top of page

Extension du domaine des arts du cirque

Photo du rédacteur: Nicolas VillodreNicolas Villodre

Tatiana-Mosio Bongonga à la Friche Belle de Mai, à Marseille, le 11 janvier 2025 lors de l'inauguration

de la Biennale internationale des arts du cirque. Photo Nicolas Villodre


Jusqu'au 9 février 2025, la BIAC (Biennale internationale des arts du cirque) « met en lumière l’étendue et la diversité des expressions artistiques du cirque contemporain », rappelle l’édito d’Archaos dans le programme de la 6ème édition d’un festival qui, de Marseille, rayonne en Provence, Alpes et Côte d’Azur. Le week-end d’inauguration a permis de découvrir de remarquables artistes. Le mot artiste étant à prendre au féminin, les organisateurs ayant « souhaité mettre en valeur les femmes qui font le cirque », comme le précise le maire de la cité phocéenne, Benoît Payan.


De notre envoyé spécial. Le brouhaha d’une ville comme Conakry, capitale de la Guinée, pays d’origine du Baobab Circus, recouvre le speech de l’adjoint à la culture de Marseille, Jean-Marc Coppola. Ce qui prête à sourire. Après cette entame, la première partie déçoit quelque peu ceux qui avaient découvert la troupe l’an dernier à la Scala parisienne dans le prodigieux spectacle, Yé ! Leur nouveau titre, Yongoyély ("l’exciseuse", en soussou), est censé « censé rendre hommage aux femmes africaines », d’après la note d’intention. On ne connaît l’auteur(e) de la note pas plus que du texte écrit à la va-vite et dit en voix off dans la partie théâtrale du spectacle.


Heureusement, restent les chants interprétés a cappella par une chorale féminine – non traduits en français, ce qui est dommage – et, pour peu qu’on soit patient, une deuxième partie virevoltante, les unes douées en matière d’acrobatie et de contorsion, les autres, d’infatigables porteurs, base de nombre de tours humaines. Et, bien sûr d’un virtuose de la voltige, déjà repéré par la critique parisienne. Des parpaings et des barres en bois servent d’agrès. Le finale mérite à lui seul le détour.


Il faut être nombreux pour être beaucoup. Cet aphorisme édicté par le chanteur-guitariste de la compagnie Basinga s’est vérifié samedi après-midi à la Friche Belle de mai qui avait fait le plein de spectateurs, dans les étages de l’ancienne manufacture de tabacs de la Seita et dans ses terrains en plein air. Sous le mistral, sous le soleil. Que ces représentations aient été offertes gratis a sans doute influé. Soka Tira Osoa, "performance funambule" de la compagnie Basinga, mobilise musiciens, techniciens, traducteur en langue des signes, funambules ainsi que le premier rang du public, prié de tirer une cordelette faisant lever – et non cherrer – la bobinette de câble pour fildeféristes pour obtenir la tension idéale. Le titre emprunte aux Basques le jeu du tir à la corde.


La musique est d’esprit rock, un peu comme celle du cirque Archaos, avec des touches d’électro et de jazz. Le dévoilement des coulisses, la sacralisation des préparatifs, le suspense propre à la suspension, les aléas de la météo, gardent en haleine l’audience répartie bi-frontalement. Aussi bien les petits que les grands. Qu’elle ait été feinte ou non, la chute de Tatiana-Mosio Bongonga dans sa première traversée, son éventail ne suffisant pas à la maintenir en équilibre face à l’adversité – le mistral avéré perdant –, elle a dû s’équiper d’un balancier maousse pour conclure sa prestation en beauté.


Points de suspension. Nous avions découvert Chloé Moglia en 2009 à l’Espace 1789 (Saint-Ouen), dans le spectacle de la chorégraphe Kitsou Dubois, Traversée. Nous l’avions retrouvée en août 2013 à l’aube, dans Horizon, après un récital de Yungchen Lhamo et une démo de Rocío Molina sur une berge de la Seine, dans le cadre du regretté festival Paris Quartier d’été. Dans sa dernière création, Rouge merveille, Chloé Moglia a passé la main à une de ses suspensives, Mélusine Lavinet-Drouet. La technique ou méthode Moglia est maintenant reconnue comme discipline circassienne à part entière. L’agrès a évolué avec les années. L’art de la suspension aussi. Mais pas tant que ça. Par suspension, on peut entendre pendaison – celle d’un corps se « raccrochant aux branches », pour reprendre l’expression de Chloé Moglia. En l’occurrence les arcs, les cornes diaboliques, les ailes d’ange non en plumes mais en acier signés Sylvain Ohl et Éric Noël.


Qui dit suspension dit aussi rupture temporelle, ralentissement, immobilité, cessation d’activité ou tout comme. Et incertitude – cirque rime avec risque. C’est l’art du trapèze sans trapèze. En quinze ans, le numéro de cabaret ou le tableau d’art de rue a mûri, a muté, est devenu spectacle dosant temps forts déclenchant l’enthousiasme d’un public des plus exigeants car connaisseur, et temps morts. Ne serait-ce que celui de l’installation de la structure, sketch amusant dans lequel l’ingénue interprète fait mine d’ignorer le mode d’emploi et recourt à l’aide d’une spectatrice chargée lui donner les instructions. Le minimalisme de la suspension n’exclut pas pour autant la prouesse. L’exploit a bel et bien lieu. Mais sans roulement de tambour.


Alice Rende, "Passages". Photo Nicolas Villodre


Contorsions intellectuelles. Dès la fin de la présentation du programme de 2005 de la BIAC par son équipe de direction, Guy Carrara, Rachel Rache de Andrade et Simon Carrara, dans le Magic mirror du village de chapiteaux installés plage du Prado, nous avons été épaté par l’étonnant solo de la Brésileinne Alice Rende intitulé Passages. Confinée une demi-heure durant dans une colonne carrée en plexiglas d’une étroitesse suffocante, la jeune artiste a fait montre de talent dans plusieurs disciplines. Dans le domaine de la contorsion, genre dont elle est spécialiste comme dans celui de l’acrobatie, qui agrémentent la routine sans provoquer de malaise ou d’émoi chez le spectateur, mais également dans celui de l’escalade – de la varappe à mains nues.


Le numéro est, littéralement, des plus mouvementés. La variation d’Alice Rende progresse, digresse, régresse sans cesse. Grâce à la grâce de l’interprète, le sport peut atteindre à l’art. Rien de sado-maso, pourtant, dans cette démarche, rien de l’autopunition un peu catho sur les bords. Pas d’allusion ou d’illusion du type traversée du miroir d’Alice. Une série gestuelle entêtée, obstinée, simple, du moins en apparence. L’absurdité d’un mouvement ascensionnel, tel celui d’Icare, bissé ad lib, contrarié par la loi de la gravitation. Glissades, chutes et rechutes pouvant évoquer le rocher de Sisyphe. Sauf que le boulet transporté est celui de notre propre corps. 


Arrêté du Préfet du Gard, 1853, dans l'exposition "En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques", au Mucem.


Tous en piste. Pour l'inauguration de la Biennale internationale des arts du cirque, Macha Makeïeff nous a fait la visite de sa sensationnelle exposition au Mucem, en compagnie du co-commissaire, Vincent Giovannoni, conservateur en chef du pôle Arts du spectacle de l’établissement. Le titre complet de la monstration (qui se tient jusqu’au 12 mai 2025), En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques, ne s’applique pas au personnel politique contemporain mais aux disciplines circassiennes les plus traditionnelles. Malgré tout, l’horror vacui dominant le parti pris curatorial, on peut avoir l’impression (pour ne pas dire comme, de nos jours, le ressenti) que l’art du comique déborde le cadre ou, plus exactement, le cercle de la piste aux étoiles chère au regretté Gilles Margaritis pour englober celui du spectacle au sens commun du terme, non dans son acception situationniste. 


De fait, si l’on suit l’adage de Rabelais « qui trop embrasse mal étreint », certains objets et signes alignés, agencés, espacés avec soin par Sylvie Jodar, en lien avec le concept flou de saltimbanque, peuvent sembler hors sujet – par exemple les photos d’Agnès Varda sur la troupe de Jean Vilar ou l’autruche empaillée de la collection perso de Macha Makeïeff. Cela dit, le déplacement vaut la peine. À côté d’affiches du bon vieux temps relevant de l’art populaire, ont été disposés d’émouvants fétiches – cf. la série de godillots clownesques, parmi lesquels les oblongs souliers à semelles de bois du comédien anglais Harry Relph, aka Little Tich, immortalisé par le film que tourna Clément Maurice en 1900. Les petits rapins sont concurrencés par les plus grands – Daumier et son Crispin et Scapin de 1864, Picasso et son Arlequin de 1923, Léger et sa Grande Parade de 1953, Niki de Saint Phalle et sa Nana noire upside-down de 1965-66... On en passe et des meilleurs.


Nicolas Villodre


Biennale internationale des arts du cirque, à Marseille et en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, jusqu'au 9 février 2025. https://biennale-cirque.com


Exposition En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques, au Mucem, à Marseille, jusqu'au 12 mai 2025. https://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/en-piste

 

Parce que vous le valez bien, les humanités, ce n'est pas pareil. Pour que ça continue, dons ou abonnements ICI



81 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


nos  thématiques  et  mots-clés

Conception du site :

Jean-Charles Herrmann  / Art + Culture + Développement (2021),

Malena Hurtado Desgoutte (2024)

bottom of page