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Heil Trump !

Photo du rédacteur: Jean-Marc AdolpheJean-Marc Adolphe

Dernière mise à jour : 23 janv.

Elon Musk sur la scène de la Capital One Arena à Washington, le 20 janvier 2025. Photo Sabine Weiss / AFP


EDITORIAL C'est un geste qui le démangeait depuis si longtemps... Il ne manquait plus, lors des cérémonies d'investiture de Donald Trump à Washington, que le salut nazi d'Elon Musk. Maintenant, c'est fait. Au-delà de l'indignation planétaire qu'il provoque, reste à se demander d'où vient ce geste et ce qu'il augure. Et aussi, à toutes fins utiles : maintenant, on fait quoi ?


Il l’a fait. Excité comme une puce, sur la scène de la Capital One Arena à Washington, lors d’un meeting après l’investiture de Donald Trump, Elon Musk est au comble de la jubilation. Tout à sa joie d’une victoire "historique" et à la perspective d’aller bientôt planter la bannière étoilée sur Mars, le richissime boy friend du nouveau président américain entre dans une sorte de transe qu’il semble avoir du mal à contenir. C’est plus fort que lui, ça le déborde. Et là, à peiner une minute après être "entré en scène", s’adressant aux supporters de Trump massés là, et devant les caméras du monde entier, Musk fait le salut nazi.


Il ne lève pas simplement le bras et la main pour remercier les supporters de Trump : c’est, sans aucune ambiguïté, le "Sieg Heil" hitlérien. Il faut voir, dans la séquence vidéo ci-dessous, la seconde qui précède et accompagne ce salut nazi. Il faut voir le rictus du visage, le surgissement hargneux du geste, et ce que dit juste ensuite Donald Musk : l’avènement d’une « civilisation future ». Il n'a pas osé dire "aryenne"


Elon Musk sur la scène de la Capital One Arena à Washington, le 20 janvier 2025 (depuis le compte X d'Elon Musk)


Ce salut nazi, se dit-on alors, vient de loin. Il surgit là, un soir de victoire, où Musk peut enfin lâcher, sans retenue, un geste enfoui en lui, refoulé, qu'il brûlait depuis si longtemps de pouvoir faire en public. Un geste trop longtemps rentré, qui jaillit là comme un remugle. Biberonné au régime sud-africain de l'apartheid, qui a irrigué sa formation intellectuelle, Donald Musk a comme maître à penser, depuis longtemps, un "intellectuel" dont nous avons déjà parlé, Curtis Yarvin, alias Mencius Moldbug, pour qui les nazis, en Allemagne, ont fait du bon boulot. Et il a offert son ralliement à Trump, dont les ouvrages préférés, est un livre de discours d'Adolf Hitler (comme l'avait révélé, dans une interview pour Vanity Fair, Ivanna Trump, la première épouse du magnat).


Tout comme Mencius Moldbug, Donald Trump pense que le dictateur du IIIème Reich a "aussi fait de bonnes choses", comme l'a confié au New York Times le général à la retraite John Kelly, ex-chef de cabinet de Trump lors de son premier mandat. L'une des premières décision de Donald Trump aura été de lever l'interdiction aux États-Unis de la plateforme chinoise TikTok. Pour amadouer l'ours Xi Jinping ? Peut-être, mais pas seulement.


Comme l’a révélé un rapport publié le 17 septembre dernier par l'ONG américaine Media Matters, prolifèrent sur l’application TikTok (depuis avril 2024) des discours d'Adolf Hitler, traduits en anglais par l’IA, qui le font passer pour un homme qui aurait été diabolisé, en niant ou en minimisant la gravité de ce qu'il a fait. Ces vidéos ont été vues des millions de fois. Et ça, ça plait bien à Trump-Musk… Comme l’écrit France info, « ces vidéos sont difficiles à repérer et passent souvent sous les radars. Les extraits audio ne contiennent pas de grossièretés ni de propos ouvertement racistes ou antisémites. De plus, il n'est pas toujours précisé qu'il s'agit de discours d'Adolf Hitler, parfois, il est désigné par les surnoms "le grand peintre" ou "le grand peintre autrichien", en référence à sa carrière ratée de peintre et à sa naissance en Autriche. »


« Historiens et politologues sont de plus en plus nombreux à qualifier Donald Trump de "fasciste" », estime France info dans un article publié ce 20 janvier. Il serait temps ! Avec des pudeurs de gazelles effarouchées, beaucoup de commentateurs médiatiques se contentent de (re)prendre pour argent comptant la fadaise macronienne d’une « internationale réactionnaire ». Aux humanités, nous avons parlé dès le 19 novembre d’une « facho-tech au cœur de Trumpland » (ICI). Cette chronique n'a nulle part été citée ni mentionnée, au motif que nous "exagérions"...


Peter Thiel en 2019. Photo Kiyoshi Ota/Bloomberg


L’un des artisans de cette "facho-tech", et non des moindres, rallié dès 2016 à Donald Trump, s’appelle Peter Thiel. Cofondateur de PayPal, investisseur dans Facebook aux débuts du réseau social, il préside aujourd’hui la société Palantir, une entreprise de collecte de données qui a prospéré grâce à ses contrats avec le Pentagone et la CIA.


Ce Peter Thiel s’est fendu voici quelques jours, juste avant l’investiture de Donald Trump, d’une tribune remarquée dans The Financial Times. Promettant la prochaine révélation d’une « vaste conspiration millénaire » (depuis 1619, date du débarquement des premiers esclaves noirs en Virginie à la crise du Covid, en passant par l’assassinat de Kennedy) orchestrée par les  « organisations médiatiques, bureaucraties, universités et ONG financées par l’État qui délimitaient traditionnellement la conversation publique », Peter Thiel annonce l’apocalypse (apokálypsis) des secrets de l’ancien régime, qui va provoquer son effondrement (la tribune de Peter Thiel a été traduite en français et brillamment décortiquée par la rédaction de Grand Continent, ICI). Il disait voici déjà plus de vingt ans : « Je ne crois plus que la liberté et la démocratie soient compatibles ». Au moins, c’est clair…


Et maintenant, on fait quoi ?


Et maintenant, on fait quoi ? Suprême acte de résistance, nombreux sont ceux qui annoncent fièrement « quitter X » et exhiber leur désertion sur d'autres réseaux sociaux (plutôt Bluesky -à peu près similaire à X- que Mastodon, pourtant beaucoup plus éthique-, voire Facebook). Quel acte de bravoure ! (1).


Lors de l’émission « L’Esprit public », ce dimanche 19 janvier sur France Culture, l’essayiste et éditeur Jean-François Colosimo (directeur des éditions du Cerf) a glissé des éléments de réflexion intéressants, pour nous qui sommes "progressistes". Selon lui, « nous avons vécu, depuis les Lumières, sur l'empire du progrès, voire de la religion du progrès, et cette religion prend fin sous nos yeux. Ce camp du progrès est d’abord divisé (il n'y a qu'à voir par exemple la gauche française) sur la question de savoir si les droits doivent être illimités dans leur individuation. Ce camp progressiste devrait parfois se demander pourquoi il a nourri une telle « réaction » au sens chimique du terme, plutôt qu’au sens idéologique. Or ce camp ne se pose pas la question, parce qu’il reste en quelque sorte adhérent à sa religion du progrès, mais ce progrès-là est fini. La modernité est finie. Nous sommes rentrés dans une post-modernité, c'est-à-dire une modernité qui se continue sans plus de projet d'espérance et qui procède par collages. la post-modernité c'est en fait le mariage du progrès qui est rapporté simplement à la technologie, avec des réflexes très archaïques d'identité. Si on ne veut pas comprendre ça, on ne comprend pas ce qui se passe. (…) Si on ne veut pas analyser le nihilisme qu'a créé aussi la modernité, avec son matérialisme et son consumérisme, et son absence, au fond, d'horizon eschatologique, d'horizon d'espérance, on ne comprendra pas de quoi ils [Trump et autres] sont la réaction. »


Indépendamment de ce que sont ses engagements théologiques (mais non dogmatiques), Jean-François Colosimo pose-là une question essentielle : quels "horizons d’espérance" nos sociétés démocratiques sont-elles capables de former aujourd’hui pour faire front à l’illibéralisme des gourous d’une technologie toute-puissante (la question de l’Intelligence artificielle et de ses usages commence à peine à se poser), alliés au salut nazi d’un Elon Musk (mais derrière lui, bien d’autres "nazillons" cachés sous le masque de telle ou telle "identité passée", et souvent fantasmée (Make tout-ce-que-vous-voulez Great Again).


Ce travail intellectuel, éditorial, politique, est aujourd’hui hautement nécessaire. Nous le disions déjà en juillet dernier, au lendemain des élections législ-hâtives en France (ICI), en citant Bernard Stiegler (in Mécréance et discrédit), sur « la décadence des démocraties industrielles »:


« Il faut que la société opère une seconde suspension pour que se constitue une époque à proprement parler, ce qui signifie : pour que s’élabore une pensée nouvelle se traduisant dans de nouveaux modes de vie, et, autrement dit, que s’affirme une volonté nouvelle d’avenir, établissant un nouvel ordre -une civilisation, une civilité réinventée. (…) Une pensée n’a de sens que si elle a la force d’ouvrir à neuf l’indétermination d’un avenir. Mais il ne peut s’agir de nouveaux modes de vie que si ces vies constituent de nouveaux modes d’existence : la vie humaine est une existence. »

 

Quand on voit le niveau du débat politique en France, on n’est pas sortis de l’auberge ! Dans la foulée de ces élections, nous avions appelé à « faire humanités communes ». Faute de moyens, et d’élans, cet appel est resté lettre morte. Peut-être n’est-il pas trop tard ? En face, en tout cas, le néo-nazi Elon Musk n’est pas du genre à attendre…


Jean-Marc Adolphe


(1) - Pour ma part, bien qu'ayant aussi des comptes Bluesky et Mastodon, je ne quitte pas X, sans rien payer ni y publier quoi que ce soit. Je n'aurais pas pu documenter la déportation des enfants ukrainiens en Russie sans m'informer sur certains sites russes, et même consulter des comptes de propagande pro-russe (ne serait-ce que pour mesurer l'ampleur de la désinformation). En tant que journaliste, X restera une source d'information (et parfois, non seulement les "posts", mais aussi certains commentaires très instructifs. Je dis cela par honnêteté, non par prosèlytisme -comme m'en a accusé voici deux jours le rédacteur en chef adjoint d'un journal "de gauche"-).

 

Parce que vous le voulez bien, les humanités, ce n'est pas pareil. Indépendants, sans publicité, notre liberté de dire n'est pas négociable. Mais qu'on le veuille ou non, la liberté a un prix. Dons ou abonnements ICI





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