200.000 personnes à Tbilissi, dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre, contre un pouvoir corrompu qui voudrait amarrer la Géorgie au Kremlin. Récit en images, au cœur des manifestations. Un nouveau Maïdan ?
La foule, et encore la foule. Après avoir frauduleusement remporté les derniers élections législatives (voir ICI), le parti du milliardaire pro-russe Bidzina Ivanichvili a fait un pas de plus dans la soumission au Kremlin, en reportant sine die le processus d'adhésion à l'Union européenne, pourtant gravé dans le marbre de la Constitution géorgienne. Comme ce fut le cas en mai dernier, lors du vote d'une loi répressive contre les "agents de l'étranger", qualifiée de "loi russe", les Géorgiens sont massivement descendus dans les rues de Tbilissi, autour du Parlement. La contestation touche bien d'autres villes, comme à Batoumi, sur les rives de la mer Noire.
« Cela fait dix ans que je fais des reportages sur le terrain et je n'ai jamais rien vu de comparable à ce dont j'ai été témoin aujourd'hui et hier. C'est un tournant dans les manifestations en Géorgie. Je n'ai jamais vu le peuple géorgien aussi déterminé. La semaine dernière, j'ai écrit que la diminution des foules dans les rues par rapport au printemps ne signifiait rien, si ce n'est que la colère n'avait pas disparu. Au contraire, elle couvait, se renforçait, attendant la prochaine erreur du régime pour éclater avec encore plus de force. L'émeute d'aujourd'hui a été dispersée tant de fois, de manière si brutale, que j'en ai perdu le compte. Tant de personnes ont été blessées. Tant de personnes ont été arrêtées. Pourtant, aujourd'hui encore, l'avenue Rustaveli est remplie de gens meurtris, épuisés, déçus et farouchement en colère, mais qui brandissent avec fierté des drapeaux de l'Union européenne. Parce que nous croyons que l'Europe est notre maison et que nous n'y renoncerons à aucun prix. Aidez-nous. Ne nous laissez pas perdre ce pays au profit des Russes. Personne ne s'est battu plus durement que nous pour l'obtenir. » (Anna Gvarishvili, journaliste et rédactrice en chef de l'Investigative Media Lab, relié à l’Université de Géorgie)
Sur le site du Monde, au soir du 28 novembre, quelques lignes en queue d'article sur la situation politique en Géorgie : « Des manifestants se sont aussi rassemblés jeudi soir devant le Parlement et le siège du Rêve géorgien à Tbilissi, ainsi que dans d’autres grandes villes du pays. Les manifestants ont agité des drapeaux de l’Union européenne et de la Géorgie, bloqué la circulation et ont érigé des barricades qu’ils ont enflammées. La police anti-émeutes a répondu en tirant des gaz lacrymogènes et en faisant usage de canons à eau. Des agents masqués ont aussi tiré des balles en caoutchouc vers les manifestants, et ont battu des protestataires et des journalistes présents. Les médias locaux ont fait état de plusieurs arrestations. »
On dirait que ça a été rédigé par ChatGPT ! On a retrouvé ces lignes sur bien d'autres médias, et pour cause : elles sont issues d'une dépêche AFP. Lors des manifestations pro-européennes de mai dernier, que nous avions abondamment relayées (ICI), on s'était déjà étonné du traitement pour le moins paresseux de l'Agence France Presse...
Scènes de violences policières
(dans la nuit du 29 au 30 novembre)
Parmi les journalistes blessés lors des manifestations de Tbilissi : Mariam Gafrindashvili, journaliste à TV Pirveli (à gauche), et Guram Rogava, reporter pour la chaîne de télé TV Formula (à droite). Photos réseaux sociaux
Ce lundi 1er décembre à 0 h 38, Le Monde titre encore sur la présidente géorgienne, Salomé Zourabichvili, qui « déclare qu’elle ne quittera pas son poste à l’issue de son mandat ». L'article, à nouveau basé sur une dépêche de l'AFP, reprend quasiment au mot près les informations de la veille : « Samedi soir, pour le troisième jour consécutif de protestation, des affrontements ont éclaté à Tbilissi devant le Parlement entre les forces de l’ordre et les manifestants pro-européens. Des policiers masqués en tenue antiémeute ont tiré des balles en caoutchouc, du gaz lacrymogène et fait usage de canons à eau pour disperser ceux qui lançaient des feux d’artifice, selon un journaliste de l’AFP. Des barricades ont été érigées sur l’avenue principale de la capitale. » Des manifestants tabassés, des journalistes pris pour cible, comme nous en faisions part dès le 29 novembre (ICI) ? L'AFP n'a rien vu. Tout juste apprend-on, en une ligne, que « Le Conseil de l’Europe a condamné la "répression brutale des manifestations" ».
Que l'on compare avec le reportage réalisé sur place, pour la BBC, par l'excellent Steve Rosenberg, publié sur YouTube ce lundi matin (voir ci-dessous).
Reportage : Steve Rosenberg pour la BBC
Les manifestations des 29 et 30 novembre en images
(diaporama)
Et maintenant ?
Hier à Tbilissi, au plus fort de la manifestation, il y avait 200.000 personnes, avec une détermination inouïe. Combien de temps un régime honni peut-il tenir face à une telle vague protestataire ? En 2014, en Ukraine, il avait fallu une semaine à la Révolution de la Dignité (Maïdan), du 18 au 23 février, pour venir à bout du président Viktor Ianoukovytch qui, comme aujourd'hui en Géorgie, avait décidé de suspendre l’accord d'association entre l'Ukraine et l'Union européenne.
En Géorgie, le mouvement a d'ores et déjà commencé à s’étendre au-delà de la rue. Une centaine d’écoles et d’universités ont suspendu leurs activités. Des journalistes travaillant dans des médias d’État ont préféré démissionner. Cent soixante diplomates ont critiqué la décision du gouvernement de reporter le processus d’intégration européenne, qu’ils jugent contraire à la Constitution, et deux ambassadeurs de Géorgie, en Lituanie et aux États-Unis, ont rendu hier leur tablier. Et plusieurs centaines de fonctionnaires, notamment au sein des ministères des affaires étrangères, de la défense et de l’éducation, ainsi que des juges ont publié des déclarations communes en signe de protestation.
Isolé dans son somptueux bunker-palace en surplomb de Tbilissi, l'oligarque à la tête du parti au pouvoir, Bidzina Ivanichvili, est paraît-il un brin paranoïaque. Là, au moins, il a quelques raisons de l'être.
La rédaction des humanités (sans l'AFP).
Parce que vous le valez bien, les humanités, ce n'est pas pareil. Là, clairement, on est #StandwithGeorgia et #NoPasaran. A moins de préférer une information fade et sans reliefs, DONS et ABONNEMENTS nécessaires à nos petites lucioles ICI
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