Tbilissi, le 5 mai 2024. Photo Dima Zverev
L'éditorial de Tzotzil Trema pour l'autre journal du dimanche du 5 mai, reporté au lundi 6 mai. A suivre...
Ils sont fous, ces Géorgiens !
J'avoue, oh toi la Géorgie, je te connaissais à peine, mis à part juste quelques films de Otar Iosseliani, surtout Il était une fois un merle chanteur (1970), vu il y a déjà longtemps, au ciné-club d'une MJC, quand il y avait encore des ciné-club et des MJC. On a le droit de me traiter de veux con, j'ai passé l'âge d'être jeune. Mais la jeunesse, c'est pas rien.
Et puis voilà que déboule une jeunesse géorgienne dont j'ignorais tout. J'ai suivi ce qu'ont publié les humanités, je vois des visages, des sourires et des désirs. Le rédac' chef des humanités me dit qu'il est amoureux de cette jeunesse, ça ne m'étonne qu'à moitié, depuis qu'on se connait, et ça fait un bail, il tombe en amour, comme on dit chez moi au Québec, pour un rien, tous les quatre matins, voire plus. C'est sa drogue.
Si j'ai bien lu, les humanités ont là-bas, à Tbilissi, une correspondante de 27 ans, à peu près l'âge de ma fille. Elle, ma fille, ce qui la scandalise et l'interloque, ce n'est pas que Poutine, par oligarque interposé, puisse imposer sa loi à la jeunesse géorgienne, c'est que les États-Unis (et bientôt l'Europe ?) puissent interdire tik tok. Pour ça, elle est prête à descende manifester : "touche pas à mon droit d'être asservie". C'est son côté "Trump, je ne l'aime pas, mais au moins il n'interdira pas Tik Tok". Elle serait américaine, elle voterait Trump, heureusement elle n'est pas américaine, d'ailleurs elle n'est inscrite sur aucune liste électorale parce que la politique, qu'elle dit, c'est un truc de vieux. En un sens, je la comprends, en plus c'est ma fille donc je l'aime bien.
J'en reviens aux Géorgiens, et comme je disais au début, ils sont fous. Je regarde ce qu'ont publié les humanités, et je tombe sur le cul. Non mais franchement : à l'opéra de Tbilissi, ils chantent l'hymne européen, dont les paroles disent : "Joie ! Joie ! Belle étincelle divine, / Fille de l’Élysée, / Nous entrons l'âme enivrée / Dans ton temple glorieux. / Ton magique attrait resserre / Ce que la mode en vain détruit ; / Tous les hommes deviennent frères / Où ton aile nous conduit. (...) Tous les êtres boivent la joie, / En pressant le sein de la nature / Tous, bons et méchants, / Suivent les roses sur ses traces, / Elle nous donne baisers et vendanges, / Et nous offre l’ami à l’épreuve de la mort, / L'ivresse s’empare du vermisseau, / Et le chérubin apparaît devant Dieu. (...)". Paroles de Schiller, musique de Beethoven, plus pompier tu meurs, c'est romantique, quoi. Personnellement, j'aime assez les pompiers, mais pas les romantiques, vu qu'ils sont romantiques. Et j'adhérerai à la révolution géorgienne le jour où sa jeunesse adoptera comme hymne Imagine de John Lennon, par exemple.
En plus, je n'aime pas les drapeaux, et là je vois quoi ? Cette jeunesse géorgienne, non seulement elle s'enroule dans le drapeau géorgien, mais aussi dans le drapeau européen, et à mon humble avis elle se fait enrouler dans la farine. Personnellement, il y a une trentaine d'années, je me suis exilé un peu loin de tout ça, à une dizaine de kilomètres de Bonaventure, en Gaspésie (Québec), parce que j'en avais souper de l'Europe, et de la France en particulier, qui allait se choisir comme président un zozo comme Emmanuel Macron (au début des années 2000, quand je suis parti, Macron personne le le connaissait encore, mais c'était prévisible, comme aujourd'hui Le Pen-Bardella c'est prévisible, vu qu'ils ont aujourd'hui deux très bons directeurs de campagne, Macron et Mélenchon). Là où je suis maintenant, au moins les gens sont simples, et ils ne se font pas farcir la tête toutes les saintes journées par BFM et CNews, mais le monde n'est pas parfait, même ici, Tik Tok a réussi sa percée jusque dans la caboche de ma fille. Les caribous voisins, eux, n'ont pas Tik Tok, et ils sont restés assez sauvages.
Je ne voudrais pas faire plus vieux con que je ne le suis déjà. Évidemment, la jeunesse de Géorgie, je la kiffe. Ils et elles rêvent d'Europe. Évidemment, comparé à la mafia russo-poutinienne dont leur Premier ministre, Iraki Kobakhidze, sorte de Gabriel Attal local, est un rejeton patenté, c'est mieux. Le plus drôle c'est que le parti au pouvoir, là-bas, s'appelle "le Rêve Géorgien", c'est un rêve genre cauchemar, et ce rêve-là, la jeunesse géorgienne n'en veut pas, et elle a mille fois raison. Donc elle rêve d'Europe. C'est rêve contre rêve.
Nous autres, déjà européens, même exilés comme moi du côté de Bonaventure en Gaspésie, ce rêve d'Europe devrait nous réveiller. Est-ce encore possible ? On nous a mis sous sédatifs depuis si longtemps.... Mais bon, on peut toujours rêver. Alors, revenons au réel. Pour la jeunesse géorgienne, et pas que, quelle Europe ?
TZOTZIL TREMA,
Bonaventure, 4 mai 2024
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