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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

En Poutinie, ça purge sec



Vladimir Poutine au Kremlin à Moscou,le 23 mai 2024. Photi Yuri Kochetkov / AP


Quelle mouche a donc piqué Vladimir Poutine, sitot "réélu" à la présidence de la Fédération de Russie ? Après la nomination d'un nouveau ministre de la défense, économiste de formation, plusieurs arrestations ont visé des généraux de haut-rang ainsi que des hauts fonctionnaires du ministère. La corruption, jusqu'ici tolérée voire adoubée, commencerait-elle à fragiliser l'économie de guerre ? Avec, en primes, d'autres nouvelles de cet étrange pays qu'est la Poutinie.


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Maintenant, la gabegie, ça suffit. Gabegie, en russe, on dit бесхозяйственность, mais on peut dire aussi коррупция, corruption. Dans l'armée russe, cette corruption est endémique. Et on comprend... Pourquoi les militaires de carrière, qui se dévouent tant pour la sainte patrie, resteraient-ils comme des ballots à regarder briller de tout leur clinquant les oligarques qui ont pillé la richesse russe, sans participer eux aussi à l'open bar qui a suivi la perestroïka, les médailles, c'est bien beau, mais la thune, c'est quand même mieux.


Sergueï Choïgou, alors ministre de la défense, à Moscou, le 21 juin 2023. Photo Aleyev Yegor / Tass.


Comment se priver quand en plus, c'est Sergueï Choïgou, le pote à Poutine jusqu'à peu ministre de la Défense, qui organisait pour le tsar des bains de sang de jeune cerf, qui a été le premier à montrer l'exemple, si on peut parler d'exemple. Sergueï Choigou, que feu Evgueni Prigojine, le chef du Groupe Wagner, avait gentiment qualifié de "salope", ne gagnait officiellement que 10 millions de roubles annuels (environ 100.000 €). Bien, mais quand même un peu juste pour posséder six biens immobiliers (dont une maison et un appartement de 500 m² chacun), avoir acheté à l'une de ses filles, Ksenia, deux terrains et un appartements pour une valeur de 27 millions de dollars dans le luxueux quartier de Barvikha, dans la banlieue chic de Moscou. Sans parler de son épouse, de son autre fille, qui est tous les quatre matins en vacances à Dubaï, etc.


Avant d'être à la défense, de 2012 à hier, Choïgou a été en charge pendant 18 ans, de 1994 à 2012, du ministère des Situations d'urgence qui est, de notoriété publique, le plus corrompu de toute l'administration russe. Les "situations d'urgence", ça rapporte énormément...


Au ministère de la Défense, s'il n'a pas personnellement puisé dans la caisse (on n'a à ce jour aucune preuve), il a couvert dans les grandes largeurs son bras droit, rien moins que le vice-ministre de la défense, Timur Ivanov, qui aurait détourné plus de 12 millions de dollars. Timur Ivanov, qui a fait ses débuts dans le secteur des carburants et de l'énergie, a notamment été chargé de grands chantiers au sein du ministère de la défense tels que la cathédrale principale des forces armées russes, le parc à thème Patriot Park, le cosmodrome de Vostochny et, plus récemment, la "restauration" de Marioupol.


L'ex vice-ministre de la défense, Timur Ivanov, avec son épouse, Svetlana Zakharova en 2011. Photo Valery Levitin / Kommersant


En 2022, la fondation anti-corruption d'Alexeï Navalny avait publié une enquête sur Ivanov et sa femme Svetlana, qui révélait notamment leurs vacances somptueuses en Europe (où ils louent des villas et des yachts de luxe) et leur propriété d'un manoir dans le centre de Moscou. Deux autres personnes ont été arrêtées en même temps qu'Ivanov : Sergueï Borodin, un ami dont l'entreprise aurait construit la maison de campagne du vice-ministre dans la région de Tver, et Alexander Fomin, le copropriétaire de la principale entreprise de construction travaillant aujourd'hui Marioupol.


L'interpellation de Timur Ivanov, début mai, n'est pas la moins spectaculaire d'une opération qui a des allures de (petit) coup de pied dans la fourmillière. Accusés de corruption ou de fraude, plusieurs haut gradés ont été arrêtés en un mois, dont le chef adjoint de l’état-major, le général Ivan Popov. Figurent également dans la charette :  le général Vadim Chamarine, chef adjoint de l’état-major, chargé des transmissions ; Vladimir Verteletski, chef du département de l’approvisionnement du ministère de la Défense ; ou encore le chef de la direction principale du personnel du ministère, le lieutenant-général Yuri Kuznetsov. On en conviendra : ce n'est pas du menu fretin.


Andreï Beloussov, qui succède à Sergueï Choïgou au ministère de la défense de la Fédérationde Russie. Photo DR.


Quel sens donner à cette "purge" soudaine dans la hiérarchie militaire et au sein de l'adminisrtation du ministère de la défense ? Selon la politologue Ekaterina Schulmann, citée par Le Monde : « Il est hors de question pour le Kremlin de voir les militaires acquérir trop de pouvoir ou d’autorité. » Soit. Mais pourquoi Poutine mettrait-il soudainement un frein à une corruption qu'il a jusqu'ici couverte pour ne pas dire adoubée ? Il y a peut-être une explication plus triviale. Le successeur de Choïgou au ministère de la défense s'appelle Andreï Beloussov. C'est, parait-il, une "forte tête", peu enclin à accepter les avis divergents. C'est surtout un économiste de formation, qui n’a jamais servi dans l’armée et n’a aucun lien connu avec le secteur militaire. De 2012 à 2013, Belooussov a été Ministre du Développement économique. de 2012 à 2013, il a ensuite travaillé au sein de l'administration présidentielle en tant que conseiller de Poutine pour les questions économiques. Dans la langue de bois qu'il affectionne, Dmitri Peskov, le toutou-porte-parole du Kremlin, a justifié ce choix (d'un civil) par «  la nécessité d'introduire des innovations dans les activités de défense, et pour faciliter l'intégration de la défense et du civil au sein de l’économie russe. »


En réalité, le choix d'Andreï Beloussov répond à une autre "nécessité". Quoiqu'en dise le tsar du Kremlin, le double poids des sanctions occidentales et des pertes en Ukraine (humaines et matérielles) commencent à sérieusement miner l'économie russe. Pour soutenir un effort de guerre que Poutine inscrit désormais dans la durée (plus question de"blietzkrieg"), il va falloir commencer à gratter les fonds de tiroir, y compris, donc, si ces "fonds de tiroir" emplissent frauduleusement les poches de la hiérarchie militaire. Poutine est sans doute acculé à une telle "extrêmité", mais c'est un choix risqué. Au sein de l'armée russe, le général Ivan Popov était respecté et jouissait d'une certaine popularité. Son arrestation passera-t-elle comme une lettre à la poste ? Certains experts estiment aujourd'hui qu'une révolte des généraux est assez vraisemblable. » On verra bien. Le feuilleton est loin d'être fini...


J-M. A.



Bons baisers de Moscou (autres nouvelles de Poutinie)

 

Chair à canon. En Russie, non seulement les condamnés sont recrutés pour la guerre, mais aussi les suspects et les accusés dans les affaires pénales, comme l'a découvert le service russe de la BBC. « Les seules personnes qui ne sont pas emmenées à la guerre désormais sont celles accusées de terrorisme, de trahison, de sabotage, particulièrement graves, et de certains crimes sexuels. Les autres sont tous très rapidement expédiés sur le terrain de "l'opération militaire spéciale. » Le recrutement s'effectue selon le schéma suivant : dans un premier temps, les suspects et les accusés sont informés de la possibilité d'aller au front au lieu de participer au procès. Si une personne impliquée dans une affaire pénale accepte de s'enrôler dans l'armée et que l'armée est prête à accepter un tel candidat, le commandant de l'unité demande à l'enquête de suspendre l'examen de l'affaire.

 

Retour du front. Un nouveau reportage long format réalisé par les journalistes de BBC Russie Elizaveta Fokht et Nina Nazarova décrit la menace de violence domestique que représentent les soldats russes de retour au pays. Leur récit se concentre sur les expériences d'une mère de 30 ans de la région de Tyumen dont le concubin, Ilya Reshilov, a commencé à abuser d'elle, de leurs enfants et de sa mère après avoir servi en Ukraine avec le groupe Wagner pour échapper à une peine de neuf ans de prison pour avoir tué un homme au cours d'une bagarre. Une nuit, alors qu'il était ivre, il a même menacé de décapiter sa femme, affirmant qu'elle avait le "visage d'une Ukrainienne", et a juré que ses camarades du groupe Wagner le sauveraient de toute punition. Après minuit, quelques nuits de menaces de mort et d'agressions plus tard, la femme d'Ilya a fini par le dénoncer à la police, mais les agents ne se sont pas précipités sur les lieux et ont attendu jusqu'au lendemain midi. Il a finalement été condamné à six ans de prison et sa femme a déménagé avec leurs enfants, mais Ilya serait aujourd'hui de retour en Ukraine, un soldat libéré de prison une fois de plus. L'enquête de la BBC Russie décrit également les tendances générales en matière de violences domestiques commises par des soldats (dont beaucoup sont des condamnés violents libérés prématurément) qui rentrent chez eux avec un syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Le gouvernement russe s'est montré réticent à étudier la question, et encore moins à consacrer des ressources aux soins psychologiques pour les anciens combattants ou aux soins de santé préventifs. Le consensus qui règne au sein des autorités affirme que la recherche occidentale fait preuve d'"hystérie quant au nombre possible de troubles post-traumatiques".

 

Comment déserter l'armée russe

Une nouvelle enquête du magazine d'investigation The Insider décrit l'augmentation des désertions dans l'armée russe. Les raisons les plus courantes de quitter l'armée russe sont l'épuisement dû à la guerre, les problèmes d'approvisionnement et les ordres suicidaires des commandants. Les soldats s'enfuient généralement pendant les permissions, les hospitalisations et les redéploiements. Au début de la guerre, la désertion était étroitement associée aux minorités ethniques, et les plus grands cas de désertion massive se sont produits dans les unités du groupe Wagner et de "Storm-Z", qui étaient principalement composées de condamnés recrutés. Plus récemment, selon The Insider, les déserteurs signalent que les attitudes de leurs proches en Russie ont changé et qu'il est devenu plus facile de les réconcilier avec leur décision de fuir l'armée et la guerre.

 

Comment la Russie utilise une flotte secrète de navires pour transporter du pétrole autour du globe

Cherchant à échapper aux sanctions et à contourner le plafonnement des prix du pétrole par le G7, la Russie a commencé à utiliser une flotte clandestine de pétroliers d'occasion décrépits pour transporter clandestinement du pétrole dans le monde entier. Ces navires, immatriculés au nom de sociétés-écrans étrangères, transportent le pétrole vers des acheteurs disposés à faire fi du plafond fixé par le G7. Si ce système a permis au Kremlin de continuer à vendre du pétrole à des prix plus élevés, le choix pourrait être plus politique que financier. Le média indépendant iStories s'est penché sur les raisons qui ont poussé la Russie à créer sa propre flotte fantôme et a découvert comment le réseau fonctionne et ce que l'Occident fait pour l'arrêter.


Les juges russes ordonnent de plus en plus de traitements psychiatriques obligatoires pour les dissidents politiques.

Les juges russes ont condamné cinq fois plus de condamnés dans des "affaires politiques" à un traitement psychiatrique obligatoire l'année dernière qu'au cours des deux années précédentes. Les juges ont envoyé au moins 25 accusés dans des "affaires politiques" dans des hôpitaux psychiatriques en 2023 et au moins huit accusés au cours des 4,5 premiers mois de 2024 (les affaires politiques concernent des condamnations pour des "lois pénales répressives", notamment "incitation à l'extrémisme", "justification du terrorisme", "discrédit de l'armée", "diffusion de désinformation", "appel à des sanctions contre des ressortissants et des entités russes", etc.). Le recours croissant du système judiciaire russe au traitement psychiatrique obligatoire n'est pas encore aussi répandu que l'était cette pratique à l'époque des dissidents soviétiques. Mais cette tendance à de quoi inquiéter.


Reconnaissance faciale : "En Russie, on scrute le comportement des profs et des élèves face à la guerre"

Le Kremlin utilise des technologies variées pour étendre son influence, analyse Julien Nocetti, chercheur à l’IFRI : « Le cycle entamé avec la pandémie de Covid puis l’invasion de l’Ukraine a permis à la Russie de tester différents outils de contrôle, notamment des technologies de reconnaissance faciale. Aujourd’hui, celles-ci maillent les grands centres urbains du pays, à commencer par Moscou. Il y a des caméras de reconnaissance faciale dans une partie des écoles du pays, pour vérifier le comportement des enseignants et des élèves, le regard qu’ils portent sur la guerre. Cela fait l’objet de coopérations étroites entre des acteurs nationaux comme Ntechlab et des entreprises chinoises comme Huawei et Dahua. »

L'Express, 25 mai 2024.


Le philosophe Ivan Ilyin, sympathisant des fascistes italiens et des nationaux-socialistes allemands,

dont Vladimir Poutine s'est réclamé à plusieurs reprises.


Les étudiants de l'Université d'État de Moscou ont exigé que la plaque commémorative du philosophe Ivan Ilyin soit retirée du bâtiment de leur université. Une plaque commémorative en l'honneur d'Ilyin, sympathisant avec les fascistes italiens et les nationaux-socialistes allemands, est accrochée au mur du bâtiment de l'Institut d'études asiatiques et africaines, rue Mokhovaya à Moscou. Les étudiants de l'Université d'État de Moscou ont lancé une pétition déjà été signée par plus de 30.000 personnes : « Nous exigeons que la plaque commémorative dédiée à Ivan Ilyin soit retirée, afin que l'Université d'État de Moscou puisse ainsi démontrer un digne exemple de lutte contre la propagande de l'idéologie fasciste! ». Ce centre universitaire est dirigé par le théoricien d'extrême droite Alexandre Douguine, qui conseille le Kremlin sur les questions idéologiques. Ivan Ilyin a été cité et nommé à plusieurs reprises parmi les philosophes les plus proches de lui par Vladimir Poutine.

 





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