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François Bayrou, le pousse-au-crime

Photo du rédacteur: Jean-Marc AdolpheJean-Marc Adolphe

Dernière mise à jour : 21 janv.

François Bayrou. Photo Ludovic Marin


ÉDITORIAL C'est sans précédent dans la Vème République. Au moment où un militant écologiste était placé en garde à vue dans les Landes, l'intérimaire Premier ministre attaquait des serviteurs de l’État, dont les missions sont pourtant fixées par la loi. En désignant à la vindicte, dans un discours de politique générale, les "inspecteurs" de l'Office français de la biodiversité, François Bayrou encourage de facto les agissements criminels (locaux saccagés, agressions) dont ils sont victimes, depuis des mois.


Avant-hier, 17 janvier 2025, sur l’ordre de l’État français, via la Préfète des Landes Françoise Tahéri, un écureuil a été placé en garde en vue. Les "écureuils", ainsi surnomme-t-on ces militants écologistes qui occupent les arbres dont ils prennent la défense. Ce mouvement a été créé en 2019 par Thomas Brail, un grimpeur arboriste qui alerte sur la destruction d’arbres sains en France.


Reva est l’un de ces "écureuils". Les humanités l’avaient interviewé en avril 2024 (ICI) ; il était alors engagé dans le combat contre le trajet de la future A 69 qui devrait relier Toulouse à Castres. Aujourd’hui, Reva participe aux actions du collectif Stop THT 40, qui protestent contre le tracé de la future ligne à très haute tension (THT) du golfe de Gascogne, qui doit relier la France et l’Espagne. Tracé qui impliquerait de déboiser, sur 130 kilomètres, à travers Gironde, Landes et Pyrénées-Atlantiques, un certain nombre de parcelles forestières, sans parler des éventuels risques sanitaires liés à l’enfouissement de lignes de 400.000 volts à un mètre vingt sous le sol.


Dès 2021, la première enquête publique sur le tracé de cette ligne à très haute tension avait recueilli 94 % d’opinions hostiles. La commissaire enquêtrice a toutefois rendu un avis favorable au projet : l’avis des gens, on s’en fout. En août 2022, le Conseil national de la protection de la nature a rendu un avis défavorable à ce même projet de tracé. Le Conseil national de la protection de la nature, on s’en fout pareillement.


Le collectif Stop THT 40, qui s’est constitué en 2021, ne conteste pas le projet lui-même de ligne à haute tension, mais préconise un autre tracé, qui longerait l’autoroute A63. Alors que des recours juridiques sont en train d’être étudiés par les tribunaux, l’opérateur du projet (RTE, Réseau de transport d’électricité) et la Préfète des Landes accélèrent le chantier pour mettre tout le monde devait le fait accompli, comme l’indique Marie Darzacq, présidente de l’association Landes Aquitaine Environnement (LAE).

 

C’est dans ce contexte que, depuis le 4 janvier, six « écureuils » ont érigé à Soorts-Hossegor une plateforme de planches entre plusieurs troncs à quelques mètres au-dessus du sol. Parmi eux, donc, Reva, qui a été placé en garde à vue pour « mise en danger de la vie d’autrui » ! Le Parquet de Dax a heureusement ordonné sa remise en liberté, ce samedi 18 janvier, sans qu’aucune poursuite ne soit retenue contre lui. Dans le CV de la Préfète des Landes, il est pourtant indiqué qu'elle a jadis obtenu une licence de droit. Peut-être devrait-elle réviser ses cours ?


Mais il y a encore bien plus grave. A peu près en même temps qu’était prise la décision d’arrêter Reva, l’actuel Premier ministre, François Bayrou, dont on a bien noté qu’il a choisi, lors de sa déclaration de politique générale, de faire la carpe sur les sujets climatiques et environnementaux. Enfin non, dans cette même déclaration de politique générale, il s’est fendu d’une déclaration incendiaire à l’encontre des agents de l’Office français de la biodiversité : « Quand les inspecteurs de la biodiversité viennent contrôler le fossé ou le point d’eau avec une arme à la ceinture, dans une ferme déjà mise à cran, c’est une humiliation, et c’est donc une faute ».


Fère-en-Tardenois, dans l'Aisne, le 19 janvier 2025. Photo Jean-Marc Adolphe


Rappelons à toutes fins utiles, puisque l’information ne semble pas encore parvenue jusqu’à Pau ni davantage au Haut-commissariat au Plan, où François Bayrou a paresseusement pantouflé pendant quatre ans (avec lui, c’était plutôt le commissariat plan-plan), que l’Office français de la biodiversité (OFB) est un établissement public, créé par la loi n°2019-773 du 24 juillet 2019, placé sous la tutelle du ministère de la Transition écologique, de l'Énergie, du Climat et de la Prévention des risques et du ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt. Rappelons encore que « l’OFB est au cœur de l’action pour la préservation du vivant dans les milieux aquatiques, terrestres et marins. Il joue un rôle essentiel pour lutter contre l’érosion de la biodiversité face aux pressions comme la destruction et la fragmentation des milieux naturels, les diverses pollutions, la surexploitation des ressources naturelles, l’introduction d’espèces exotiques envahissantes ou encore les conséquences des dérèglements climatiques. »


Dans l’histoire de la Vème République, c’est la toute première fois, nous semble-t-il, qu’un haut responsable de l’État dénigre ainsi des agents dont la mission a été fixée par la loi, et auxquels il devrait garantir la protection. La saillie de monsieur Bayrou est encore bien plus grave que les formules à l’emporte-pièces de Gérald Darmanin contre les "éco-terroristes" et sa volonté de dissoudre les Soulèvements de la Terre, heureusement contrariée par le Conseil d’État (lire ICI).


L’irresponsabilité de François Bayrou n’est pas seulement politiquement gravissime ; elle est en outre criminelle -et nous pesons nos mots. Depuis des mois, les agents de l'Office français de la biodiversité sont dans le collimateur de la Coordination rurale et certaines franges du syndicat des exploitants agricoles (FNSEA). Comme le rappelle Le Monde, « fin 2023 et début 2024, des personnels et des agences de l’OFB avaient été pris pour cibles lors de manifestations. Fin 2024, lors d’un nouveau mouvement de protestation agricole, une cinquantaine d’agressions et d’attaques ont été recensées. » Saccage de locaux publics (voire incendie comme à Brest), intimidations verbales ou physiques, etc. : pourtant, à ce jour, aucune poursuite n'a été engagée. En accusant les "inspecteurs de la biodiversité" "d'humiliation", voire de "faute", François Bayrou légitime et même encourage de telles violences à l'encontre d'agents de l’État.


« En réponse à la remise en cause incessante de nos missions et afin d’éviter de commettre des “fautes”, l’intersyndicale demande à l’ensemble des personnels de rester au bureau », cinq organisations (Syndicat national de l’environnement, FSU, FO, CGT, Unsa, EFA-CGC) ont vivement réagi aux propos du Premier Ministre dont ils attendent désormais des « excuses publiques ». Rappelons la raison pour laquelle certains agents de l'OFB portent une arme de service. A sa création, cet Office a notamment hérité des missions assumées jusqu'alors par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Les chasseurs étant armés (par nature), il était logique que les agents chargés de les contrôler le soient aussi (1). Aujourd'hui, au demeurant, ils ne sont pas tant accusés par la Coordination rurale et la FNSEA d'avoir « une arme à la ceinture », comme le dit François Bayrou, que de vouloir exercer une « police de l'environnement » pour laquelle ils sont missionnés, c'est-à-dire de faire respecter des règles et des normes édictées par la puissance publique.


On peut entendre une certaine détresse rurale et agricole. Et que celle-ci puisse s'exprimer à travers des actions spectaculaires et/ou violentes n'est pas un fait nouveau : que l'on se souvienne des jacqueries du Moyen-Age. Mais ce n'est pas en faisant des agents de l'Office français de la biodiversité de bien commodes boucs-émissaires que le gouvernement résoudra l'actuelle "crise agricole".


"Il y a très longtemps dans le nord, était un très très grand arbre dont tous les animaux dépendaient. A la base de cet arbre de vie,

un castor géant qui ronge quand il est angoissé. Alors les gens du nord savent qu’il ne faut pas déranger le peuple castor

pour ne pas mettre en colère castor géant." Aquarelle de Suzanne Husky en illustration du livre de Baptiste Morizot, "

Rendre l'eau à la terre.  Alliances dans les rivières face au chaos climatique".


Il faut enfin préciser, à l'adresse du Premier Ministre que la « police de l'environnement » n'est qu'une des missions de l'OFB, qui a aussi pour objectif de :

  • favoriser la connaissance, la recherche et l’expertise sur les espèces, les milieux, leurs fonctionnalités et usages, les risques sanitaires en lien avec la faune sauvage, et l’expertise en matière de gestion adaptative des espèces ;

  • aider à la mise en œuvre des politiques publiques de l’eau et de la biodiversité ;

  • soutenir la gestion des espaces naturels ;

  • accompagner la mobilisation de la société civile et des acteurs économiques sur les enjeux de la biodiversité, par exemple gérer les subventions pour la réalisation des Atlas de biodiversité communale.


Un rapport réalisé pour le Sénat et remis en septembre 2024 afin d’évaluer le travail effectif de l’OFB depuis sa création (lire ICI), énonçait la nécessité de rééquilibrer les missions de l’OFB au profit de la prévention, de l’appui aux territoires et de l’accompagnement des acteurs, afin d’atténuer l’image répressive attachée à l’établissement, qui nuit à sa capacité à créer l’indispensable confiance avec les élus locaux, les acteurs économiques et agricoles (lire ICI). Comme beaucoup de rapports parlementaires, celui-ci est resté lettre morte. La récente crise agricole n'a fait que refléter un hiatus persistant, où s'affrontent deux imaginaires : un imaginaire militaire (de conquête) et un imaginaire "du vivant" (passant, comme l'a montré le philosophe Baptiste Morizot dans son livre le plus récent, Rendre l'eau à la terre.  Alliances dans les rivières face au chaos climatique, par des alliances pour la préservation du vivant, de la vie dans sa diversité, de la biodiversité).


On reviendra, dans de prochaines publications, sur la multiplicité des actions menées ou encouragées par l'Office français de la biodiversité. Actions que François Bayrou serait bien inspiré de soutenir et de contribuer à faire connaître, plutôt que de pousser au crime vis-à-vis de celles et ceux qui, avec dévouement et sens des responsabilités, en exercent la charge.


Jean-Marc Adolphe, rédacteur en chef des humanités, & Isabelle Favre, chargée de veille éditoriale Écologies aux humanités.


(1). Comme l'indique Sylvie Gustave-dit-Duflo, présidente du conseil d'administration de l'Office français de la biodiversité dans un entretien à France 3 :"Nos inspecteurs sont habilités à ce port d'arme et lorsqu'ils exercent des contrôles, ils le font dans le cadre des missions : soit une procédure administrative diligentée par le préfet, soit dans le cadre d'une procédure judiciaire diligentée par le procureur. On ne sait jamais à qui l'on a affaire dès lors qu'on est dans une mission de contrôle. (...) On ne peut pas désarmer la police de l'environnement. Tous les troisièmes jeudis de septembre, je m'incline devant la stèle des agents qui sont tombés dans l'exercice de leur fonction. La police de l'environnement c'est encore une fois 7,5% de contrôles agricoles. Pour tout le reste - du braconnage, la lutte contre le trafic illégal d'animaux - nous avons affaire à des gens qui peuvent être dangereux".

 

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