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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Guernica-Marioupol et autres chroniques de guerre


Photo Alexander Chekmenev, issue de la série "Gens de Kiev" (lire dans l'article).


Mercredi 23 mars, 27ème jour de guerre en Ukraine. Vladimir Poutine poursuit une stratégie du désastre qui sème mort et désolation mais qui continue de se heurter au courage ukrainien. Et, selon certaines sources, déjà près de 10.000 soldats russes sont morts pour rien. Au sud du pays, sur la mer d'Azov, Marioupol a été saccagée, et au moins 100.000 personnes y attendent évacuation ou aide humanitaire. Mais un jour, Marioupol refleurira.


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Vladimir Poutine prétendait vouloir « dénazifier » l’Ukraine. Borys Romanchenko, 96 ans, a fait les frais de cette « dénazification ». Il a été tué à la fin de la semaine dernière dans le bombardement russe de sa maison à Kharkiv, ville assiégée dans le sud-ouest de l’Ukraine.

Borys Romanchenko, tué dans un bombardement à Kharkiv


Vice-président en Ukraine du Comité international des survivants de Buchenwald, Borys Romanchenko avait survécu à quatre camps de concentration nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Né en janvier 1926 dans le village ukrainien de Bondari, près de la ville de Soumy, au nord-est du pays, Borys Romanchenko a été victime de crimes de guerre nazis en 1942 lorsqu’il a été contraint de travailler pour la machine de guerre. Il a ensuite été interné au tristement célèbre camp de concentration de Buchenwald en janvier 1943 après une tentative d’évasion ratée avant d’être transféré au camp de Peenemunde où il a aidé à construire des fusées V2. Après cela, il a été transféré dans deux autres camps de concentration à Mittelbau et Bergen-Belsen.

En avril 2015, lors d’une cérémonie devant l’ancien camp de concentration de Buchenwald pour marquer sa libération 70 ans auparavant, Romanchenko avait récité le serment des survivants de Buchenwald : « Construire un nouveau monde de paix et de liberté est notre idéal ».

Une partie du centre commercial Retroville à Kiev. Photo Lynsey Addario / The New York Times


Des victimes civiles, il y en a à foison. Le bombardement d’un centre commercial à Kiev, ce week-end, a fait au moins huit morts. Dans ce centre commercial, il y avait notamment un magasin Leroy-Merlin, enseigne française qui a par ailleurs maintenu ses activités en Russie.


Barthélémy Guislain,

qui dirige l’Association familiale Mulliez (AFM),

et Gérard Mulliez,

fondateur du groupe de distribution Auchan,

en juillet 2017.

Photo Franck Crusiaux.

“Une vie à construire”. Publicité Leroy-Merlin, 2021


Fondée en 1921 par la famille Leroy Merlin et rachetée en 1981 par la famille Mulliez, l’enseigne Leroy Merlin a été intégrée au Groupe Adeo, propriété avec Auchan et Décathlon de la même famille Mulliez, à la tête d'une fortune professionnelle évaluée à 26 milliards d'euros en 2020 et classée sixième de France.


Après le bombardement du centre commercial à Kiev, Des salariés de la branche ukrainienne de Leroy Merlin ont demandé à l’enseigne française, ainsi qu’aux autres enseignes de l’association familiale Mulliez de cesser leurs activités en Russie. La pétition lancée à recueilli à ce jour plus de 13.000 signatures (Signer ICI)


Au fond, Leroy Merlin se dit peut-être que cette guerre en Ukraine est une aubaine pour le business de demain. Il y aura plein de maisons à reconstruire et équiper ! Et pas seulement dans les grandes villes. Ce mardi 22 mars, l’armée russe a ainsi bombardé la paisible ville de Lozova (58.000 habitants), dans la région de Kharkiv.


Bombardement à Lozova, dans la région de Kharkiv


Cette stratégie du désastre, les Ukrainiens en paient évidemment le prix fort. Mais l’armée russe est loin de sortir indemne du champ de bataille. La Russie n’a plus communiqué sur ses pertes militaires depuis le 2 mars, date à laquelle elle avait annoncé 498 morts. Toutefois, dans la nuit de dimanche à lundi, Komsomolskaya Pravda, tabloïd proche du Kremlin, a laissé fuiter un rapport du ministère russe de la Défense qui recensait 9.861 morts et 16.153 blessés dans les forces armées russes depuis le début de la guerre en Ukraine. L’article est resté en ligne toute la journée, avant d’être retiré en soirée. Komsomolskaya Pravda a alors publié un communiqué expliquant que « l’accès à l’interface administrateur avait été piraté »

Serait-ce l’œuvre du plus célèbre des hackers ukrainiens, prénommé Igor ? Ce trentenaire, qui préfère ne pas dévoiler son nom de famille, vit à Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine, et travaille comme chef de produit pour le site web Jooble. « J'utilise un MacBook pour le travail et un autre pour attaquer les sites web russes », confie-t-il joyeusement.


Igor, hacker ukrainien.


Photo Ivor Prickett / The New York Times


Vitali, 20 ans, tente pour sa part de poursuivre ses études d’économie. Comme des milliers d’habitants de Kiev, il est terré dans un bunker souterrain depuis le début de la guerre. Avec son ordinateur portable.


"Nous devenons plus courageux"

Taras Kobliuk, 33 ans, et Nina Savenko, 33 ans, mari et femme, sont des artistes qui travaillent ensemble comme lithographes. Lorsque la guerre a commencé, ils avaient de l'argent de côté et se sentaient en bonne santé. Ils ont décidé, dit Savenko, "d'utiliser nos forces pour aider notre ville". Le couple a évacué Maia, leur fille de 7 ans, avec ses grands-parents, à Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine. Puis ils ont fait partie d'un groupe qui rassemble et livre des médicaments à vélo et en voiture. De longues files d'attente se sont formées dans les pharmacies, et les stocks de certains médicaments se sont épuisés. "Nous avons passé deux jours à essayer de trouver les médicaments nécessaires pour un enfant épileptique", raconte Kobliuk. Le jour, Savenko et Kobliuk travaillent à l'extérieur et se déplacent dans tout Kiev, au risque d'être pris dans une frappe aérienne ou une attaque d'artillerie ou de roquettes. La nuit, ils dorment dans une petite tente dans un parking souterrain. Au début, ils vivaient deux niveaux sous terre. Puis ils sont montés d'un niveau, plus près des munitions et de l'air. "Nous devenons plus courageux", dit Nina Savenko.

- Photo en tête d'article, issue d'un portfolio d'Alexander Chekmenev, "Gens de Kiev", mis en ligne par le New York Times : https://www.nytimes.com/interactive/2022/03/18/magazine/ukraine-war-kyiv.html

Alexander Chekmenev est un photographe connu pour ses portraits et son travail documentaire. Il est né dans la région du Donbass, et il vit et travaille à Kiev depuis 1997. Il a été nommé photographe de l'année en Ukraine en 2014 par Foto.ua.


Photos : Le Lavo//Matik © Paris Secret & @l_empreinte_jo_v


Et la solidarité dans tout ça ? Au niveau des citoyens, des associations, etc., elle ne faiblit pas. Un exemple parmi d'autres : à Paris, selon la rédactrice en chef de Paris Secret, des street-artistes préparent un live painting intitulé « Les Marches de la Paix ». « Il y a des sujets sur lesquels nous ne pouvons pas rester indifférents, dit ainsi Benoît, l'un de ces artistes, à la tête du Lavo//Matik. Si la peinture seule n’apportera pas la paix au moins elle réveillera les cœurs et les consciences ».

Photo Vladimir Zivojinovic / AFP


Et dans le monde entier, des manifestations se poursuivent, comme en Serbie, dimanche dernier, où des manifestants ont déployé un drapeau ukrainien géant.


La Pologne en première ligne. A Medyka, à la frontière ukraino-polonaise, Julia Pascual, envoyée spéciale du Monde, décrit un véritable « festival humanitaire » : « Dans cette ville frontière polonaise, il n’y avait rien ou presque il y a encore trois semaines. Mais à la faveur d’un élan de solidarité massif, ils sont nombreux à affluer de partout, désormais, pour participer ici à l’accueil des réfugiés. Sur le chemin pavé qui mène du poste-frontière à la route, des dizaines de stands ont fleuri. On y croise l’organisation United Sikhs, le Croissant rouge égyptien ou des Témoins de Jéhovah. On y trouve aussi des cartes SIM polonaises, des crêpes au Nutella, de la pâtée pour chiens, des cahiers de coloriage ou des serviettes hygiéniques. Le tout est distribué à profusion et gratuitement. »

« Il y a parfois plus d’"humanitaires" que de réfugiés sur place », écrit la journaliste du Monde. « "Je ne sais pas comment les réfugiés feraient sans les bénévoles mais, en même temps, on dirait que certains sont là par hasard et que c’est eux qui ont besoin d’aide", confie une Franco-Polonaise présente à Pzremysl. Le foisonnement d’initiatives dessine en creux l’absence d’une réponse structurée. "Il faut savoir qu’il y a un mois, il n’y avait aucune ONG internationale dans le pays et seulement trois agences de l’ONU, souligne Christine Goyer, chargée du Haut-Commissariat aux réfugiés en Pologne. Le pays n’avait jamais été dans un contexte de crise humanitaire". » (Reportage à lire ICI)

Accueil de réfugiés d’Ukraine au Centre des expositions de Varsovie. Photo Megan Specia


Selon les chiffres des Nations unies, plus de deux millions de personnes sont passées en Pologne pour chercher refuge depuis le début de la guerre. Si certains Ukrainiens ont la possibilité de retrouver de la famille de l’autre côté de la frontière, beaucoup trouvent un premier point de chute au Centre des expositions de Varsovie, aménagé en temps record pour pouvoir héberger jusqu’à 10.000 personnes.

« Jusqu'à présent, il n'y avait pas de camps de réfugiés en Pologne », écrit dans un reportage pour le New York Times Megan Specia. « Des organisations caritatives, des entreprises, des particuliers et des responsables locaux ont mis en commun leurs ressources pour relever le défi logistique que représente l'accueil rapide d'un si grand nombre de personnes ». Jakub Mroczkowski, un représentant du gouvernement régional, qui a participé à l'organisation du site d'accueil, déclare que la plupart des réfugiés sont restés un jour ou deux pour se reposer et prendre un repas chaud avant de repartir. Quelque 25.000 personnes sont passées par le site jusqu'à présent.

La plupart des personnes qui apportent leur aide sont des bénévoles, des membres d'organisations caritatives ou le personnel du centre d'exposition. À l'intérieur, on trouve des aires de jeux pour les enfants, une clinique médicale, des douches, des toilettes, des stations de recharge et une cantine. Des dons de vêtements, de poussettes, de fauteuils roulants, de couches, de porte-animaux et d'autres articles de première nécessité sont empilés dans un coin…


Un jour il faudra reconstruire. Nul ne sait combien de temps durera la guerre d’Ukraine, et ce que l’armée russe aura eu le temps de saccager et détruire. De Marioupol, aujourd’hui, il ne reste quasiment plus rien. Immeubles et maison, hôpitaux, théâtre, école d’art, tout est aujourd’hui en ruines. « La prochaine cible », avaient annoncé les humanités dès le 1er mars (Lire ICI). Sans eau, ni chauffage, ni nourriture, ni médicaments, 200.000 personnes restent coincées dans la ville martyre. L’armée russe a systématiquement bloqué les convois humanitaires qui se dirigeaient vers Marioupol. Marioupol, nouvelle Grozny, nouvelle Alep, nouvelle Guernica, du nom de cette ville basque détruite le 26 avril 1937 par les aviateurs de la légion Condor, envoyés par Hitler afin de soutenir le général Franco. Guernica immortalisée par Pablo Picasso, mais aussi par un chanteur basque, Mikel Laboa (1934-2008), dont une chanson fut interprétée fut interprétée par Joan Baez dans ses paroles d’origine. Mikel Laboa est monté sur scène pour la dernière fois à Saint-Sébastien, le 11 juillet 2006, en première partie de Bob Dylan pour un Concert pour la paix. Mikel Laboa avait composé en 1972 un magnifique Gernika (Guernica en basque), comme une longue plainte, interminable, accompagnée d’accords discordants à la guitare : un long cri, sifflement des bombes qui tombent, cris des mourants, des blessés, des brûlés et de l’impuissance désespérante ; quelques paroles pour reprendre son souffle, silence après les bombes, et à nouveau les hurlements devant la maison détruite la famille à l’intérieur, la découverte d’un proche mort, brulé amputé, les appels sans réponses ; toute l’horreur de la guerre résumée, l’horreur de toutes les guerres.


Concernant Marioupol, le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell, a dénoncé « un crime de guerre majeur ». Mais à part dénoncer, rien de concret.

A la Une du quotidien Sud-Ouest, le 18 mars 2022


Le 18 mars, Emmanuel Macron a « exprimé à Poutine sa préoccupation extrême sur Marioupol ». Il en faut plus pour intimider le maître du Kremlin, et surtout pour venir au secours des habitants de Marioupol. Le peuple ukrainien a compris qu’il ne pouvait compter sur lui-même (et une solidarité effective des citoyens européens, mais pas de leurs gouvernants). Ce mardi 22 mars, dans une vidéo, la vice-première ministre ukrainienne, Iryna Verechtchouk a dit se concentrer « sur l’évacuation des habitants de Marioupol ». Trois couloirs humanitaires devraient être ouverts entre trois localités proches de Marioupol et la ville de Zaporijia, à 250 km au nord-est, selon Mme Verechtchouk. « Il n’y aura pas suffisamment de place pour tout le monde », mais « nous allons poursuivre l’évacuation selon le même algorithme jusqu’à ce qu’on ait sorti tous les habitants de Marioupol », a ajouté Iryna Verechtchouk. Ce même mardi, une lueur est enfin venue d’Athènes.

Le ministre grec des affaires étrangères, Nikos Dendias, a déclaré vouloir diriger une mission humanitaire à Marioupol, qui abrite des milliers de personnes d'origine grecque. Nikos Dendias a déclaré que la priorité de la Grèce était de protéger les civils non armés, ajoutant qu'il avait déjà informé les autorités ukrainiennes et russes de la mission humanitaire.

« J'ai l'intention de diriger cette assistance en personne », a-t-il déclaré dans des déclarations faites à la presse après avoir rencontré le consul général de Grèce à Marioupol, Manolis Androulakis, le dernier diplomate européen à avoir quitté le port ukrainien assiégé.

Une importante minorité grecque vit à Marioupol.

Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, sera-t-il prêt à accompagner en personne son homologue grec ? C’est peu probable, ce jour-là, il aura sans doute piscine.


Mais un jour de (révolution) orange reviendra. Un jour, Marioupol retrouvera les fresques murales qui faisaient sa fierté, Marioupol retrouvera ses couleurs. Le printemps est inéluctable : Marioupol refleurira.


Jean-Marc Adolphe


Marioupol avant la guerre
































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