EXCLUSIF. Cuba / Fidel Castro, France / Danielle Mitterrand, Venezuela / Hugo Chávez, Colombie / Álvaro Uribe, Chili / Sebastián Piñera : José Miguel Vivanco, ex-directeur de Human Rights Watch, confie au magazine chilien La Tercera quelques-unes des séquences qui ont émaillé sa présidence de l''ONG dédiée à la défense des Droits de l'homme.
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Le 31 janvier dernier José Miguel Vivanco, directeur de Human Rights Watch (HRW), a remis sa démission de cette ONG dédiée à la défense des droits de l'homme, où il était entré en 1994 en tant que directeur pour les Amériques. Avocat de l'université du Chili, José Miguel Vivanco avait alors 33 ans et sa première mission n'était pas vraiment facile : défendre les prisonniers politiques dans le Cuba de Fidel Castro.
Au cours de ses presque 30 ans à la tête de la division régionale de HRW, José Miguel Vivanco a connu entre autres péripéties, comme son expulsion du Venezuela (accusé par Hugo Chávez de faire le « sale boulot de l'empire »), le courroux du président colombien Álvaro Uribe, ou encore à des moments très complexes, comme l'explosion sociale au Chili en 2019. Mais son travail et ses dénonciations constantes des violations des droits de l'homme sur tout le continent sud-américain ont aussi porté des fruits importants. Dans cet entretien téléphonique réalisé depuis le Mexique - où il poursuivra son travail de manière indépendante -, José Miguel Vivanco évoque quatre épisodes clés de son long mandat à la tête de Human Rights Watch.
Danielle Mitterrand et Fidel Castro
Délégation française avec Fidel Castro en 1995.
José Miguel Vivanco, en chemise blanche et costume sombre, est au centre de la photo.
Mars 1995. Après avoir rencontré à Paris Danielle Mitterrand – à l’époque la première Dame de France - et après de nombreux allers-retours, le leader cubain a accepté une mission internationale pour étudier la situation des prisonniers à Cuba. « Je promets d'étudier au cas par cas », a déclaré Fidel Castro. Quelques semaines plus tard, une mission atterrit à La Havane avec José Miguel Vivanco, en sa qualité de représentant de Human Rights Watch. À cette époque, les chiffres de différentes organisations de défense des droits de l'homme concernant les prisonniers politiques sur l'île dépassaient les deux mille cas.
« La liste que les Français ont remise au gouvernement cubain ne comportait que 24 cas. Nous avons visité une dizaine de prisons de Santiago de Cuba à La Havane », se souvient José Miguel Vivanco. Il avait une méthode particulière et « secrète » pour interroger les prisonniers : il leur passait un simple morceau de papier, de peur qu'ils soient enregistrés : « Si tu peux, décris ou dessine cette prison pour moi, et deuxième question : y a-t-il des cellules punitives ? Si vous le pouvez et si vous le voulez, en gardant à l'esprit que cette réunion est probablement filmée, indiquez-moi où se trouvent ces cellules de punition. Décrivez-moi en quoi elles consistent. »
Le défi suivant était encore plus grand : une rencontre avec Fidel lui-même au Palais de la Révolution. « Nous avons été convoqués vers 19 heures. Après un certain temps, Castro est apparu et les Français ont été très impressionnés. Dans une immense pièce, Fidel avait en mains les 24 dossiers. À un moment donné, je lui ai parlé d'un poète pacifiste condamné à 20 ans de prison. C'est barbare, on dirait que ça sort de l'Inquisition espagnole », ce à quoi il a répondu : « Mais ce pacifisme est un canular. De prétendus intellectuels se déguisent en pacifistes, mais ce qu'ils recherchent vraiment, c'est la rébellion. Nous sommes ici face à une grande conspiration internationale qui cherche à anéantir un peuple entier ! », a hurlé Castro.
Au fil des heures, la conversation est devenue encore plus animée. À un autre moment, José Miguel Vivanco a rapporté à Castro le cas d'un jeune homme condamné à 14 ans de prison pour avoir possédé un exemplaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies. Fidel n'a pas cillé : « Oui, ils ont effectivement trouvé ça sur lui... Mais regardez, ici il n'a jamais avoué comment il a obtenu une copie de la déclaration universelle, parce que nous ne la distribuons pas à Cuba, donc c'est un cas très suspect. Comment a-t-il obtenu cette copie ? Puisqu'il ne l'a pas avoué, cela signifie qu'il était probablement en contact avec les Européens ou les Américains, et que quelqu'un lui a transmis une copie, ce qui constitue une activité contre-révolutionnaire ». La réunion, tendue, s'est terminée vers 4 heures du matin avec la promesse de la libération de seulement six prisonniers.
Chávez, Allende et Pinochet
Fresque murale à l'effigie d'Hugo Chávez à Caracas. Photo : Reuters
11 avril 2002. Après des semaines d'instabilité, Hugo Chávez a été déposé du pouvoir et détenu par le haut commandement des forces armées au Fort Tiuna à Caracas. Aux premières heures du 13 avril, il a été emmené dans une prison militaire sur l'île de La Orchila, d'où il a réussi à écrire une note et à communiquer ensuite qu'il n'avait pas démissionné. Quelques heures plus tard, Chávez a été libéré par un groupe de loyalistes militaires et réintégré dans ses fonctions de président.
« Le président Chávez m'a été présenté par Jimmy Carter. Lorsqu'il a été victime de ce coup d'État, j'ai été le premier à le dénoncer, car personne ne renonce volontairement au pouvoir avec un pistolet sur la poitrine. J'ai demandé d'appliquer la Charte démocratique pour réintégrer Chávez, car il s'agissait d'un coup d'État. Six mois plus tard, je l'ai rencontré à Caracas », raconte José Miguel Vivanco.
« José Miguel, je n'oublierai jamais, jamais, jamais ce que tu as fait pour moi et pour la démocratie vénézuélienne », lui dira ensuite Hugo Chávez. Ce à quoi José Miguel Vivanco a répondu : « Je tiens à vous dire clairement que je suis attaché à la démocratie. Je me fiche de savoir qui gouverne le Venezuela. Je n'ai pas fait cela pour des raisons idéologiques ». Chávez n'a guère apprécié ce commentaire, d’autant que José Miguel Vivanco a énuméré divers problèmes, tels que le harcèlement des médias, le système judiciaire et la crise politique en général.
« Non, cette crise n'existe pas », a répondu Chávez. « Il n'y a plus de danger au Venezuela. Nous avons poursuivi tous les généraux qui ont fait le coup d'État, et nous les avons mis à la retraite. Maintenant, les dirigeants militaires ont toute ma confiance. Je ne vois donc aucun risque de coup d'État, car ils ont tous ma totale confiance », a poursuivi le dirigeant vénézuélien. « Je pense que si la polarisation et le langage de confrontation persistent, la crise peut également conduire les officiers militaires que vous considérez comme loyaux à prendre parti politiquement dans le processus », lui a répondu Vivanco. « Au Chili, savez-vous qui a nommé Pinochet comme commandant en chef de l'armée au Chili ? C'était Allende lui-même, sur recommandation du général Carlos Prats. Il l'a recommandé parce qu'on considérait qu'il représentait le moindre risque pour Allende, en grande partie parce qu'il avait la réputation d'être médiocre. En outre, il avait été un bon hôte pour Fidel Castro lors de sa visite dans le pays en 1971. »
Le président vénézuélien a regardé avec étonnement José Miguel Vivanco. « Chávez ne m'a pas cru. Il ne me croyait pas du tout et je lui ai dit : "C'est un précédent historique au Chili. Vous pouvez tirer une leçon du Chili, le général qui est loyal aujourd'hui peut ne pas l'être demain, ou il peut aussi devenir un boucher à votre service". Mais il ne me croyait toujours pas, jusqu'à ce qu'il me dise : "Je vais vérifier auprès de l'ambassadeur du Chili ou faire mes propres recherches, car ce que vous me dites est très grave". »
L'ancien président colombien Álvaro Uribe reçoit les honneurs militaires en juillet 2005, à Bogota - Photo : AFP
En 2007, le gouvernement d'Álvaro Uribe a tenté de faire ratifier par le Congrès américain l'accord de libre-échange avec la Colombie. Mais lors d'un dîner devant 40 personnes dans l'une des salles du Capitole, l'inattendu s'est produit. À 10 ou 15 minutes de la fin, un sénateur américain s'est levé et a dit au président Uribe : « Écoutez, Monsieur le Président, ce dîner a été splendide, nous avons passé un très bon moment, c'était un luxe de vous avoir avec nous, mais il y a un éléphant ici dans la salle, et je fais référence à votre bilan en matière de droits de l'homme, parce que la Colombie connaît beaucoup de violence et une violence très grave en matière de droits de l'homme. Et vous partez après-demain ou demain, mais M. José Miguel Vivanco, qui est assis là, est toujours là : il est la principale source d'information dont nous disposons sur la situation des droits de l'homme en Amérique latine et il a produit des rapports qui décrivent la situation en Colombie comme extrêmement grave. Auriez-vous un problème si nous permettions à M. Vivanco de vous poser une question spécifique sur les droits de l'homme ? »
Le représentant de Human Rights Watch a alors déclaré : « Ecoutez, Président Uribe, je voudrais vous interroger sur ce phénomène que nous dénonçons depuis un certain temps, mais que vous niez en Colombie, qui sont les "faux positifs". En Colombie, c'est le nom donné aux meurtres de civils que l'armée faisait passer pour des victimes dans le cadre du conflit armé. Grâce à cela, les soldats ont obtenu des promotions, des vacances ou des primes ».
« Uribe est devenu fou furieux, il a commencé à crier que j'étais l'ambassadeur des FARC à Washington et il a dit cela devant des gens qui étaient des sénateurs, des membres du Congrès et des hauts fonctionnaires du département d'État qui me connaissent et qui regardaient le plafond », ajoute José Miguel Vivanco : « Vers 21h30, ils l'ont calmé et les services secrets l'ont emmené ». Quelque temps plus tard, Washington a imposé au gouvernement colombien l'obligation de créer des tribunaux spéciaux pour enquêter sur les meurtres de dirigeants syndicaux et de leaders sociaux.
José Miguel Vivanco avec le président Sebastián Piñera en novembre 2019, à La Moneda.
Photo : Mario Tellez/La Tercera
En novembre 2019, José Miguel Vivanco s'est rendu à Santiago du Chili pour observer et recueillir sur place des informations générales sur le mouvement de protestation sociale. Les manifestations, tant violentes que pacifiques, ont tenu en haleine le pays et surtout le gouvernement de Sebastián Piñera. « C'était très compliqué », note José Miguel Vivanco, qui souffrait à l'époque de fortes douleurs au dos et a dû subir une opération. Sur place, il a visité des centres de santé et des hôpitaux, et a constaté de blessures occulaires parmi les manifestants : « C'était une expérience très dure que de constater les niveaux de violence de la part de certains manifestants, mais aussi de la part des policiers (carabinieros). Il y avait une sensation de chaos total. », poursuit Vivanco, qui a rencontré le président Sebastian Piñera à deux reprises. La première était préliminaire, en guise de bienvenue, et la seconde, pour remettre le rapport de Human Rights Watch, qui était très critique à l'égard des actions des Carabinieros : « Ce n'était pas inconfortable. Il nous a demandé quelles étaient nos preuves. J'ai simplement répondu que nous avions des éléments concrets… »
Source : La Tercera, Chili.
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