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Dominique Vernis

En Guyane, une centrale anti-Prospérité

Dernière mise à jour : 21 déc. 2021


Jeune femme du village amérindien Kali'na de Prospérité, en Guyane Photo DR.


Depuis plus de 30 ans, le peuple Kali'na du village Prospérité, en Guyane, engagé dans un projet associatif et autogéré d'autonomisation de ses ressources, attend de l’État qu'un terrain lui soit confié au titre des "zones de droit d’usage collectif". En moins d'un an, la société HDF Energy a obtenu l'autorisation pour y implanter un méga-projet de centrale électrique. En France aussi, les droits des peuples autochtones passent à l'as.


A 15 kilomètres de Saint-Laurent du Maroni, en Guyane Française, le village amérindien Kali'na de Prospérité s’est lancé en février 2020 dans un projet d’autonomisation pour pouvoir compter sur ses propres ressources. Une première en Guyane.

Vidéo de l'association Village Prospérité ATOPO WePe


Constructions en bois, potager en permaculture en utilisant la technique de la terra preta (« terre noire » en portugais, un type de sol sombre d’origine humaine et d'une fertilité exceptionnelle due à des concentrations particulièrement élevées en charbon de bois, en matière organique et en nutriments) et poulailler, ateliers de production d’huile de coco, de maripa et de carapa à des fins alimentaires ou médicinales, de farine de manioc, transformation de produits frais (fruits et légumes), fabrication de jus de wassaï (palmier pinot dont on fait également le cœur de palmier), artisanat (bijoux en perles, vannerie, poterie…), mais aussi projet de médiathèque avec salle de réunion, lieu d’expositions, point internet ; petit restaurant sous forme d’une cantine populaire ; et à moyen terme, four et panneaux solaires (pour l’heure, l’essentiel de l’électricité provient du réseau EDF fonctionnant au fuel), fonderie artisanale, pépinière d’arbres de bois d’œuvre (wacapou, wapa, angélique, ébène …) avec restauration des zones déforestées : voici quelques-unes des ingrédients de ce projet communautaire et autogéré, porté par l’association Atopo We’Pe : « Notre village, qui compte environ 300 habitants est confronté depuis 33 ans à des difficultés d’ordre identitaire, de pertes des cultures traditionnelles, des savoirs faire ancestraux, perte de nos terres, de nos forêts et de nos eaux. Trop souvent victimes d’une administration qui nous néglige, d’un état colonial qui tente de nous assimiler dans un modèle de pensée unique, nous sommes confrontés aux mêmes problématiques que tous les peuples autochtones de Guyane et d’Amazonie : déforestation, projets miniers, agriculture extensive, pollution des rivières, dégradation des écosystèmes, atteinte à la dignité, disparition des langues et des cultures, etc… »

Sur 198 hectares, le projet CEOG, en Guyane, associe électricité photovoltaïque

et stockage grâce à l'hydrogène. Photo : HDF Energy


C’est dans ce contexte que le village de Prospérité se voit imposer un projet industriel à moins d’un kilomètre des habitations, en l’occurrence la construction d’une centrale électrique hybride (solaire-hydrogène) sur un vaste terrain encerclant toute la partie est du village. Le projet de centrale, baptisé CEOG (Centrale Électrique de l’Ouest Guyanais) est porté par une entreprise française, HDF Energy, dont le siège social est à Lormont, près de Bordeaux. L’un de ses principaux actionnaires est le groupe Rubis, spécialisé dans le stockage de produits liquides industriels et la distribution de produits pétroliers.

Pour un investissement de 170 millions d’euros, la Centrale Électrique de l’Ouest Guyanais, dont le mise en fonction est prévue pour 2024, est en quelque-sorte un poisson-pilote pour HDF Energy, dont le chiffre d’affaires atteint tout juste 400.000 euros au 1er semestre 2021, mais qui a augmenté son capital de 115 millions d’euros via son introduction en Bourse, en juin dernier. HDF Energy espère déployer la technologie testée en Guyane (qui consiste à combiner production d'électricité photovoltaïque et stockage sous forme d'hydrogène) dans une vingtaine de pays…

Avec son chef coutumier, Rolland Sjabere (photo ci-contre), le village amérindien Kali'na / Prospérité n’est pas opposé, sur le principe, à ce projet de centrale. Mais il conteste son emplacement. Depuis 30 ans, les habitants de ce village demandent en effet que le terrain de 198 hectares sur lequel va être implantée la centrale soit classé en "zone de droit d’usage collectif". Les zones de droit d’usage collectif sont des terres octroyées par l’Etat aux peuples autochtones de Guyane. Problème : leur législation n'est pas encore bien définie, et l’État se retranche derrière ce flou juridique pour jouer la montre (voir le reportage de Guyane la 1ère, ICI).

Promis en 2017 par un accord de l’État, 400.000 hectares de terres doivent être attribués aux peuples autochtones, Amérindiens et Bushiningués. Une avancée notable dans le dossier a été actée ce mardi 23 novembre 2021: les élus de la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG) ont voté le principe de la création d'un Établissement Public de Coopération Culturelle et Environnementale (EPCCE), qui aura pour mission la gestion de ces 400.000 hectares promis par L’État. Ce n’est donc pas encore fait, quatreans après la signature des accords de Guyane datent de… 2017. Mais là, il a fallu moins d’un an à HDF Energy pour obtenir de l’État une concession.

Les habitant.e.s et le chef coutumier de Prospérité se sentent particulièrement floués et demandent à ce qu’un autre emplacement soit trouvé pour le projet de centrale, dont les premiers travaux viennent de commencer. Mais « on a vraiment l’impression de ne pas être entendu en tant qu’entité, en tant que communauté à part entière, avec des revendications spécifiques à nos communautés », commente Benoît Hurtrez, coordinateur général du projet Prospérité. « Ici en Guyane, on pointe très souvent du doigt le premier article de la Constitution française qui dit que la République est une et indivisible. C’est quelque chose qui pose régulièrement problème. On peut bien comprendre dans cet article que nous sommes tous des hommes au même titre, on a les mêmes droits. Or, je crois qu’avec cette formule-là, on lisse tout, on uniformise tout. Et on perd nos identités, on perd nos particularités. Par exemple, ici en Guyane, cela freine énormément pour le foncier. Il y a des peuples autochtones, qu’ils soient Bushinengé ou Amérindiens, qui réclament des zones de foncier, des parties de forêt pour continuer à vivre à leur manière. Ce sont des choses qui ne sont pas acceptées, parce qu’on leur dit, non, vous êtes soumis aux mêmes lois que tout le monde, il faut être propriétaire, il faut acheter. Or, la plupart du temps, ici chez les Kalina, la propriété individuelle n’existe pas. C’est la propriété collective qui prime. »

Invoquant le problème de constitutionnalité évoqué par Benoît Hurtrez, la France n'a toujours pas ratifié la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 13 septembre 2007) ce qui est un scandale en soi. Mais a minima, le Grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenges (GCCPAB), qui a pour objet d'assurer la représentation des populations amérindiennes et bushinenges et de défendre leurs intérêts juridiques, économiques, sociaux, culturels, éducatifs et environnementaux, aurait dû être consulté avant toute décision foncière. Le gouvernement d’Emmanuel Macron s’est allègrement dispensé de cette formalité.

Le 18 décembre dernier, à l’initiative du chef Rolland Sjabere, et avec le soutien d'associations telles que l'association anticoloniale Tróp Violans et le mouvement Jeunesse Autochtone de Guyane, ainsi que de plusieurs autres chefs coutumiers, les habitant.e.s de Prospérité ont bloqué un carrefour à Saint-Laurent du Maroni. Ils ont chanté et dansé au son du Sampula, la tambour rituel kali'na (voir ICI). Le début d’une lutte qui est loin d’être terminée.


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