En Ukraine, l'invasion "imminente" de la Russie est reportée à plus tard. Si guerre il y a, c'est surtout celle de l'information. Ou plutôt, de la désinformation. Décryptage.
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LES IMAGES DU JOUR / LE TOUR DU JOUR EN 80 MONDES En Ukraine, dans le Donbass, à l’Est du pays, des jeunes garçons s’amusent dans les tranchées, creusées sur le front, pour faire face à la Russie (photo en tête d'article), alors que Moscou annonçait le départ de certaines de ses forces de la péninsule annexée de Crimée, tandis que les manœuvres conjointes avec le Belarus, elles, se poursuivent.
« Si la crise ukrainienne à l'œuvre depuis plusieurs semaines est le plus souvent présentée comme une menace à la sécurité de l'Europe, force est de constater qu'elle aura surtout conduit jusqu'à présent à une guerre de l'information et de la communication », disait hier Thomas Cluzel dans le journal de 12 h 30, sur France Culture.
Guerre de l’information ? De fait, le 4 décembre 2021, déjà, la presse internationale titrait : « La Russie préparerait un assaut contre l'Ukraine au tout début de 2022. C'est ce que croit savoir le «Washington Post», qui cite un haut responsable américain. » Conditionnel de rigueur, « croit savoir », « un haut responsable » (lequel ?) On aime la précision de l’information !
Des militaires russes et biélorusses participent à un exercice dans la région de Goshsky, en Biélorussie,
le 12 février 2022. Photo Leonid Shcheglov / AFP
Depuis, on a entendu évoquer, sur tous les tons, « l’imminence » de l’invasion russe. Emmanuel Macron, se prêtant de bonne grâce au rôle du casque bleu (moins pour déminer les tensions que pour faire campagne électorale). Voyons le dessous des cartes : La très sérieuse Revue politique et parlementaire écrivait, le 24 janvier dernier :
« Certains pensent, y compris le président des Etats-Unis, que cette invasion est imminente, en tout cas que Vladimir Poutine se trouve dans l’obligation politique de « bouger » sauf à perdre toute crédibilité. D’autres estiment au contraire qu’il s’agirait de pures gesticulations de la part du dirigeant russe.
Dans l’histoire des conflits internationaux, la ruse, les fausses informations (on dirait aujourd’hui les « fake news »), la manipulation, ont toujours fait partie des outils de guerre. En allant le plus loin possible, Vladimir Poutine excelle dans cette méthode. Pourquoi exiger par exemple de l’OTAN qu’elle retire toutes ses troupes en Pologne, Bulgarie ou Roumanie alors qu’une telle exigence n’a naturellement aucune chance d’aboutir puisque ces pays sont membres de l’OTAN et que, souverains, ils ont le droit de fixer eux-mêmes le type de protections qu’ils peuvent demander à l’OTAN et aux Etats-Unis ? Certains pensent ainsi qu’en formulant de telles propositions inacceptables, le sort de l’Ukraine serait déjà scellé, l’OTAN et ses alliés étant par anticipation qualifié de forces agressives de nature à menacer la Russie.
En réalité, depuis vingt ans, soit le temps pendant lequel Vladimir a exercé le pouvoir, l’Ukraine est non seulement sous surveillance, mais aussi sous attaque permanente. En 2014, la Crimée a ainsi été annexée de fait. Aucune résolution des Nations-Unies, aucune réunion internationale n’a pu résoudre le conflit ou proposer une solution diplomatique pour sortir par le haut.
Mais il y a plus : les Russes n’ont jamais cessé de soutenir les séparatistes pro-russes du Donbass dans l’est du pays. Là-bas se déroule une guerre de tranchées qui a déjà fait près de quinze mille morts depuis 2014. Les Russes ont ainsi, depuis de nombreuses années, déjà encerclé ce pays qui vit constamment sous la menace d’une invasion brutale. Sur ce conflit aussi, les pays réunis sous le « format Normandie » (Russie, Ukraine, France, Allemagne), ne sont jamais parvenus à une solution politique.
Avec des troupes massées à la frontière, soit au Belarus, soit en Russie, il est clair aujourd’hui que Vladimir Poutine dispose d’au-moins trois voire quatre points d’entrée dans l’Ukraine : depuis le Belarus pour arriver rapidement jusqu’à Kiev, depuis la Russie pour fondre sur Louhansk et Donetsk permettant l’accès jusqu’au fleuve du Dniepr, depuis la mer noire en s’appuyant sur la Crimée où les forces sont stationnées, ou enfin depuis la mer d’Azov à partir de l’importante ville de Rostov-sur-le-Don.
Les États-Unis ne pourraient pas y intervenir, ni même les pays européens de l’OTAN puisque l’Ukraine n’étant pas membre de l’OTAN, la clause d’assistance mutuelle prévue par l’article 5 ne pourrait être invoquée.
Des citoyens, dont des enfants, participent à un exercice militaire mené par le parti ultranationaliste Secteur droit à Kiev, en Ukraine le 13 février 2022. Photo Umit Bektas / Reuters.
La question est : Vladimir Poutine prendra-t-il le risque d’une telle opération militaire alors qu’un formidable élan de résistance pourrait s’organiser, qui pourrait faire de l’Ukraine occupée un nouveau bourbier afghan ou vietnamien ? Vladimir Poutine, malgré l’instauration d’un pouvoir fort et autoritaire, pourrait-il résister à un échec alors qu’à bientôt soixante-dix ans, sa présence au pouvoir pourrait toucher à sa fin, même s’il s’est assuré d’y rester jusqu’en…2036, ayant à cette fin modifié plusieurs fois la Constitution. De surcroît, son image s’est ternie chez lui, sans compter les sanctions économiques et financières extrêmement sévères qui en résulteraient pour le régime russe et la population déjà appauvrie par la crise, ainsi que les actuelles sanctions en vigueur.
Il convient donc d’être prudent. Toujours est-il que du côté américain, la clarté stratégique n’est pas évidente. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a ainsi affirmé, lors de ses pérégrinations diplomatiques en Europe depuis quinze jours, que les Etats-Unis et ses alliés européens parlaient d’une seule voix. Toutefois, le président Biden déclarait la semaine dernière qu’il existait des divergences quant à la riposte envisagée en cas d’invasion de l’Ukraine entre les partenaires de l’OTAN. Cette phrase pour le moins dévastatrice fut aussitôt rectifiée par la vice-présidente Kamala Harris, certainement alertée par ses propres conseillers, qui réaffirmait aussitôt que la riposte des Etats-Unis serait très « agressive ». Depuis des semaines, les membres de l’OTAN clament que le prix à payer pour une agression de l’Ukraine sera « très fort », notamment l’Allemagne qui vient de décider, au grand dam de ses voisins de l’Est européen, de ne plus exporter d’armes en Ukraine et d’interdire toute utilisation de matériel allemand dans ce pays. L’éternelle ambiguïté allemande qui n’a pas changé depuis l’ère Merkel… De fait, personne ne sait aujourd’hui ce que serait la riposte américaine et européenne. Toujours est-il que Vladimir Poutine s’est engouffré dans cette brèche stratégique.
Si, comme l’a dit le président Emmanuel Macron, l’Europe a toujours été présente dans la discussion, en revanche, on ne l’a jamais vue à la table des négociations : ni à Genève, ni à Bruxelles pour le conseil OTAN-Russie, ni à Vienne lors de la réunion de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dont la session était pourtant présidée par la Pologne, et on ne la verra pas plus en cas de sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine.
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