EXCLUSIF. Suite de la saga Lvova-Belova : la commissaire russe aux "droits de l’enfant" est ce jeudi 13 octobre à Novosibirsk, en Sibérie occidentale, pour "placer" une vingtaine d’enfants volés dans des internats de la région de Louhansk. Avec la bénédiction de son patron, Vladimir Poutine, elle sera bientôt dans les régions de Kherson et de Zaporijjia pour poursuivre à un "rythme industriel" son entreprise de prédation. Pourtant, face à la monstruosité d’un tel crime de guerre, UNICEF, gouvernements européens et médias observent un étrange mutisme.
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Suite de la saga Lvova-Belova, du nom de cette commissaire aux droits des enfants auprès de Vladimir Poutine, cheville ouvrière d’une vaste opération de déportation d’enfants ukrainiens en Russie, qu’elle maquille sous les atours d’une "œuvre de bienfaisance".
Ce sujet majeur, la communauté internationale feint de l’ignorer, tandis que l’espace médiatique est accaparé par des nouvelles évidemment tout aussi importantes : la centrale nucléaire de Zaporijjia, la découverte du charnier d’Izoum, les pseudo-référendums suivis de l’annexion par la Fédération de Russie des régions de Louhansk et de Donetsk, de Kherson et de Zaporijjia, l’attaque contre le pont de Kerch, puis les bombardements massifs d’infrastructures civiles à Kiev et dans des villes ukrainiennes jusque là relativement épargnées, la menace atomique brandie par Poutine et… les rigueurs de l’hiver qui s’annonce.
Dans ce contexte, les enfants passent à l’as. C’est donc en toute tranquillité que Maria Lvova-Belova a pu continuer, avec le plein et entier soutien de Poutine, le trafic d’enfants auquel elle se livre, les récentes annexions de Louhansk et de Donetsk, de Kherson et de Zaporijia lui permettant même, de son propre aveu, de passer d’un « système artisanal » à un « rythme industriel » (à lire, dernier article paru sur les humanités, le 30 septembre).
Site internet du Kremlin (en anglais), capture d'écran.
Selon la presse russe, 350 enfants du Donbass, prétendument "orphelins", ont d’ores et déjà été placés dans des familles d’accueil après avoir transité, pour certains, dans des "centres de rééducation" (« Au début, ces enfants étaient négatifs. Ils insultaient Poutine, ils chantaient l’hymne ukrainien… Au bout de quelques semaines, ils expriment leur amour pour la Russie », dixit Maria Lova-Belova). La semaine dernière, ainsi que l’indique le site du Kremlin, 234 enfants ont été raflés dans des internats du Donbass, et convoyés à l'aérodrome militaire de Chkalovsky, à Moscou à bord de trois avions affrétés par le ministère russe de la Défense. L’opération a été commanditée en personne par Denis Pouchiline, le "président" de la "république populaire de Donetsk". Et ensuite ? Ces enfants sont expédiés sur tout le territoire de la Fédération de Russie, selon le bon vouloir et le zèle de gouverneurs régionaux qui ont la charge de trouver des "familles adoptives".
Maria Lvova-Belova et le gouverneur de Novosibirsk, Andrei Travnikov, le 12 octobre 2022
Ce jeudi 13 octobre, Maria Lvova-Belova est à Novossibirsk, capitale du district fédéral sibérien, à 2.812 km (3.356 km par la route) à l’est de Moscou. Hier, en compagnie du gouverneur Andrei Travnikov, elle y dévoilait un plan pour ramener dans le droit chemin des adolescents qui "traînent les rues", principalement dans un quartier baptisé la Cour des délices, « une zone avec des cafés et des graffitis », pour les diriger vers un "centre pour les jeunes", en périphérie de Novossibirsk, où ils pourront se consacrer à des « activités utiles ».
Le gouverneur régional de Novosibirsk, Andrei Travnikov, et la médiatrice régionale aux droits de l’enfant, Nadezhda Boltenko
Aujourd’hui, on passe aux choses sérieuses. Un premier contingent de 24 enfants âgés de 2 à 16 ans, raflés dans l’oblast de Louhansk, était attendu sur le tarmac de l’aéroport de Tolmachevo, à Novosibirsk, en présence du gouverneur régional, Andrei Travnikov, et de Nadezhda Boltenko, médiatrice régionale aux droits de l’enfant. Ceux-là viennent du district de Belovodskiy, dans la région de Louhansk. Et ce n’est qu’un début. Une nouvelle "fournée" est annoncée dans les prochaines semaines, le temps de trouver davantage de "familles d’accueil".
A l'aéroport de Novosibirsk, ce 13 octobre, la "réception" des enfants déportés de Louhansk par le gouverneur régional,
Maria Lvova-Belova et leurs "familles d'accueil".
Car l’industrielle Maria Lvova-Belova, elle, ne chôme pas. Après son escapade sibérienne, selon l’agence officielle Ria Novosti, elle a planifié pour les prochains jours une "excursion" dans les régions de Kherson et de Zaporijjia, jusque-là épargnées par son entreprise de prédation. Naturellement, il s’agit selon elle de "protéger" des enfants affectés par la guerre. D’ailleurs, ajoute-t-elle, les enfants ainsi déportés sont libres de « choisir leur famille d’accueil » en Russie. Certains de ces enfants ont moins d’un an ! On imagine qu’ils seront plus faciles à "russifier" que des adolescents récalcitrants…
La Convention de Genève, Maria Lvova-Belova et son patron (Vladimir Poutine) s’en contrefichent éperdument. Comme vient de l’écrire l’ultra-nationaliste Alexandre Douguine, « le droit international et la géopolitique [entendons : l’impérialisme russe] ont parfois des visées opposées, et c’est la géopolitique qui doit alors prévaloir. » Au moins, c’est dit.
Polina et Karina, enlevées à leurs parents fin août à Kozacha Lopan, dans le Donbass
En outre, les soi-disant orphelins prélevés dans les territoires occupés d’Ukraine par Madame Lvova-Belova ne sont pas tous si orphelins que cela. Le collectif Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre, à l’initiative de la pétition « Sauvons les enfants ukrainiens déportés en Russie » qui recueille d’ores et déjà, au 13 octobre, plus de 130.000 signatures, produit le témoignage des parents de deux petites filles, Polina, 9 ans, et Karina, 13 ans, "évacuées" du village occupé de Kozacha Lopan, au prétexte d’une "colonie de vacances". Depuis fin août, les parents sont sans nouvelles de leurs filles. Et plusieurs cas similaires ont été rapportés.
Maria Lvova-Belova accueille à l'aéroport de Novosibirsk des enfants déportés de la région de Louhansk.
Vidéo de propagande, 13 octobre 2022.
Non, Madame Lvova-Belova, vous avez beau poser avec de gros nounours à l’arrivée en Sibérie d’enfants déportés du Donbass, votre entreprise n’a rien "d’humanitaire". Elle est criminelle, un point c’est tout.
En pratiquant ainsi la déportation d’enfants, la Russie de Poutine rejoint les sinistres précédents du régime nazi (avec des enfants polonais), de l’Argentine des généraux et de l’Espagne de Franco, où quelque 30.000 enfants ont été volés dès leur naissance (Lire ICI).
L’histoire ne servirait-elle donc à rien ? Sollicitée, l’UNICEF observe un prudent "silence radio", les gouvernements européens se taisent, et tout autant, à quelques rares exceptions près, la presse hexagonale. Idem pour la Croix-Rouge, voire pire : selon le site prorusse donbasstoday.ru, citant Ana Soroka, "ministre" des affaires affaires étrangères de la "république de Louhansk" (photo ci-contre), le Comité international de la Croix-Rouge a accepté d'être accrédité en Russie pour travailler dans la République populaire de Louhansk. Pour garantir la bonne exécution de la prochaine déportation (programmée et annoncée) de 76 enfants supplémentaires d'Ukraine vers la Russie ?
Sur les humanités, c’est la cinquième publication à ce sujet depuis la mi-mai. Personne ne pourra dire : « on ne savait pas ». L’Histoire jugera.
Jean-Marc Adolphe
Photos en tête d'article : Maria Lvova-Belova et le gouverneur de la région de Moscou, Andrei Vorobyov, réceptionnent à l'aérodrome militaire de Chkalovsky, près de Moscou, un groupe d'enfants raflés dans le Donbass. Certains de ces enfants ont ensuite été déportés ce 13 octobre à Novosibirsk, en Sibérie occidentale.
COMPLÉMENT D'ARTICLE
Postérieurement à la publication de cet article, Associated Press a mis en ligne une grande enquête, "Comment Moscou s'empare des enfants ukrainiens et en fait des Russes", à lire ICI en anglais.
Cette enquête reprend des éléments déjà révélés dans les humanités, et apporte des témoignages inédits et terrifiants, notamment celui d'une famille aujourd'hui installée en France, qui a finalement pu récupérer ses enfants volés à Marioupol par l'armée russe, après un long et obstiné combat. Cette enquête confirme en outre l'existence d'un véritable système de prédation mis en place dès 2014. Enfin, cette enquête montre que de nombreux enfants raflés à Marioupol ou dans le Donbass sont faussement déclarés comme "orphelins" par les autorités russes.
Une traduction française de l'enquête d'Associated Press vous est offerte par les humanités : PDF ci-dessous à télécharger.
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Mais comment peut-on écrire ces articles et que faisons nous sur le terrain pour protéger les enfants
Bravo, encore une fois Les Humanités sont en pointe de l'information, et quasi seuls en France sur ce sujet atroce que vous traitez depuis le mois de juin ! Merci d'avoir partagé le reportage d'APress, il semble cette histoire commence enfin à être relayée ailleurs que dans vos colonnes.
Bonjour Jean-Marc, connaitriez-vous quelqu'un qui puisse faire une traduction de la vidéo de Cruella et son nounours ?