En mars 2023, Inessa embrasse son fils Vitaly, à la sortie du bus qui l’a ramené de Russie, lui et une douzaine d’autres enfants,
des territoires détenus par les Russes. Photo Sergei Chuzavkov / AFP
Onze enfants de 2 à 16 ans, souffrant de maladies chroniques, viennent d'être rendus à l'Ukraine par la Russie, puissance prédatrice, qui délivre au compte-gouttes quelques-unes de ses proies. Mais plus de 19.000 enfants déportés restent hors des radars, malgré les efforts d'enquêteurs qui tentent de les localiser, et tombent sur de curieux profils de "parents adoptifs" : un politicien membre de la Douma, proche de Poutine, ou encore... un militaire qui aurait participé au massacre de Boucha ! Pour retrouver ces enfants volés par la Russie, dont l'identité a parfois été changée, s'engage une véritable course contre la montre.
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« Maintenant, ils sont à nous ».
En juillet 2022, c’est par ces mots sans vergogne qu’Elena Zaitseva, cheffe du département de la tutelle et de la protection des mineurs (sic) au sein du département du travail et de la protection sociale de Moscou, commentait l’arrivée sur le tarmac d’un aéroport moscovite de 108 enfants, âgés de 5 à 16 ans, « retirés directement des institutions pour enfants de Donetsk, Shakhtyorsk et Makeyevka par Maria Lvova-Belova, commissaire présidentielle aux droits de l’enfant, avec l’aide du ministère de la Défense », comme l’indiquait sans ambages la presse russe (ICI).
Nous en étions alors au début du scandale de la déportation d’enfants ukrainiens en Russie, que les humanités ont dévoilé en premier, dès août 2022, et ont abondamment documenté au fil qu’une quinzaine de publications, avec chaque fois de nouvelles révélations qui sont venues dévoiler l’ampleur et les rouages de ce crime de guerre, dont nous avons très tôt souligné l’intention génocidaire.
(Le site de l’association Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre recense de façon fort utile l’enquête au long cours des humanités : voir ICI)
Capture d'écran de la plateforme Children of war, 13 février 2024.
Au 7 septembre 2022, la plateforme Children of war, mise en ligne par les autorités ukrainiennes, recensait 7.240 cas d’enfants déportés et 239 "disparus". Au 24 février 2024, deux ans après le début de l’invasion russe, cette même plateforme recense, outre les 526 enfants morts et 1.220 blessés du fait des attaques russes, 19.546 enfants déportés et 2.162 "disparus". Encore ne s’agit-il là que des cas identifiés (nom, photo, lieu de la disparition). Or, les centaines de milliers d'enfants dont les parents ont été tués pendant la guerre, ceux qui ont été placés dans des orphelinats ukrainiens ou ceux qui ont été séparés de leurs parents à leur arrivée en Russie n'ont personne qui puisse déclarer qu'ils ont été volés.
En février 2023, la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine et sa commissaire spéciale, Maria Lvova-Belova, que les humanités avaient, là aussi, qualifié très tôt de « rafleuse d’enfants ». En réponse, Moscou a lancé… un mandat d’arrêt contre le procureur de le CPI, Karim Khan, et continue de rejeter en bloc, en dépit de toutes les évidences, enquêtes et rapports, les accusations de déportations d’enfants. Selon le Kremlin, 744.000 enfants ukrainiens se trouveraient actuellement sur le sol russe, affirmant que « les placements des enfants évacués sont organisés, d’abord et avant tout, à leur demande et avec leur consentement ».
Les affabulations de la propagande russe
Voilà pour la réponse officielle (comme récemment dans l’enceinte des Nations Unies). Pendant ce temps, la propagande russe (une récente enquête indique qu’un un vaste réseau de sites de désinformation est sans doute directement rattaché à la nébuleuse du Kremlin) déroule tranquillement son narratif. Le dernier article en date a été publié sur un site baptisé Newsland (on le retrouve avec quelques variantes sur toute une flopée de sites similaires). Sans rire, on y apprend que la mission russe de l’ONU croule sous les appels de "réfugiées ukrainiennes" qui « supplient de sauver leurs enfants, enlevés par la justice des mineurs de plusieurs pays de l'Union européenne [et la Grande-Bretagne]». A l’appui de telles allégations, les "témoignages" de deux "réfugiées ukrainiennes" à qui les services sociaux britanniques auraient retiré la garde de leurs filles. Ces "témoignages" plutôt fantaisistes sont relayés par une certaine Joanna Pachwicewicz, présentée comme "militante polonaise des droits de l’homme", qui affirme que « l'enlèvement des enfants des réfugiés ukrainiens est de plus en plus fréquent dans différents pays - en Pologne, en Allemagne, en Italie et en France. » L’organisation à laquelle est affilée cette Joanna Pachwicewicz n’est autre que la "Fondation pour combattre l’injustice" (en anglais, Foundation to Battle Injustice, ce qui lui permet d'adopter l'acronyme "FBI"), dont Conspiracy Watch (Observatoire du conspirationnisme) a révélé qu’il s’agit d’une officine fondée par feu Evgueni Prigojine, le patron du Groupe Wagner mais aussi de l’Internet Research Agency et de ses usines à trolls (Lire ICI).
Cette même "Fondation pour combattre l’injustice" était à l’origine d’une vidéo tranquillement diffusée le 5 avril 2023 en pleine séance du Conseil de sécurité des Nations Unies par l’ambassadeur russe Vasily Nebenzya, qui prétendait que 85 enfants d’un orphelinat de Marioupol avaient été enlevés par une mystérieuse intermédiaire ukrainienne avant d’être acheminés en Espagne où ils auraient disparu, sans doute livrés à un réseau criminel de trafic d’organes (à l’époque, seules les humanités avaient épinglé cette énorme fake news. Lire ICI)
Le trafic d’organes, c’est un truc que les propagandistes du Kremlin aiment bien : ça doit faire saliver dans les chaumières russes. A cette fin, sans autre forme de procès, l’ONG Save Ukraine (celle-là même qui a permis le retour de plus de 200 enfants ukrainiens kidnappés en Russie), est accusée… de « revendre en Europe » des enfants enlevés par… des policiers ukrainiens. Mais il n’y a pas que le trafic d’organes. Selon l’article de Newsland, les crimes commis contre les enfants par les autorités ukrainiennes s'inscrivent dans les pratiques de l'Union Européenne consistant à retirer les enfants migrants (Syrie, Irak, ex-Yougoslavie, Libye, Éthiopie, Afghanistan…) à leur famille. Et ces enfants, poursuit l’article, « finissent au mieux dans des orphelinats semi-légaux, adoptés par des familles LGBT, et au pire sont exploités, y compris sexuellement. »
La preuve ? Une pseudo-journaliste hollandaise, Sonja Van den Ende, est appelée à la rescousse. Pro-Assad lors de la guerre civile en Syrie, elle est devenue depuis lors une propagandiste assidue du régime de Poutine, et affirme avoir dû se réfugier en Russie pour échapper aux persécutions dont elle aurait été la victime aux Pays-Bas pour avoir "révélé" les atrocités de l’armée ukrainienne dans le Donbass, notamment responsable, selon elle, de... la destruction de Marioupol ! Cette Sonja Van den Ende dévoile le triste sort qui attend les enfants ukrainiens enlevés et "revendus" en Europe : « Si vous vous promenez à Berlin, Anvers ou Amsterdam, vous verrez le commerce du sexe à chaque coin de rue, aux yeux des passants. Et l'âge des "prêtresses et prêtres de l'amour", passe de 15 ans à 12, voire 10 ans ». Le tout aux yeux des passants ! Et pourtant, les médias occidentaux, les autorités européennes, ne font rien, y compris les instances internationales (Nations Unies, Cour Européenne des Droits de l’Homme, etc…). Et pour cause : ce trafic fait partie d’un « programme mondial d'"assimilation culturelle" forcée des enfants réfugiés », également qualifié de « génocide culturel ».
Pour la télévision russe Rossiya 24, comme pour Anna Kouznetsova, députée Russie Unie à la Douma, l'armée russe sauve des enfants promis au trafic d'organes. Captures d'écran du documentaire"Ukraine - Les Enfants volés", diffusé sur ARTE.
On pourrait ignorer de telles fadaises. Sauf qu’elles sont allègrement reprises dans les plus hautes sphères du Kremlin, et sur la télévision russe, à des heures de grande écoute. Dans un documentaire récemment diffusé sur Arte, Ukraine – Les Enfants volés, on voit ainsi une présentatrice de la chaîne d’État Rossiya 24 justifier l’enlèvement par l’armée russe d’enfants d’un foyer de Kherson, en octobre 2022, en affirmant le plus sérieusement du monde que ces enfants étaient sur le point d’être envoyés en Europe « où leurs organes seraient prélevés pour être transplantés ». Une accusation reprise par Anna Kouznetsova, députée Russie Unie à la Douma qui a précédé Maria Lvova-Belova comme commissaire présidentielle aux droits des enfants, qui ajoute même que « 7% du budget de l’Ukraine, 2 milliards de dollars, provient du trafic d’organes » !
Maria Lvova-Belova, elle, laisse dire, sans s’interdire toutefois de relayer d’autres fake news sur le sort des enfants ukrainiens qu’en âme charitable, elle aurait sauvé de l’enfer. Maudits Ukrainiens ! Ne vont-ils pas, selon une affirmation qu'elle a publiée fin janvier sur son compte Telegram, jusqu’à joindre au téléphone des enfants russes chez eux pour leur demander de jouer avec les brûleurs de gaz, dans le but de provoquer une explosion…
Nouvelle mascarade russe devant la Convention internationale relative aux droits de l'enfant
A la même date, fin janvier à Genève, les Nations Unies ont été à nouveau le théâtre d’une mascarade russe, devant la Convention internationale relative aux droits de l'enfant. Pendant deux journées entières, une imposante délégation conduite par Alexei Vovchenko, vice-ministre du travail et de la protection sociale de la Fédération de Russie, a égrené toute une série de mesures visant à montrer le soin apporté à l’éducation et à la protection de l’enfance, tout en faisant l'éloge « de la famille traditionnelle et du renforcement de la famille en tant qu'institution », ce dont témoigne par exemple la réactivation d’une tradition soviétique avec la médaille de "Mère-héroïne", décernée aux femmes ayant dix enfants ou plus, afin d’encourager la natalité... A côté, le "réarmement démographique" vanté par Emmanuel Macron fait vraiment pâle figure.
Tout juste les 18 experts indépendants de cette Convention étaient-ils autorisés à poser quelques questions en toute fin de séance. La militarisation croissante de l’enseignement en Russie ? En reconnaissant qu’à partir de septembre 2024, une nouvelle matière sera introduite auprès des écoliers russes afin de « leur fournir des informations générales sur la défense de la patrie et les forces armées de la Fédération de Russie », Andrey Korneev, vice-ministre de l’Éducation, a nié en bloc des faits portant largement documentés. Voici peu, Meduza révélait qu’un groupe d’anciens combattants du Groupe Wagner a été invité dans une école d'Oulan-Oude, capitale de la république de Bouriatie, pour donner un cours d’"éducation patriotique"… Un exemple parmi bien d'autres.
Circulez, il n’y a rien à voir. Telle fut en substance la réponse d’Alexei Vovchenko, vice-ministre du travail et de la protection sociale de la Fédération de Russie, aux questions des experts de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant,
fin janvier au siège des Nations unies à Genève. Photo DR
Même dénégations quant aux déportations d’enfants : circulez, il n’y a rien à voir, a répondu en substance Alexei Vovchenko qui a répété la litanie du Kremlin, selon laquelle « environ 4,8 millions de résidents ukrainiens ont été admis sur le territoire de la Fédération de Russie, dont plus de 700.000 enfants. La plupart des enfants sont arrivés en tant que membres d'une famille, accompagnés de leurs parents, tuteurs et gardiens. Ils se sont installés dans des centres d'hébergement temporaire ou chez des parents. » On l’a déjà dit, ces chiffres sont invérifiables. Même à l’échelle de la Russie, près de 5 millions personnes dont "plus de 700.000 enfants", ce n’est pourtant pas comme une aiguille dans une botte de foin. Or, on n’a repéré dans la presse russe pas le moindre reportage sur ces "réfugiés" ukrainiens et leurs enfants, qui auraient librement choisi de rejoindre en si grand nombre la Sainte Russie protectrice ! En revanche, selon les statistiques du ministère russe de l'Intérieur, 46.886 enfants ukrainiens ont acquis la nationalité russe d'avril 2022 à mi-2023. De leur plein gré ?
Les experts de la Convention des droits de l'enfant n’ont pas été dupes, et ont appelé la Russie à cesser immédiatement les hostilités afin d'éviter d'autres conséquences dévastatrices pour les enfants en Ukraine, en Russie et dans le monde entier. Peu ou prou à la même date, le 25 janvier à Strasbourg, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) adoptait à l’unanimité une résolution qui appelle les parlements des États membres du Conseil de l'Europe à tout mettre en œuvre pour aider à la recherche et au retour des enfants déplacés de force par la Fédération de Russie sur son territoire, ainsi qu'au Bélarus ou dans les territoires temporairement occupés, et à reconnaître l'enlèvement d'enfants ukrainiens par la Russie comme un "crime de génocide". L'APCE appelle enfin les États membres du Conseil de l'Europe à créer un mécanisme juridique pour rechercher et renvoyer les enfants ukrainiens enlevés par la Russie.
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Certes, d’après le commissaire aux droits de l'homme du Parlement ukrainien, Dmytro Lubinets, le mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale contre Poutine et Lvova-Belova a pu faciliter le processus de retour de quelques enfants ukrainiens, mais les nombreuses enquêtes, les rapports et les appels internationaux n'ont eu quasiment aucun impact sur la Russie. Des investigations se poursuivent toutefois, pour lesquelles la coopération internationale est indispensable. En Ukraine même, « le système judiciaire a ouvert plus de 100.000 procédures pour crimes de guerre et est débordé », confie Yevheniia Motorevska, journaliste pour The Kyiv Independent, site d’information en langue anglaise, où elle dirige aujourd'hui une équipe de six journalistes qui enquêtent sur les crimes de guerre, notamment grâce à collecte et à l'analyse de données en source ouverte sur Internet. En analysant des millions d'images sur internet, ces programmes retrouvent parfois des petits Ukrainiens disparus sur des réseaux comme VKontakte, l'équivalent de Facebook en Russie, explique Janine di Giovanni, qui dirige l'initiative The Reckoning Project
La Task Force on Accountability for Crimes Committed in Ukraine organisée par le Global Accountability Network (GAN), un groupe de travail juridique international qui soutient déjà les procureurs ukrainiens dans la coordination et l'élaboration de dossiers contre la Russie pour crimes de guerre, est impliquée dans la collecte systématique de preuves. Et sur le cas particulier des déportations d’enfants, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Canada ont lancé le 2 février dernier l’initiative d’une coalition internationale pour le retour des enfants ukrainiens. La France, à ce jour, n’en fait pas partie. Une autre coalition, Bring Kids Back, lancée par le président Zelensky, est à l’œuvre depuis le 31 mai 2023.
Margarita avait 10 mois lorsqu'elle a été enlevée à Kherson en août 2022. Elle est aujourd'hui entre les mains d'un politicien russe proche de Poutine, et de son épouse. Photo DR.
Retrouver la trace des enfants déportés n’est pas une mince affaire. Selon un article de la BBC en date du 9 février, une équipe internationale d’enquêteurs (la BBC parle de plus de 60 détectives) a permis de localiser… 8 enfants en ayant recours à des techniques numériques (notamment de reconnaissance faciale) et de géolocalisation. De telles investigations réservent quelquefois certaines surprises. Les humanités avaient déjà rapporté la curieuse histoire d'un bébé enlevé en août 2022 à l’hôpital pour enfants de Kherson alors qu’il n’avait que 10 mois. C’est une petite fille, Margarita. Son identité a été changée et elle a été adoptée par Sergueï Mironov et son épouse. Ce Sergueï Mironov n’est pas n’importe qui : ce géophysicien de 70 ans est aujourd'hui un politicien proche de Poutine, membre de la Douma. Comment Margarita s’est-elle retrouvée là ? Le jour de la disparition de Margarita, la femme de Mironov a été vue (et même photographiée) à Kherson, en compagnie d’un autre député de la Douma, Igor Kastioukevitch, surnommé "Navigator", responsable de l’enlèvement de plusieurs dizaines d'enfants à Kherson. Elle avait prétendu être en mission d'inspection à l'hôpital pour enfants. En fait, elle était donc venue sur place faire son "shopping". (A lire : enquête de la BBC -en anglais)
Autre surprise de taille : un garçon de 7 ans, Oleg, enlevé dans un orphelinat de la région de Donetsk, a été localisé à Pskov, à 610 km au nord-ouest de Moscou, chez un militaire russe de 32 ans, Viktor Filonov. Particularité : celui-ci appartient à la 76e division d'assaut aéroportée, celle-là même, qui, selon une enquête du New York Times, a été impliquée dans le massacre de Boucha. Viktor Filonov est un "militaire expérimenté", a écrit la presse russe, et il « prévoit d'élever Oleg comme un vrai homme et un patriote de la Russie ». Pour le site ukrainien Myrotvorets (Peacemaker), qui publie des données sur les Russes ayant commis des crimes de guerre en Ukraine, ce "militaire expérimenté" est surtout « un tueur professionnel, un pilleur et un bourreau ».
Sur les plus de 19.000 transferts illégaux d'enfants vers la Russie signalés par l'Ukraine, seuls 388 mineurs ont pu rentrer
dans leur pays d'origine. Illustration Astrid Amadieu pour France Info.
A l'automne 2022, il avait fallu plusieurs semaines pour que les premières informations dévoilées par les humanités ne soient reprises par la presse française, en grande partie grâce à l’opiniâtreté de l'association Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre. De nombreux articles ont paru depuis lors.
Quatre journalistes de l’agence Reuters, Mari Saito, Maria Tsvetkova, Polina Nikolskaya et Anton Zverev, ont mené pendant six mois un vaste travail d'investigation afin de retrouver la trace d'une cinquantaine d'enfants enlevés à Kherson et déportés en Crimée par les autorités russes. Ils sont parvenus à identifier les enfants à travers des vidéos de propagande, les visages sur les posts Instagram ou encore les signatures sur les dessins accrochés aux murs d’un foyer d'accueil abandonné. Ils ont ensuite recoupé ces informations avec les bases de données ukrainiennes recensant des centaines d’enfants disparus, et avec des interviews de proches et de travailleurs sociaux. (Enquête publiée le 11 janvier 2024, à lire ICI -en anglais).
Le cas des enfants de Kherson a été également abordé par un documentaire de 86 minutes, réalisé par Robin Barnwell, Ukraine-Les enfants volés, diffusé sur ARTE début février (disponible sur arte.tv jusqu’au 15 mai 204, à voir ICI). ARTE parle d’une « course contre la montre pour retrouver des enfants ukrainiens enlevés par les forces russes ». Une "course contre la montre" « avant qu’ils ne disparaissent », c’est l’expression retenue par le journaliste Pierre-Louis Caron pour France Info. L’article, mis en ligne le 5 février, cite notamment Beth Van Schaack, ambassadrice américaine pour la justice pénale internationale, qui affirme qu’ « un certain nombre d'acteurs non étatiques, franchement effrayants se font les petites mains de ces déportations. Il s'agit notamment de gangs de motards d'extrême droite (...) qui font sortir des enfants d'Ukraine ».
Certes, La Russie autorise, au compte-gouttes, le retour d’enfants en Ukraine. Dernière opération en date, grandement médiatisée : la "libération" de 11 enfants, âgés de 2 à 16 ans, souffrant de maladies chroniques, qui ont pu rentrer en Ukraine voici quelques jours. La médiation du Qatar a été mise en avant.
Au compte-gouttes, disions-nous : il reste encore, au bas mot, plus de 19.000 enfants ukrainiens captifs en Russie. « Si nous continuons à ce rythme, il nous faudra 50 ans pour ramener tous nos enfants à la maison », se désole Olena Zelenska. Et encore, plus le temps passe, plus il sera difficile de retrouver des enfants qui auront été adoptés et "russifiés", dont même l’identité aura été changée. Sans baisser les bras, Mykola Kuleba, de l’ONG Save Ukraine, se veut lucide : « nous ne retrouverons jamais la grande majorité des enfants ukrainiens volés ; nous ne les récupérerons jamais. » D’autant que demeure cette question lancinante : on parle de plus de 19.000 enfants. Où sont-ils ? Si des enquêtes ont permis, là aussi au compte-gouttes, d’identifier des enfants adoptés, et de localiser des "foyers d’accueil" et autres "centres de rééducation" où d'autres enfants seraient retenus, notamment en Crimée, mais aussi au Bélarus et en Tchétchénie, on est encore loin du compte. Et le refus obstiné de la Fédération de Russie d’empêcher tout accès des instances internationales (Unicef, Croix-Rouge…) laisse la porte ouverte à tous les soupçons possibles et imaginables, en plus de ce que l’on sait déjà. Car comme le déclarait récemment un député islandais, Birgir Thorarinsson, « la Russie a volé les espoirs et les rêves de milliers d'enfants ukrainiens, elle les a enlevés de leurs maisons, a volé leur identité. »
Jean-Marc Adolphe
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