top of page
Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Fil Ukraine, malgré la censure de Facebook


A la guerre comme à la guerre... Censuré par Facebook, le "fil Ukraine" de Jean-Marc Adolphe trouve refuge sur les humanités. Première stance ce dimanche 1er mai : échos plus ou moins décalés, photos et vidéos.


Ce "fil Ukraine" vous est offert par la rédaction des humanités, média alter-actif. Pour persévérer, explorer, aller voir plus loin, raconter, votre soutien est très précieux. Abonnements ou souscriptions ICI


Parallèlement aux déjà nombreuses publications des humanités sur la guerre en Ukraine (cinq articles dès le 25 février !), j’ai tenu sur ma page Facebook un « fil Ukraine », quasi quotidiennement à partir du 24 février : brèves, photographies et vidéos commentées, partages de parutions, etc : plus de 560 publications en tout (dont beaucoup d’informations inédites). Même sur un réseau social comme Facebook, j’éditorialise ce que j’écris ou publie. En un sens, c’est un travail, sans même parler de la « veille éditoriale » que cela suppose, des traductions parfois nécessaires; mais ce n’est pas le même travail que pour les humanités où les articles, écrits ou traduits et contextualisés, ont une vocation plus pérenne.

Ce samedi 30 avril, Facebook m’a averti que j’étais interdit de toute publication pendant trois jours, et pendant une semaine pour toute velléité de publication sur un groupe. De surcroît, après cette période de censure totale, pendant un mois, mes publications seront systématiquement positionnées en bas des fils d’actualité, donc grandement invisibilisées.

Quel motif donne Facebook à cette censure ? J’aurais enfreint les « standards de la communauté » de l’entreprise de M. Zuckerberg. Plus précisément, « les standards de la communauté sur la représentation de violence explicite ». Plus précisément encore, une publication du « fil Ukraine » est visée. Elle date du 9 avril. Ce jour-là, j’ai posté une vidéo de 54 secondes filmées à Boutcha. Nous étions alors au tout début des révélations sur les massacres commis dans cette ville de la banlieue de Kiev. Si brève soit-elle, la vidéo est en effet terrible. On y voit, furtivement mais quand même, des cadavres d’hommes suppliciés dans ce qui fut un centre de torture. En commentaire, j’avais moi-même prévenu que ces images pouvaient choquer. El les algorithmes de M. Zuckerberg avaient promptement masqué cette vidéo, avec un filtre avertissant de son « contenu sensible ».

Je la republie ici, avec les mêmes précautions d’usage : à ne visionner que si vous êtes capables de supporter ce qu’on préférerait ne pas voir.


Je ne suis pas adepte d’un voyeurisme morbide. Tout au long de ce « fil Ukraine » tenu sur Facebook, j’ai délibérément écarté certaines images insoutenables. La guerre est déjà assez terrible comme ça, comme le documentent fort bien certains photojournalistes dont je partage le travail. Dans de nombreuses publications, j’ai privilégié des actes de solidarité avec l’Ukraine, des expressions graphiques, musicales, etc. J’ai abondamment relayé reportages et témoignages. En visionnant cette vidéo d’un centre de torture à Boutcha, j’ai hésité. Mais il m’est paru nécessaire de la publier, parce qu’elle a valeur de document, sinon de preuve, des multiples atrocités commises à Boutcha, aujourd’hui largement documentées. Cette seule publication vaut donc censure, pour Facebook, de tout le « fil Ukraine » que je me suis obstiné à suivre pendant plus de trois mois.


Je me dis, si Facebook avait existé en 1945, les premières photos des camps de concentration auraient sans doute été pareillement jugées non conformes aux « standards de la communauté ». L’ironie de l’histoire veut que j’ai été censuré par Facebook le jour même où le chef de la police de la région de Kiev, Andriï Nebytov, a annoncé la découverte d’une fosse commune avec les corps de trois hommes torturés à Myrotske, un village près de Boutcha : ces hommes « avaient les mains liées, des vêtements autour du visage pour qu’ils ne voient rien et certains avaient des baillons dans la bouche ».

Je me dis aussi, c’est curieux, la publication incriminée date du 9 avril. Et elle avait été aussitôt détectée comme « contenu sensible ». Il s’est écoulé trois semaines avant que Facebook ne prononce mon bannissement. Là, ce n’es plus question d’algorithmes. Vraisemblablement, je me dis, cette publication a été « signalée » à Facebook. Par qui ? La propagande poutinienne n’a pas tardé à repérer mon « fil Ukraine », si j’en juge par les messages plus ou moins menaçants que j’ai reçus de trolls sous pseudos. Y compris sur les massacres de Boutcha, qui ne sont évidemment que mise en scène des services britanniques…

Mais la censure n’aura pas le dernier mot. Quel que soit le surcroît de travail que cela représente, conjointement à des enquêtes plus approfondies, et d’autres publications non exclusivement liées à l’Ukraine, c’est donc ici que je vais tenter de poursuivre, autant que faire se peut, ce « fil Ukraine ».


Fil Ukraine. Dimanche 1er mai 2022



Géographies

De la géographie de l’Ukraine, on ignorait beaucoup. En trois mois, on a appris des noms que l’on ignorait, Marioupol, Kharkiv, Tchernihiv, Boutcha, etc. Des noms qui ont fait se joindre la géographie et l’Histoire.

D’entre ces noms, il y a Irpine, ville de la banlieue nord-ouest de Kiev, et rivière du même nom. Le 8 mars dernier, l’armée russe bombardait Irpine et le pont qui enjambait la rivière du même nom. Pour tenter de rejoindre Kiev, des centaines de civils entreprirent de quitter Irpine en s’aventurant sur la carcasse du pont détruit.

Il y a 900 ans, l’emplacement de ce pont fut peut-être l’un des haut-lieux de la bataille de la rivière Irpine (1321), grâce à laquelle le Grand-Duc de Lituanie Gediminas prit le contrôle des terres qui forment actuellement l'Ukraine centrale, en combattant les princes ruthènes. Gediminas était un Poutine avant la lettre, assoiffé de conquêtes territoriales au nom de la religion, qui n’était que prétexte. Au cours de son règne, il a notamment annexé la Podlachie orientale (aujourd’hui l’une des seize régions administratives de la Pologne) et une partie de la Volhynie (aujourd’hui une subdivision administrative de l’Ukraine).

Les photos ci-dessus sont signées Maxim Dondyuk : « Des milliers de personnes se tenaient sous le pont, la ville en feu en arrière-plan, les soldats aidaient les gens à évacuer, et à ce moment-là l'armée russe a impitoyablement tiré sur tout le monde. Il y avait des cadavres partout, les gens tombaient et se penchaient par peur des tirs. Ils essayaient d'échapper à l'armée russe, qui les tuait dans leur ville et continuait à les poursuivre même lorsqu'ils traversaient le pont. J'ai essayé de choisir les photos qui, au moins un peu, peuvent transmettre cette panique et les sons qui résonnaient autour. La peur, le désespoir, la panique, une tentative d'évasion, les sons des tirs d'artillerie... »

Photographe et artiste visuel, Maxim Dondyuk (à gauche et au centre) est notamment auteur d’un magnifique projet photographique sur la région de Tchernobyl (à voir ICI). Il était l’un des plus proches amis de Maksim Levin (à droite), photographe et documentariste ukrainien Maks Levin qui avait disparu le 11 mars, et dont corps a été retrouvé le 1er avril, près du village de Huta-Mezhyhirska, dans la région de Kiev. Tué par balles. Autant dire : froidement exécuté.

Page Instagram De Maxim Dondyuk : https://www.instagram.com/maximdondyuk/


Destructions


Contre toutes les évidences, la propagande du Kremlin continue d’affirmer que l’armée russe ne vise que des cibles militaires, que les populations sont épargnées, que les bombardements, en gros, sont l’œuvre des propres forces ukrainiennes, forcément nazies, qui terroriseraient la population.

Ci-dessous, l’immeuble éventré le 28 avril à Kiev, en pleine visite du secrétaire général de l’ONU. Immeuble touché par « un missile de haute précision » ! Au second étage de cet immeuble vivait la journaliste et productrice de radio Vera Ghyrytch, dont le corps sans vie a été retrouvé dans les décombres, au matin du 29 avril.

La béance d’un immeuble, la béance d’une vie, d’un sourire et d’un regard à présent manquants.

Photos de gauche à droite : David Guttenfelder / The New York Times, Sergei Supinsky / AFP, page Facebook de Vera Ghyrytch.


C’est terrible à dire : il y a une esthétique des destructions. Des images que l’on croyait appartenir aux livres d’histoire (pour l’Europe en tout cas, qui se pensait épargnée) reviennent hanter le présent. Ruines encore fraîches, sur lesquelles le temps n’est pas encore passé. Le travail des nombreux photojournalistes présents en Ukraine est remarquable, et la diffusion de leurs images quasi immédiate. Au-delà de l’esthétique des architectures démembrées, éventrées, déchirées, il y a le souffle de la sidération, égal au souffle des bombes encore présent à l’image. Il y a aussi des vies que l’on voit encore, à côté, ou que l’on devine.


Photos David Guttenfelder, Ines GIL, Eugene Zavgorodny, Manu Brabo, Evgeniy Maloletka


Il y a (dernière image de la série précédente) le paysage coloré de ce jardin d'enfants, balançoire, tourniquet et toboggan juste devant la façade d'un immeuble éventré. Il y a (image ci-dessous) les gravats au milieu d'une bibliothèque pour la jeunesse. Sous les tables, des peluches, peut-être orphelines. Le 29 avril, au 64ème jour de la guerre, le bilan faisait déjà état de 219 enfants tués et 338 blessés.

A Kharkiv, un enfant semble danser sur les ruines.












































Photo Go Nakamura

Photo Daniel Berehulak / The New York Times


Qu’y a-t-il sous les cheveux blanchis, dans la tête de Valentyna Karpiniuk, 67 ans, de retour chez elle à Moshchun, au nord-ouest de Kiev, pour la première fois depuis sa fuite au début de la guerre ? Tout a été détruit. Même le jardin. On imagine tout le temps qu’il a sans doute fallu pour y construire les serres qui ne sont plus que débris de verre. Dans l’attitude de Valentina Karpiniuk, ont sent à la fois désolation et accablement, mais aussi colère et détermination. Ses mains sont déjà prêtes à reconstruire ce que la guerre a défait, pas anéanti. Ce courage, que l’on peut lire dans des épaules qui déjà se redressent, force le respect.


Dans une petite ville en banlieue de Karkiv, raconte le photo Journaliste Go Nakamura sur son compte Instagram, « un avion russe a largué une bombe visant un bâtiment militaire. L'explosion a également touché de nombreux bâtiments résidentiels voisins. Nous sommes arrivés sur les lieux plusieurs heures plus tard et j'ai été fasciné par la rapidité avec laquelle les habitants ont nettoyé les débris et recouvert les fenêtres brisées. »

Photos Go Nakamura


Ukraine des villes, Ukraine rurale


Il y a l’Ukraine des grandes villes : Kiev, Kharkiv, Dnipro, Odessa, Donetsk, Zaporijia, Lviv… Et puis, il y a l’Ukraine rurale : 32,8 % de la population. Dans ces villages, on parle ukrainien et russe, et aussi d’autres langues : le tatar, l’arménien, le yiddish oriental, des langues turciques comme le gagaouze, caucasiennes comme le tabassaran (parlé par 900 personnes) ou ouraliennes, comme le tchérémisse (3.800 personnes) parmi bien d’autres.

La guerre a frappé indistinctement villes et villages.

A Shestovytsia, dans la région de Tchernihiv (ci-dessous, photo de gauche), où une colonne de véhicules russes a été détruite, une rue est entièrement en ruines. Non loin de là, dans le village de Novoselivka, des habitants attendent de recevoir des vivres distribués par des bénévoles. A Gorenka, dans la région de Kiev, une grand-mère fait cuire un pain dans un four partiellement détruit.


Photos Daniel Berehulak / The New York Times (à gauche et au centre), et DR (à droite)



Un jour viendra

Un jour, un jour viendra où cette guerre ne sera plus qu’un souvenir.

Cela prendra du temps. A Sarajevo et surtout à Mostar, des immeubles portent encore les séquelles de la guerre en Bosnie.

On peut reconstruire des immeubles, des hôpitaux, des écoles, des églises, des théâtres. Et il y aura des plaques commémoratives. La mémoire aussi se reconstruit, mais elle ne s’efface pas.

Le souvenir de cette guerre va changer l’avenir de générations entières.


Et encore…


Sur le fil des déportations. Dès le 10 avril (ICI), puis le 22 avril (ICI), j’ai informé / alerté sur les « camps de filtration » et sur le sort des civils conduits de force d’Ukraine vers la Russie. Dans une récente interview accordée à l'agence de presse chinoise Xinhua, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, parle désormais de 975.000 personnes, dont plus de 180.000 enfants. Naturellement, il parle d’évacuations « volontaires » : ces civils ukrainiens seraient des « réfugiés ». Comme je l’ai déjà révélé, les Ukrainiens qui transitent par des « camps de filtration » sont contraints de signer un document dans lequel ils reconnaissent leur statut de « réfugiés ». Comme les conscrits de l’armée russe qui, au bout de 15 jours, sont contraints de signer un engagement, moyennant quoi le Kremlin peut affirmer qu’il n’y a pas de conscrits envoyés en Ukraine.

Un article du New York Times, en date du 30 avril, cite Mykyta Poturayev, chef de la commission humanitaire de l'assemblée législative ukrainienne, qui a déclaré au Parlement européen qu'un demi-million de citoyens ukrainiens avaient été emmenés en Russie "sans aucun accord de leur part", ajoutant qu'il était impossible de les joindre. Le New York Times fait en outre état de plusieurs témoignages recueillis, où des Ukrainiens déclarent avoir été contraints à se rendre dans les territoires contrôlés par la Russie ou connaître d'autres personnes qui l'ont été.


L’oligarque russe et le Centre Pompidou

Dans son édition du samedi 30 avril, Le Monde publie un article d’Aureliano Tonet, « L’ombre d’un oligarque russe sur le Centre Pompidou » : « L’institution parisienne a reçu 1,3 million d’euros de la fondation de Vladimir Potanine, deuxième fortune de Russie. Un financement qui suscite l’embarras dans le contexte de guerre en Ukraine » (Lire ICI). C’est bien que l’information sorte, mais l’enquête (si l'on peut parler d'enquête) est bâclée.


Bernard Blistène et Nicolas Liucci-Goutnikov en 2016. Photo DR


En 2016, lors de l’exposition « Kollektsia ! Art contemporain en URSS et en Russie 1950-2000 », j’avais longuement enquêté (plus de trois semaines) sur Vladimir Potanine et la nature de ses relations avec Poutine, sa fondation, et la nature de ses liens avec le centre Pompidou. Je m’étais rendu au vernissage de cette exposition, et en ai d’ailleurs gardé photos et vidéos. J’avais notamment enquête sur le rôle trouble de Nicolas Liucci-Goutnikov, promu à la surprise des conservateurs du Centre Pompidou l’un des plus proches collaborateurs de Bernard Blistène, président du Centre Pompidou. Cette enquête avait alors été refusée à plusieurs rédactions auxquelles je l’avais proposée. Pour les humanités, je vais la reprendre…


Spectacle en vue

En France, au-delà des déclarations d’intention, peu nombreux sont les artistes et les institutions culturelles qui s’engagent concrètement pour l’Ukraine. Raison de plus pour saluer l’activisme de la metteure en scène Lucie Berelowitsch, qui dirige Le Préau à Vire, Centre dramatique national de Normandie. A son initiative, le collectif Dakh Daughters est accueilli en France, présentement à la Fonderie au Mans (dont les animateurs, François Tanguy et Laurence Chable, avaient déjà en première ligne lors du siège de Sarajevo). Sous la direction du metteur en scène ukrainien Vlad Troitskyi (Lire ICI), Dark Daughets répète un nouveau spectacle, Danse Macabre, dont la première aura lieu au Théâtre de l’Odéon, le 16 juin.


Dark Daughters, vidéo avril 2019.


A venir….

A priori, le prochain fil Ukraine sera principalement consacré à… la Russie et à son armée. D’ici là, pour patienter, une information et une vidéo qui vient d’être tournée dans la région de Omsk (exclusivité les humanités).

En Sibérie, les feux de forêt ont repris, beaucoup plus tôt que d’habitude. Problème : les soldats, habituellement envoyés pour les combattre, sont majoritairement déployés sur un autre front. En Ukraine.


Jean-Marc Adolphe

Mots-clés :

269 vues0 commentaire

Comentários


bottom of page