révolutionnaire serait-il de bâtir des ensembles-forteresses où chacun ressemblerait à l'autre selon des catégories que jusqu'alors seuls les régimes d'apartheid inventèrent.

 

Ce décorticage à l'infini d’une communauté nationale ressemble à la recherche de l'infiniment petit de la matière, menée par les physiciens. Il s'agit bien dans ce désir absolu de pureté, de trouver le plus petit point commun qui rassemble puis de le transformer en absolu, pour créer des séparations définitives. Ces théories, à l'origine anglo-saxonnes, manient le scalpel pour détruire le « tous ensemble » de l'universalisme émancipateur. Au grand jamais, la division de classe et de nécessaires alliances globalisantes n’apparaissent dans cette parcellisation de la société. Rappelons ici que la vision marxienne fut déclarée caduque par Jean Luc Mélenchon dans un débat fameux avec Chantal Mouffe, la philosophe du populisme dit de gauche, le 25 octobre 2016. (8)

 

Autant dire que le combat pour l'émancipation et contre les dominations est loin d'être gagné, tant il suppose de larges alliances, tant il s'oppose à des puissances qui souhaitent au mieux le statu quo. Qui isole qui ? Qui rassemble qui ? est pourtant un axiome reconnu de toute victoire en politique.


Le mot ubuntu est lié à un proverbe bantou : « Umuntu ngumuntu ngabantu », signifiant « je suis, parce que nous sommes ».

Ubuntu est la capacité, dans la culture africaine, d’exprimer la compassion, la réciprocité, la dignité, l’harmonie et l’humanité

dans le but de construire et de maintenir une communauté dans la justice et la bienveillance mutuelle.

« L’ubuntu, c’est l’altérité. C’est l’ouverture empathique aux autres. C’est le préjugé favorable par principe. C’est l’amitié préventive. C’est l’état de grâce dans les rapports humains » (Joseph Ki-Zerbo, Repères pour l’Afrique,  Ed. Panafrika Silex/Nouvelles du Sud, Dakar, 2007).



Nous en sommes au point, explique le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, auteur du récent Universaliser. Pour un dialogue des cultures, que « les identitarismes sont tels qu'on s'interdit d'emprunter quoi que ce soit à une autre culture » (9). Souleymane Bachir Diagne, précise Séverine Kodjo-Grandvaux dans Le Monde du 14 octobre 2024, « cherche à maintenir la possibilité de l’universel – et donc d’une humanité commune – malgré les menaces d’impérialisme et les replis identitaires. Faire humanité ensemble, envers et contre tout, tel est le sens du terme bantou ubuntu. »

 

Selon le philosophe, il « existe un impensé de la question raciale au sein de la gauche du fait d’un universalisme qui invite à être aveugle à la différence raciale ». Toutefois, ajoute-t-il, « il importe, a contrario, de ne pas s’enfermer dans ces racialisations du monde ». Nous connaissons pourtant les dégâts que de telles théories communautaristes ont pu causer outre-Atlantique par leurs mises en demeure, leurs excès et leurs expressions violentes sur les campus et à la direction même de prestigieuses universités. Nous savons comment ces manières de promouvoir le Bien ont permis au Mal de l'emporter. Elles ont joué, par exemple, un rôle de repoussoir pour des millions d'Américains dépossédés de tout, souvent fâchés pas fachos, mais qui pourraient le devenir. Bernie Sanders, ce militant historique de la gauche démocrate le souligne à sa manière. Réélu sénateur du Vermont, haut la main, il analyse ainsi l'échec de Kamala Harris : « ce parti démocrate qui a abandonné la classe ouvrière ne devrait pas être surpris que la classe ouvrière l'ait abandonné en retour. ». Et il ajoute : « le peuple américain est en colère et réclame le changement », en dénonçant « l’inaction sur des problèmes comme les inégalités de richesse, la détérioration du niveau de vie et les prix élevés des médicaments. »

 

Un effet identique sur les électeurs les plus démunis a été obtenu avec la campagne de la candidate écologiste, Jill Stein, au cours de la dernière élection présidentielle aux États-Unis. Ayant choisi de ne discourir que sur la guerre menée par Netanyahou contre le Hamas et ses dizaines de milliers de victimes à Gaza, elle a ainsi a contribué à saper, dans la jeunesse notamment, l'assise déjà brinquebalante de Kamala Harris (10) et de facto, aidé à la réussite sans rivage du fasciste deux points zéro, partisan de la fracturation hydraulique et du forage à tout va (11), mais qui sera aussi, sans doute… un soutien inconditionnel de l’actuel gouvernement israélien !  « Qui veut faire l'ange, fait la bête » écrivait Pascal dans ses Pensées.

 

Quand d’anciennes valeurs d’émancipation en viennent à justifier l’exact contraire du projet qui les fondait


La gauche combattait toutes formes de discriminations fondées sur la couleur de peau et le genre. Voici une jeunesse tentée par la gauche retournant le compliment et devenant porte-voix d'une vision « racisée » et « genrée » de la société.

 

La laïcité était son credo. Voici une partie notable de cette gauche dénonçant les « laïcards ». La gauche avait lutté pendant plusieurs générations pour aseptiser de tout signe religieux les enseignements dispensés, les murs de nos classes, les cours de récréation. Elle avait réussi mettre à distance de l’État et de l’école, dans un combat titanesque, les apôtres de la transcendance et de l'obscurantisme. Voici le Sacré réintroduit au nom d'une supposée persécution exercée à l'endroit d'une minorité considérée comme marchant d'un seul pas (que faire alors de Kateb Yacine et de Salman Rushdie, entre autres, ces incroyants ?). Voilà une partie de la gauche rejoindre celles et ceux qui considèrent que la laïcité serait « islamophobe », épousant ainsi le combat idéologique des Frères musulmans (12). Bientôt, on s’entendra sans doute qu’un enseignant agressé l’avait « bien cherché »…

 

La gauche était promotrice de l'égalité homme-femme, c'était même une de ses priorités absolues. Aujourd'hui, nombre de ses militants, y compris d'autoproclamées « féministes », soutiennent à gorge déployée ou mezzo voce, les pires exclusions, les enfermements, les lapidations au nom d'un « Livre sacré écrit par Dieu lui-même » !

 

Étrange époque où d’anciennes valeurs d’émancipation en viennent à justifier l’exact contraire du projet qui les fondait. J'ai déjà vécu semblable aliénation, sous la forme d'une omerta imposée au nom du progrès futur, que s'imposèrent les communistes occidentaux, dans les années 1950 et 1960. Le doigt sur la couture du pantalon, pour les « tiers-mondistes » que nous fûmes (j'en fis partie), fascinés par l'immense rassemblement anticolonialiste de Bandung (13) soutenir tous ceux qui s'opposaient aux impérialismes s'avérait impératif. Quitte à couvrir les nombreux crimes de sang de ces supposés alliés. Ce silence sur ces atrocités faisait déjà tâche sur l'argumentaire, pour le moins laborieux, en faveur des dictateurs de tous les pays arabes, en faveur des exactions les plus atroces contre les progressistes en terre d'Islam.

 

Je ne rappellerai ici qu'un seul exemple, celui du premier secrétaire général des partis communistes libanais et syrien, Farjallah Hélou. En mission clandestine à Damas, au plus fort de la fusion syro-égyptienne, il sera capturé par les services de la police secrète du régime, puis torturé à mort le 25 juin 1959. Son corps fut dissous dans un bain d'acide. Les partis communistes tairont l'assassinat : Nasser, au pouvoir à Damas et au Caire (14), était un dirigeant clé de l'arc anti-impérialiste et il luttait en première ligne contre l'« entité sioniste ». Et Moscou ne dira rien : le pouvoir soviétique venait de signer avec le Raïs un partenariat stratégique et commençait la construction du barrage d'Assouan...


Fin 1978 à Téhéran, lors d'une manifestation qui précéda la Révolution iranienne. Photo David Burnett


Quand, à son retour d'un voyage en Union soviétique, André Gide écrivit en 1936 Retour de l'URSS, où il expliqua avoir rencontré, lui l'antifasciste, le totalitarisme en action, une grande partie de la gauche l'insulta. L'engouement, lointain, l'avait emporté sur le témoignage.


Et que dire de ces intellectuels de gauche, comme Jean-Paul Sartre et Michel Foucault, qui virent dans la figure de l’ayatollah Khomeiny la promesse d’un un régime indépendant, anticolonialiste et anti-impérialiste ? Michel Foucault, notamment, se rendit en Iran en « reportage d’idées » à deux reprises, en septembre et en novembre 1978, en pleine montée en puissance de la révolution iranienne. Il écrit alors dix articles pour le Corriere della Serra. Michel Foucault déclare y trouver ce qui lui manquait en Occident, c'est à dire l’avènement d'une « spiritualité politique ». Dans l’un des articles, alors que le Chah n’hésite pas à faire tirer sur les manifestants et les manifestantes, le philosophe-reporter écrit : « Quel sens, pour les hommes qui habitent [la terre d’Iran], à rechercher au prix même de leur vie cette chose dont nous avons, nous autres, oublié la possibilité depuis la Renaissance et les grandes crises du christianisme : une spiritualité politique. » 

 

Après la victoire de Khomeiny, il écrit encore : « Téhéran. Le 11 février 1979, la révolution a eu lieu en Iran. Cette phrase, j’ai l’impression de la lire dans les journaux de demain et dans les futurs livres d’histoire. (…) L’histoire vient de poser au bas de la page le sceau rouge qui authentifie la révolution. »  

 

« Le problème de l’islam comme force politique est un problème essentiel pour notre époque et pour les années qui vont venir. La première condition pour l’aborder avec tant soit peu d’intelligence, c’est de ne pas commencer par y mettre de la haine », écrivait encore Foucault en 1978, convaincu que l’islam « était capable d’affronter (…) le redoutable pari que le socialisme n’avait pas mieux tenu que le capitalisme ». En souhaitant « que la vie politique ne soit pas, comme toujours, l’obstacle de la spiritualité, mais son réceptacle, son occasion et son ferment », Foucault ne réalise pas alors que la volonté « de donner aux structures traditionnelles de la société islamique un rôle permanent dans la vie politique » recouvre un projet de mainmise totale de la religion sur l’ensemble de la société, alors même que les mollahs et leurs partisans proclament sans ambiguïté leur volonté d’instaurer un « gouvernement islamique » fondé sur la charia. (15)


Quarante-cinq ans après la révolution iranienne, est-il encore possible de s’aveugler à ce point sur les visées d’un islam politique en pleine expansion ? Au nom de la « cause palestinienne », comment peut-on aujourd’hui juger « respectable » un militant salafiste qui appelle à l’intifada, et s’allier, comme le font Jean-Luc Mélenchon et les Insoumis, à des voix « antisionistes » (qui ne trouvent pas grand-chose à redire au Hamas, au Hezbollah et au régime iranien) dont les intentions ne sont guère difficiles à décrypter ? Marc Bloch nous prévenait pourtant, il y a longtemps déjà, dans son Apologie pour l'Histoire : « L’incompréhension du présent naît fatalement de l’ignorance du passé »

 

Michel Strulovici


NOTES


(1)- D'autres personnalités de la France insoumise avaient préalablement manifesté leur soutien à Elias d'Imzalène. Lors de sa garde à vue au commissariat du 17eme arrondissement qui avait suivi son appel à l'intifada, le militant islamiste avait ainsi reçu la visite attentionnée de la députée Ersilia Soudais. Celle-ci fait partie des députés LFI qui avaient refusé de condamner les pogroms commis par le Hamas le 7 octobre 2023. En novembre 2023, elle a été à l'origine de l'invitation à l'Assemblée nationale de Maryam Abu Daqqa, militante du Front populaire de libération de la Palestine, une organisation considérée comme terroriste par l'Union européenne, les États-Unis, le Canada, le Japon, et dont la branche armée a participé aux attaques du 7 octobre... Parmi d’autres prises de position d’Ersilia Soudais à l’Assemblée nationale, notons encore son refus d’inscrire le groupe Wagner sur la liste des organisations terroristes, au motif que la France utiliserait cette proposition pour « se défausser de la responsabilité de l’usage de la violence et de la force »...


(2) J'ai été deux ans durant, à la fin des années 1970, journaliste parlementaire pour L'Humanité. Jamais je n'ai entendu se manifester de telles invectives. Jamais je ne vis les députés de la gauche créer un chaos d'une telle ampleur au sein de l'hémicycle. Et pourtant la confrontation et le choc des idées, ainsi que les luttes sociales y étaient bien présentes. 


(3) - Écrivain-essayiste, se disant "laïque et féministe engagé", Naëm Bestandji est notamment auteur de Le linceul du féminisme. Caresser l'islamisme dans le sens du voile, éditions Seramis, novembre 2021.


(4) -  Elias d’Imzalène administrait depuis 2011 le site Islam et Info », sous-titré « L'info par les Musulmans pour les Musulmans ». Celui-ci a été fermé tout récemment (pour invisibiliser certaines archives ?), mais le compte X (ex-Twitter) reste actif. Et sur Facebook,  la page d’Elias d’Imzalène est suivie par plus de 540.000 personnes.


(5) - Nous sommes proches ici des théories de psychologie sociale du très réactionnaire Gustave Le Bon dans son célèbre La psychologie des foules.


(6) - Marx, pourtant  friand de « masses populaires faisant l'Histoire », traite en ouverture de son Dix huit Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte du rôle des « grands hommes » dans l'histoire en train de se faire : évoquant Napoléon, 1er, il écrit ainsi : « Napoléon créa, à l'intérieur de la France, les conditions grâce auxquelles on pouvait désormais développer la libre concurrence, exploiter la propriété parcellaire du sol et utiliser les forces productives industrielles libérées de la nation, tandis qu'à l'extérieur, il balaya partout les institutions féodales dans la mesure où cela était nécessaire pour créer à la société bourgeoise en France l'entourage dont elle avait besoin sur le continent européen ».

 

(7) – Que l’on se rappelle la mise à l’écart de certains Insoumis de la première heure comme messieurs Ruffin, Corbière, mesdames Autain, Guarrido... « Le mouvement se renforce en s'épurant » aimait on dire, avec délectation dans les organisations révolutionnaires, à la suite de Lénine, pour justifier l'injustifiable.


(8) - Un extrait de cette conférence est à voir dans « Marx, et le printemps revient », publié par les humanités le 30 mars 2023. Conférence au cours de laquelle Jean-Luc Mélenchon avouait sans fard avoir choisi la voie du populisme...


(9) - Entretien avec Souleymane Bachir Diagne dans « Le monde d’Elodie », sur France info, le 19 novembre 2024. A écouter en replay ICI.  A lire, de Souleymane Bachir Diagne : Universaliser. Pour un dialogue des cultures, Albin Michel, 2024 ; et Ubuntu. Entretien avec Françoise Blum, Editions de l’EHESS, 2024


(10) - Cf le reportage d'Hélène Chevallier sur France Inter le 5 novembre 2024 : « Anna, bénévole pour la candidate verte Jill Stein, souhaite la défaite de Kamala Harris ». On peut y apprendre que la campagne de la candidate est centrée volontairement sur «  le génocide en cours à Gaza ». Et Anna de répondre à cette question de la journaliste : «  Vous répondez quoi à ceux qui disent que vous serez peut-être responsable de la victoire de Trump ? » Anna hausse le ton : « Je dis aux gens de s'amuser avec ça. Vous savez, amusez-vous à penser que Kamala Harris, qui est connectée à toutes les mêmes entités sionistes maléfiques qui nous ont donné Biden, n'est pas plus capable de destruction. Et une autre chose, c'est que les gens vont s'organiser contre Donald Trump. Ils vont s'organiser. Ils seront dans la rue. Le mouvement prendra de l'ampleur s'il gagne. Alors, est-ce que j'ai peur qu'il gagne ? Pourquoi ? Quelle menace représente-t-il  ? »


(11) - "Fore, chéri, fore. L’ouragan Donald frappe les États-Unis (et pas seulement)", publié par les humanités le 9 novembre 2024.


(12) - Selon un sondage mené pour la Licra par l'IFOP en décembre 2021 sur les lycéens, la place que la religion tient dans la vie de ces adolescents peut entrer en conflit avec leur perception de la République et de ses lois, puisque 40 % des lycéens déclarent partager l'affirmation selon laquelle « les normes et règles édictées par votre religion sont plus importantes que les lois de la République ». Dans la population française en général, cette statistique n'est que de 23 %. Pour comparaison : là où seuls 33 % des étudiants catholiques se reconnaissent dans cette affirmation, les jeunes musulmans la partagent à 65 %. Un conflit qui pourrait d'ailleurs concerner le rapport des cultes entre eux, puisque 65 % des lycéens musulmans déclarent que leur religion « est la seule vraie religion », là où seuls 27 % des jeunes catholiques l'affirment. »


(13) - La conférence de Bandung s'est tenue du 18 au 24 avril 1955 à Bandung, en Indonésie, réunissant pour la première fois les représentants de vingt-neuf pays africains et asiatiques dont Gamal Abdel Nasser (Égypte), Jawaharlal Nehru (Inde), Soekarno (Indonésie) et Zhou Enlai (Chine). Cette conférence marqua l'entrée sur la scène internationale des pays décolonisés du « tiers monde ». Ceux-ci ne souhaitant pas intégrer les deux blocs qui se font face, menés par les États-Unis et l'URSS, choisissent le non-alignement. 


(14) - La République arabe unie (abrégée en RAU ; en arabe : الجمهورية العربية المتحدة / al-jumhūriyya al-ʿarabiyya al-muttaḥida), est un État créé en 1958 par l'union de l'Égypte et de la Syrie puis, pendant une courte période, du Yémen. L'union disparaît en 1961 mais l'Égypte continue à être appelée sous ce nom officiel jusqu'en 1971.  


(15) -  Certains intellectuels pêchèrent par d'autres aveuglements?. Qu'il suffise ici de mentionner les écrits de la journaliste et écrivaine italienne Maria Antonietta Macciochi dont l'ouvrage De la Chine (Éditions du Seuil, 1974) fut une référence incontournable pour les maoïstes européens, et ceux du philosophe Alain Badiou, indéfectible soutien de Pol Pot et des Khmers rougesau Cambodge (cf sa célèbre tribune "Kampuchéa vaincra" publiée par Le Monde le 17 janvier 1979).


 

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