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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

En Russie, le lancer de grenade entre au programme des écoles


Toujours plus haut, toujours plus fort. Alors que Maria Lvova-Belova, en s’affichant avec Poutine, envoie un message d’impunité aux Russes pour les inciter à adopter des enfants déportés, elle encourage un patriotisme renforcé dans les programmes scolaires. Lequel "patriotisme" va désormais passer par deux nouvelles "disciplines" obligatoires : le tir au fusil et le lancer de grenade. Tel est l’état de la-Russie-qu’il-ne-faut-pas-écraser.


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On l’a déjà dit : la rencontre entre Maria Lvova-Belova et Vladimir Poutine, le 16 février dernier, diffusée sur la première chaîne de télévision, avait comme premier objectif de montrer que le maître du Kremlin, comme le souligne l’Institute for the Sudy of War, surveille et dirige personnellement les efforts visant à faciliter les programmes d'expulsion et d'adoption des enfants ukrainiens déportés en Russie.

A quoi bon une telle mise en scène, qui n’est pas la première du genre ? Poutine insiste lourdement, et maladroitement, sur l’enfant de Marioupol que Maria Lvova-Belova a elle-même adopté. « Il est petit ? », demande ingénument Poutine. « Non, il a 15 ans. Ça a été dur, mais nous nous aimons bien », répond Lvova-Belova. L’adoption de cet adolescent de Marioupol (nommé Philipp), la commissaire présidentielle russe s’en vante depuis la mi-octobre, elle a même organisé une conférence de presse à cet effet, et cette "touchante histoire" a fait le tour de tous les médias russes. Même isolé dans son bunker-Kremlin, Poutine ne pouvait ignorer que le "petit enfant" de Marioupol adopté par sa commissaire est un adolescent de 15-16 ans. Alors, pourquoi tant d’insistance dans la mise en scène ? Certains en viennent à douter que le fameux Philipp, qui existe vraiment (Lvova-Belova l’a complaisamment exhibé devant les caméras), soit effectivement ukrainien et originaire de Marioupol. Son identité complète n’a jamais été dévoilée, personne à Marioupol ne l’a reconnu, et au point où on en est, il n’est pas impossible que cette histoire ait été montée de toutes pièces : « une fiction », comme le suggère dans une tribune mise en ligne par censor.net le journaliste et traducteur ukrainien Oleksandr Mykhelson.


En tout cas, poursuit Oleksandr Mykhelson, « on comprend pourquoi ces spectacles à répétition sont nécessaires. En Russie, depuis le mois d'avril, on essaie de mettre en place un programme visant à créer, littéralement, des janissaires. Comme presque personne au monde n'a d'expérience en la matière depuis l'époque des janissaires, ils essaient de le faire au feeling. Et l'une des astuces consiste à faire constamment la démonstration de ces "adoptions". Pour les encourager (…), et ne pas avoir peur : Car tous ces enlèvements et cette "rééducation" d'enfants ukrainiens tombent, en principe, sous le coup de l'article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. » Même pas peur : "si je le fais, vous pouvez le faire aussi", c’est le message d’impunité que veut faire passer Lvova-Belova en brandissant son ado d’adoption.

« Dans le même temps », poursuit Oleksandr Mykhelson, « après plus de vingt ans d'un véritable lavage de cerveau,beaucoup de Russes croient "par défaut" que ces enfants - des adolescents aux bébés - qui sont "adoptés" proviennent tous d'orphelinats ou ont perdu leurs parents à cause de ces satanés Bandéristes [référence à Stepan Bandera, figure controversée du nationalisme ukrainien, qui a collaboré avec l’Allemagne nazie - NdR]. Mais tout le monde ne croit pas à cela. Et il y a certainement des gens qui vont au moins se demander : fallait-il déclencher une guerre pour créer des orphelins que l'on peut ensuite adopter ? (…) Je ne sais pas combien d'entre eux sont encore capables de penser, mais plus personne n'ose s'épancher. Et puis on arrête lentement de penser… »


Côté ukrainien, un nouveau rapport sur les déplacements forcés, y inclus les déportations d’enfants, vient d’être produit par un collectif d’ONG, la "coalition 5:00 pm" (ci-desous téléchargeable en PDF) : pas de nouvelles révélations, mais la confirmation que « la Russie entrave délibérément l'accès aux informations relatives au processus dit "d'évacuation". Ces obstacles sont créés tant pour les autorités compétentes de l'Ukraine que pour les organisations internationales (par exemple, l'UNICEF, le CICR) et les représentants de la société civile. »


Faute d’un tel "droit de regard" de la part d’instances internationales, le nombre exact d’enfants déportés (et plus largement, de civils ukrainiens déplacés en Russie) reste sujet à caution. Depuis le début (et c’est une "marque de fabrique", pour éviter les écueils de la désinformation : prendre le temps de vérifier et recouper les sources) , les humanités ont mis en doute la sincérité des chiffres avancés par les autorités russes, qui affirment que plus de 700.000 mineurs ukrainiens se trouveraient sur le sol russe. Pour la première fois, Dmytro Lubinets, commissaire aux droits de l'homme du Parlement ukrainien, a confié à un journaliste d'Ukrinform, que ce chiffre était vraisemblablement très exagéré. Si la plateforme Children of war recense à ce jour (20 février 2023) 16.207 cas dûment identifiés, le nombre total d’enfants est beaucoup plus élevé : Dmytro Lubinets l’évalue à 150.000. Moins que le nombre de 700.000 claironné par les Russes, mais 150.000, c’est déjà énorme ! Sur le plateau de C’est Politique, hier soir sur France 5, Florence Aubenas a bien dit qu’il y a là quelque chose de « glaçant ». Et à ses côtés, l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau a renchéri : « C’est l’une des pires abjections de cette guerre, et je suis surpris qu’on ne le souligne pas davantage, alors que nous avons toutes les connaissances sur ce qui s’est passé ». Qu’on ne compte pas sur Emmanuel Macron pour s’émouvoir de ce crime de génocide : il en est encore à ne pas vouloir « écraser la Russie » !


Lors de son entrevue avec Vladimir Poutine, Maria Lvova-Belova n’a pas seulement vanté son action auprès des pauvres petits enfants du Donbass. Elle a souligné l’aide financière de l’ultra-nationaliste (fasciste, pour tout dire) Konstantin Malofeev et de Viktor Medvedchuk, ex-dirigeant corrompu du "clan de Kiev". Poutine a demandé de leur transmettre sa « gratitude personnelle ». Et puis Lvova-Belova s’est aussi émue de ce que les enfants des combattants de Wagner (et d’autres milices privées), y compris ceux qui ont été extraits de prison, n’aient pas les mêmes droits que ceux des soldats "officiels" de l’armée russe. C’était cousu de fil blanc : « Nous étudions actuellement cette question », a répondu Poutine… En ce moment-même, la Douma examine un projet de loi pour accorder aux miliciens de Wagner les "garanties sociales" que l’État réserve aux militaires patentés. Cela ne devrait pourtant pas suffire à calmer Evgueni Prigojine, qui peste contre le fait qu’à cause de la "bureaucratie militaire", les munitions et autres "ressources nécessaires" n’arrivent plus à sa chair à canon. A mains nues et l'estomac vide, c'est plus compliqué... Des émeutes à venir bientôt ?

Evgueni Prigojine, au milieu de quelques-uns des combattants de sa milice Wagner


Pour prévenir de telles perspectives insurrectionnelles, la propagande du Kremlin prépare de nouvelles injections de patriotisme forcené. Et ça passe par les écoles. Depuis le mois de septembre dernier, un nouveau programme s’est infiltré dans les classes russes, intitulé "Conversations sur les choses importantes", au cours duquel les enfants sont instruits des "valeurs de la société russe". Cela ne suffisait pas. A la demande (sic) d’une "Association nationale des parents", ce programme vise désormais les adultes parents d'élèves. Intitulée "La Russie dans le monde", une première séance a eu lieu le 13 février sur la première chaîne de télévision russe, avec Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, le chef d’orchestre Valery Gergiev, directeur du théâtre Mariinsky, l'acteur Konstantin Khabensky, le chanteur Egor Kreed, et… Maria Lvova-Belova, décidément sur tous les fronts. La télé, c’est bien, mais pas suffisant : 17.500 « conseillers pédagogiques » ont été recrutés pour aller dispenser la "bonne parole patriotique" dans les écoles de toutes les régions de la Fédération de Russie.

A gauche : Cours d’instruction patriotique à destination des parents d’élèves. Photo Sofia Sandurskaya / agence Moskva

A droite : Des adolescents russes lors d'une cérémonie d'adhésion au mouvement patriotique des cadets de la Jeune Armée (Younarmia) dans le hall principal du musée de la bataille de Stalingrad à Volgograd. Photo Kirill Kudryavtsev / Scanpix/LETA


Ce n’est pas tout. Le patriotisme passe par la formation au maniement des armes. La militarisation de la jeunesse russe, déjà mise en œuvre au sein de la Younarmia, va désormais franchir les murs de l’école. « Les enfants apprendront les principes de fonctionnement des grenades F-1 et RGD-5, les bases de l'entraînement au combat, les opérations dans le cadre du combat moderne à armes combinées, et la connaissance de la composition et de l'armement de l'escouade de combat d'infanterie mécanisée », vient de déclarer une députée de la Douma, Yana Lantratova, en présentant une proposition de loi qui a d’ores et déjà été approuvée par le ministre de l’Éducation, Sergey Kravtsov. Le vice-premier ministre russe, Dmitry Chernyshenko, a même annoncé la semaine dernière que le tir au fusil et le lancer de grenade seront ajoutés aux travaux scolaires obligatoires. Selon lui, ces nouvelles "disciplines" contribueront à populariser le sport et à accroître l'intérêt des jeunes pour le service militaire. Une bonne note à l’épreuve de lancer de grenade garantira un accès privilégié aux "forces de défense technique" de l'armée russe. L’aurait-on lu dans un livre de politique-fiction, on ne l’aurait sans doute pas cru. Mais dans la-Russie-qu’il-ne-faut-pas-écraser, tout est décidément possible.


Jean-Marc Adolphe


Photo en tête d’article : des enfants avec des armes à feu dans le parc familial de chars d'assaut à Saint-Pétersbourg. Photo Olga Maltseva / Scanpix/LETA.


Note : la source principale d'information sur les nouvelles "disciplines" qui vont figurer au programme des écoles russes vient de Spektr.press (recoupée par des recherches sur d'autres médias russes). Spektr.Press est un magazine internet indépendant, orienté vers un public russophone, qui vise à présenter un large éventail d'opinions indépendantes sur les événements les plus importants. "Spektr.Press ne représente aucun intérêt public ou commercial, n'est pas lié financièrement à des investisseurs ou des sponsors et est prêt à ne rendre des comptes qu'à ses lecteurs.

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