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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Derrière la propagande, un crime de masse


Le saviez-vous ? Non seulement l'Occident "détruit les valeurs familiales", mais de plus, enlève des enfants, avec le concours de la police ukrainienne, pour les livrer en Europe à des réseaux pédophiles et autres commerces d'organes ! C'est en tout cas ce que prétend le Kremlin, avec l'appui d'une officine créée par Evgueni Prigojine, le patron de la milice Wagner. La propagande fait (efficacement ?) écran de fumée. Pendant ce temps, Maria Lvova-Belova (sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale) "avoue" quelque 380 enfants adoptés ou placés, quand un média indépendant, iStories, en a trouvé 37.000 dans une banque de données russe. Et encore n'est-ce que la partie visible de l'iceberg : il est en fait question de plusieurs centaines de milliers d'enfants "déplacés". La communauté internationale semble n'avoir toujours pas pris la mesure d'un tel crime de masse...


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Heureusement que la Russie kidnappe et déporte des enfants ukrainiens. La grande démocratie poutinienne les protège ainsi d’un odieux trafic d’enfants qu’organisent les réseaux de l’Occident pédophile (notamment en Grande-Bretagne) depuis que l’Ukraine nazie a agressé la Russie… C’est en substance "l’information" que diffusent depuis plusieurs jours en Russie des comptes Telegram reliés à une plateforme du Kremlin…

Anna Kuznetsova, députée Russie Unie à la Douma d’État, dans l’émission « Laissez-moi parler ! » (capture d’écran)


"Information" également reprise, le 1er juin, dans l’émission "Laissez-moi parler !" (Дайте сказать!) sur YouTube, par Anna Kuznetsova, membre du parti de Poutine (Russie Unie), députée à la Douma d’État, qui a précédé Maria Lvova-Belova au poste de déléguée aux droits des enfants auprès du président de la fédération de Russie de 2016 à 2021. Elle clame, à qui veut l’entendre, que « les forces armées russes continuent de découvrir de nouvelles preuves des crimes commis par les nazis ukrainiens dans les territoires libérés », et que « l'Occident a enlevé des orphelins de la "République populaire de Donetsk" ».


Ce n’est pas tout. Histoire de bien enfoncer le clou, le Kremlin prépare un "documentaire", confié à une certaine Mira Terada (photo ci-contre). Pas vraiment une inconnue. Elle dirige une soi-disant "Fondation pour combattre l’injustice" (dont le logo détourne celui du Fonds anti-corruption, lancé les équipes de Navalny, et dont le nom anglophone est Foundation to Battle Injustice, ce qui lui permet d'adopter l'acronyme FBI), qui fait en réalité partie de la nébuleuse d’Evgueni Prigojine, le patron de la milice Wagner, et qui a tribune ouverte sur certains sites complotistes en France, à commencer par Réseau Voltaire. Considérée selon l'ONG Conspiracy Watch comme une "officine d’influence russe", cette "fondation" a proposé en 2021 à plusieurs associations françaises de les « financer » pour qu'elles réalisent des actions autour de la question « de la violence policière » (voir article du Monde du 14 septembre 2021).


Mira Terada s'appelle en réalité Oksana Vovk, elle a vécu aux États-Unis (de 2009 à 2011 et de 2013 à 2016) où elle a été condamnée à 30 mois de prison pour blanchiment d'argent (elle avait plaidé coupable de ce chef d’accusation pour éviter une condamnation pour trafic de drogue). Libérée depuis, elle joue les victimes de torture sur les chaînes publiques russes…


Le "documentaire" qu’elle prépare sur les enfants du Donbass, intitulé "Que maman entende" ("Пусть мама услышит"), promet d’exclusives révélations sur « les enlèvements de jeunes enfants ukrainiens et leur transfert en Europe (…) : selon les témoins, l'Ukraine est devenue un fournisseur d'enfants et d'organes pour les pays occidentaux. L'intrigue du film est basée sur les histoires de familles qui ont miraculeusement réussi à éviter un sort terrible à leur enfant. (…) Derrière ces atrocités se cache une organisation appelée « Anges blancs », dissimulée par la police ukrainienne. » ("Anges blancs" -en ukrainien, "Білі Ангели"- existe bien, c’est en effet une unité de la police ukrainienne qui a mis des enfants à l’abri dans des zones bombardées…)


Cette propagande complotiste n’est pas nouvelle. Le 5 avril dernier, en pleine séance du Conseil de sécurité des Nations Unies (sous présidence russe), l’ambassadeur russe Vasily Nebenzya avait produit une vidéo qui affirmait que 85 enfants d’un orphelinat de Marioupol avaient été enlevés en mars 2022, puis acheminés en Espagne par une intermédiaire ukrainienne, avant de mystérieusement disparaître… (vidéo vraisemblablement confectionnée par la "fondation" dirigée par Mira Terada). Le plus incroyable est qu’une telle accusation puisse passer comme une lettre à la poste. Nous avons été le seul média a enquêter sur cette fake news (Lire ici : « Espagne, enfants ukrainiens et trafic d’organes »).


Trafic d’organes, et bien sûr, pédophilie. Maria Lvova-Belova laisse les propagandistes complotistes faire leur job. Elle se contente de dresser la nappe. Le 1er juin dernier, Journée mondiale de l’enfance, elle s’est contentée de répéter pour la énième fois, aux côtés de son "mécène" Konstantin Malofeev, milliardaire ultranationaliste, et avec le soutien de la Fondation Saint-Basile-le-Grand (orthodoxe), que la sainte Russie est le dernier rempart des "valeurs traditionnelles" face à un Occident décadent et perverti qui « détruit les valeurs familiales ».

Maria Lvova-Belova avec le milliardaire ultranationaliste Konstantin Malofeev, le 1er juin lors d'un "festival caritatif".


"Les traditions et les valeurs au cœur de l'avenir du pays", tel était justement le thème d’un "forum communautaire" organisé ce même 1er juin à Voronej. Si « la population de la région de Voronej a considérablement diminué » et que « les familles nombreuses ne représentent qu'un pour cent de la population », c’est à cause de « l'influence de la culture occidentale, qui impose des valeurs familiales non traditionnelles », a doctement exposé Alexander Zhuravsky, conseiller auprès de Poutine pour les "projets publics". Heureusement, Sergei Rybalchenko, président d’une commission sur la démographie, la protection de la famille, les enfants et les valeurs familiales traditionnelles, a un grand projet : « le fait d'avoir beaucoup d'enfants et de les soutenir est désormais notre projet de base ». Bon courage !


Charger l’Occident de tous les maux (y compris celui de la Bérézina démographique russe), ajouter une bonne dose de fake news pour entretenir dans les chaumières la fable d’un régime nazi ukrainien et la complicité d’un Occident pédophile, cela fait peut-être, en Russie, écran de fumée. Jusqu’à quand ?


Plus dur sera le réveil. Et au réveil, il y aura la question des déportations d’enfants, sur laquelle les humanités enquêtent inlassablement depuis des mois (voir ICI). Là aussi, il y a "écran de fumée", et il faudra bien qu’un jour, toute la lumière soit faite. Car si ce que l’on sait (et qui a motivé le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale) est déjà énorme, nous n'en sommes encore qu’à la partie visible de l'iceberg.


Avant-hier, dans une communication relayée par l'agence RIA Novosti, Maria Lvova-Belova a fait mine de jouer la "transparence" : « Au total, nous avons placé 380 orphelins et enfants du Donbass privés de soins parentaux. Parmi eux, 288 sont originaires de la DNR et 92 de la LNR. Ils ont été accueillis par des familles originaires de 19 régions de Russie. »


380 enfants. Et c’est tout ?

Un média indépendant, iStories, a pu accéder à une banque de données sur les orphelins et les enfants privés de soins parentaux (où sont publiés des profils d'enfants qui peuvent être pris en charge ou adoptés), qui a permis de retrouver près de 2.500 orphelins qui auraient pu être déportés d'Ukraine lors de l'invasion russe.


L'idée des autorités russes d'enlever et d'adopter illégalement des enfants ukrainiens n'est pas nouvelle. Depuis de nombreuses années, la Fédération de Russie a mis en place un projet appelé le "Train de l'espoir", dans lequel des adultes prêts à devenir parents adoptifs se rendent non seulement dans différentes régions de la Fédération de Russie, mais aussi dans les territoires ukrainiens occupés. De tels trains sont partis après 2014, par exemple vers la Crimée.


Avant l'invasion massive de la Russie, les enfants enlevés étaient distribués aux familles russes "manuellement", sans être enregistrés dans une banque de données, mais depuis l'année dernière, le système a été modifié. Comme l'explique Xenia Hell, du bureau du procureur de la Cour pénale internationale à La Haye, cela s'explique par le fait que les autorités russes « ont enlevé plus d'enfants que le système mis en place en 2014 avec les tuteurs n'était en mesure d'en recevoir ».


En 2022, le nombre d'enfants enregistrés dans la base de données a augmenté de façon spectaculaire. La plupart des enfants localisés se trouvent dans les régions de Rostov (573), de Moscou (460) et de Nijni Novgorod (388). Des enfants ukrainiens ont pu être identifiés dans le Grand Nord russe, notamment dans la région autonome de Yamalo-Nenets, à des milliers de kilomètres de l'Ukraine. L'année dernière, 71 enfants de plus que d'habitude ont été ajoutés à la base de données des orphelins de cette région.

Les journalistes d’iStories sont déjà parvenus à identifier nominativement plus de 37.000 enfants. Ainsi, dans un "centre de réhabilitation" de Nijni Novgorod, ils ont "retrouvé" le petit Alexander Chizhkov, 9 ans, et ses deux jeunes sœurs, Valeria et Galina. Tous deux ont été enlevés à Donetsk en novembre 2022, bien qu'ils aient des parents (lesquels ont été déchus de leurs droits parentaux par les "autorités" de Donetsk pour d'obscures raisons : peut-être n'étaient-ils pas tout simplement "pro-russes" ?).

Rencontre avec des militaires dans un orphelinat de Nijni Novgorod


Des soldats russes viennent régulièrement dans cet "orphelinat" de Nijni Novgorod. « Il n'y a pas mieux que de vrais guerriers pour parler aux enfants des terribles combats qui se déroulent actuellement dans la zone de l'opération militaire spéciale. Ce sont eux qui savent mieux que quiconque comment nos hommes font preuve d'héroïsme et de courage sur la ligne de front ! Il est très important que les enfants reçoivent des informations de ces personnes, de nos héros qui participent eux-mêmes aux combats, et non de quelque part sur Internet ! Et ce qui est important, c'est que nos gars, diplômés de l'orphelinat, se sont également portés volontaires sur le front dans la zone d’intervention !!! », lit-on dans la description de la rencontre entre les militaires et les élèves...


Les humanités ont commencé, dès la fin août 2022, à révéler et documenter ces déportations d’enfants. Il a fallu attendre 2 mois et demi pour que cette question trouve un plus large écho médiatique et politique, que le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale à l’encontre de Vladimir Poutine et de Maria Lvova-Belova a bien sûr amplifié.


Mais on est encore loin du compte. Bien au-delà des 380 enfants "avoués" par Lvova-Belova, au-delà même des plus de 37.000 "fiches" repérées par iStories, rappelons que les autorités russes elles-mêmes disent avoir déplacé 744.000 enfants, et que le Parlement européen estime que 300.000 enfants ukrainiens ont été déportés par les Russes depuis 2014.


Les adoptions forcées sont un scandale en soi, et plus qu’un scandale, un crime contre l’humanité. Mais le système d’adoption en Russie, ni même les orphelinats et autres "centres de réhabilitation", ne sont en en mesure "d’absorber" plusieurs centaines de milliers d’enfants. Où sont-ils ? Que deviennent-ils ? Il s’agit-là d’un véritable crime de masse, génocidaire, face auquel l’opinion et publique et la "communauté internationale" semblent encore bien timorées.


Jean-Marc Adolphe

En tête d'article : Illustration pour les cours de "choses importantes" dans les écoles russes.


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1 Comment


Guest
Jun 03, 2023

Honte à l'assassin Poutine et à tous ceux et celles qui le soutiennent !

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