
Guillotinée le 16 octobre 1793 sur la place de la Révolution à Paris, Marie-Antoinette Josèphe Jeanne de Habsbourg-Lorraine fut la dernière reine de l’Ancien Régime. Dans un ballet inspiré, Thierry Malandain évoque les « années versaillaises de Marie-Antoinette ». Sans changer l'Histoire, mais avec une certaine empathie pour le personnage...
Nous avons découvert le ballet de Thierry Malandain Marie-Antoinette (créé en 2019) non à Biarritz [où Thierry Malandain dirige un Centre chorégraphique] ou à Saint-Sébastien mais à Versailles, à l’Opéra royal, précisément, lieu de sa création où – est-ce un hasard ? – se situe aussi l’action. Du point de vue dramaturgique, par l’unité d’action, de lieu et de temps, l’œuvre peut être considérée comme classique. Pour ce qui est de la chorégraphie, le ballet, très exigeant sur le plan technique, est à la fois mi-académique (avec ses jetés, arabesques, port de bras et pas de… basque), mi-baroque (cf. la scène de bal inaugurale), mi-contemporain (les danseurs allant nu-pieds). Les thèmes musicaux accompagnant les quatorze tableaux de la pièce sont tirés des symphonies 6, 7 et 8 de Joseph Haydn, intitulées Matin, Midi et Soir, de sa symphonie n° 73, baptisée La Chasse et d’un court extrait de l’Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck.
Une toile de fond – et de côtés – céleste, d’un bleu roi teinté de vert euscarien, associe gaiement divin et mondain – ange et démon, dans le cas présent, créature damnée et satanée. Le décor, signé Jorge Gallardo, est planté, limité dans l’espace et le temps imparti au récit. Le « cadre spatio-temporel » de Thierry Malandain est celui de la Cour où la protagoniste principale fait son entrée officielle et d’où elle sera délogée au bout de quatre-vingt minutes. Il est rappelé par une treizaine d’encadrements verticaux bleus et or et par un grand rectangle porté par les interprètes symbolisant la rigidité de l’étiquette royale, la contrainte, l’enfermement, l’emprise d’une jeune princesse promue reine, peut-être aussi celle des codes de la danse académique créée céans par Louis XIV. Ce cadre est celui des personnes se donnant en spectacle – un reflet dans le miroir, une représentation des rapports sociaux, au sens marxiste et situationniste de ces termes, une peinture mise en lumière par les feux de la rampe et la pente accentuée du théâtre.
La scène qui suit le bal prolonge le menuet allègrement, se transforme à vue la danse de salon en divertissement contemplatif. Le grand châssis en bois rétrécit l’espace scénique ; il le redéfinit et met en abyme le spectacle ; la sculpture ou, plus exactement, le bas-relief antique s’anime ; les tenues virent du clair à l’obscur ; et le temps, du présent au mythologique avec la reprise de Persée, créé près d’un siècle plus tôt par Quinault et Lully, ballet dans le ballet. Ce beau moment chorégraphique fait songer à Raymond Duncan qui, comme sa sœur et peu après Nijinski, voire Pavlova, rendirent tribut aux Grecs, chacun à leur manière. Ce passage de la blancheur à la noirceur présage du final de la pièce et de la fin – provisoire – de la monarchie. Comme Sofia Coppola dans son long métrage Marie-Antoinette (2006), Thierry Malandain éprouve une certaine empathie pour son personnage : « La seule façon pour moi de traiter ce sujet, était de faire de Marie-Antoinette un être humain. La faire exister à ma façon, sans changer l’Histoire. »
Tandis que la réalisatrice s’est autorisée ici et là quelque coquetterie en introduisant des anachronismes dans son récit en se gardant d’évoquer la fin tragique de la reine – sans aller jusqu’au « happy end » – le chorégraphe respecte scrupuleusement le cahier des charges, à savoir la demande de Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles, de retracer, repasser, remémorer les « années versaillaises de Marie-Antoinette ». Les faits étant têtus, le dénouement, sombre et sourd, la déchirure du décor céleste signifié par la fermeture des rideaux d’arrière scène, la chute de « l’infortunée Autrichienne » annoncée à coups de grosse caisse et d’infrabasses, pourra sembler déceptif. Pouvait-il (en) être autrement ? La Révolution ne pourrait-elle plus, de nos jours, « sans la croyance que le sang versé concourait au progrès » être traitée comme une fête, autrement dit joyeusement, en couleurs ?
Cette funèbre résolution ne saurait effacer les trouvailles gestuelles du chorégraphe, le travail littéralement lumineux de François Menou, l’élégance des tenues conçues par Jorge Gallardo, la haute valeur de la troupe à commencer, naturellement, par celle de l’éthérée Claire Lonchampt dans le rôle-titre. Nous avons en outre pu profiter de l’Orchestre de l’Opéra royal jouant live la B.O. sous la direction du violoniste-chef Stefan Plewniak. Nous ont régalé plusieurs temps forts : l’entame du ballet avec la scène de noces ; la reconstitution du ballet Persée (1682) dans le style de L’Après-midi d’un faune revu en 1995 par Malandain ; les pas de deux de la reine avec son époux légitime et avec tel ou tel courtisan ; le numéro de fan dance digne de Ruth St. Denis, de Sally Rand, de Zizi Jeanmaire (cf. « Mon truc en plumes »), variation virant au merveilleux pas de dix. Un véritable morceau de bravoure.
Nicolas Villodre
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