Les cinq lauréat.e.s du Prix 1% marché de l’art sont exposés jusqu’au 31 octobre au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Le « matriarcat utopique » de l’Afghane Kubra Khademi y côtoie les portraits réalisés à Barbès par Clarisse Hahn, tandis qu’au Laos flottent des réservoirs de kérozène recyclés.
« Les Envoûtés » n’est pas précisément une manifestation chamanique. Cette exposition collective, au musée d’art moderne de la Ville de Paris jusqu’au 31 octobre, rassemble cinq artistes dont les œuvres ont été choisies puis produites dans le cadre de la seconde édition du Prix 1 % marché de l’art, un prix créé en 2018 pour soutenir la production d’œuvres originales dans le domaine des arts visuels (hors cinéma et design), par la Ville et le Crédit Municipal de Paris. Ce dernier le finance en prélevant 1% du chiffre d’affaires de la vente aux enchères des objets préalablement déposés en gage et qui n’ont pu être repris par leurs anciens propriétaires. Chaque année, trois à cinq artistes plasticiens franciliens (vivant où travaillant en Ile de France), sélectionnés après appel à projet, bénéficient d’une dotation pour réaliser leurs créations.
Mais pourquoi les cinq artistes exposés cette année seraient-ils « envoûtés » ? Le titre de l’exposition est repris d’un roman rocambolesque de Witold Gombrowicz, dont l’action se déroule dans un château hanté, où ont lieu de troublantes rencontres. « Cet objet étrange dans le domaine littéraire – entre roman fantastique, gothique et noir – reste irréductible à toute catégorie et impose un univers singulier. Il en est de même de chacun.e.s des cinq artistes choisi.e.s pour la qualité de leur parcours et la pertinence des œuvres présentées [qui] sont toutes les fragments d’un monde à la fois proche du nôtre et métaphorique, dont ils/elles réinventent les règles avant de nous y plonger », écrit Camille Morineau, commissaire de l’exposition. L’explication vaut ce qu’elle vaut...
Mythologie afghane
L’ancrage dans l’histoire personnelle et celle de son pays, d’une actualité tragique, inspire Pouvoir et destruction de Kubra Khademi, née en 1989 à Kaboul, réfugiée à Paris depuis 2015. Les quinze dessins qui composent cette série font le récit d’un matriarcat utopique, tiré de la mythologie afghane peuplée de déesses guerrières à la sexualité libérée. Des dessins que Kubra Khademi promet à la destruction, lors de performances réalisées au fur et à mesure de leur exposition : « En me positionnant dans la situation de détruire volontairement ces dessins alors qu’il s’agit d’un espace d'espoir pour un artiste comme moi, j’entre dans un espace où je prends le pouvoir en détruisant la matérialité de mes œuvres d'art qui devaient exister au-delà de l’acte de la création. En fait, en les détruisant, en les faisant disparaitre, j’augmente leur visibilité », explique-t-elle.
Portrait Kubra Khademi, © Beatriz Ciliberto / Art Team Media, 13 octobre 2021
La possible métamorphose par la main et l’intelligence humaine d’engins de guerre, convertissant en un moyen imprévu de survie « un instrument de l’extension du domaine de la mort », tel est le sujet riche d’humanités de Droptank. Au moyen de photographies, vidéos, céramiques ou sculptures, Louis-Cyprien Rials évoque le recyclage, la nouvelle vie de réservoirs de kérozène vides, largués sur les territoires et les populations du Laos lors des bombardements.
Louis Cyprien Rials, Drop tank
De son côté, la photographe et vidéaste Clarisse Hahn a pris comme terrain d’exploration et de rencontre Barbès, le quartier où elle vit à Paris. Déjà présentée cet été aux Rencontres d’Arles, sa série Princes de Paris s'intéresse aux hommes originaires du Maghreb qui stagnent sous le métro aérien, aux vendeurs de cigarette à la sauvette, aux façons dont la rue crée des communautés. Un regard qui plonge aussi dans l’intimité, et révèle délicatement blessures et cicatrices que Clarisse Hahn fait résonner avec deux images d’archives qui sont comme un rappel de la violence coloniale.
Et aussi : Clarisse Hahn parle des Princes de la&rue. Entretien pour Konbini Arts :
Il reste quelques jours pour visiter l’exposition Les Envoûtés, en découvrant aussi Getting a younger sister, thinking to myself de Jean-Charles de Quillacq, plus intime, et Symbiotic consciousness de Louidgi Beltrame, qui confronte plusieurs « régimes d’images » du tout proche au très lointain.
Isabelle Favre
Illustration en tête d’article : Kubra Khademi, The Creators, 2021. © courtesy Kubra Khademi et galerie Eric Mouchet.
Les Envoûtés, exposition au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 31 octobre.
(L’appel à projet pour la quatrième édition du Prix 1% Marché de l’art sera lancé à la fin de l'année 2021. Contact : Direction des Affaires culturelles de la Ville de Paris, dac-unpourcent@paris.fr.)
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