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Isabelle Favre

Depuis les arbres, parole d'écureuil !

Dernière mise à jour : 21 juin



ACTIVISME Élagueur de métier, Reva est sans doute considéré par M. Darmanin, ministre de l'Intérieur, comme un dangereux "éco-terroriste". La preuve : il fait partie de ces "écureuils" qui se sont perchés dans des arbres, sur le trajet de la future A 69 qui devrait relier Toulouse à Castres. Entretien avec un amoureux des arbres, attentif à ce qu'ils nous apprennent.


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Nous ferons toute une armée des arbres,

et nous ramènerons à la raison la terre et ses habitants".

Italo Calvino, Le Baron perché

 

Comme Thomas Brail, Reva est du genre écureuil, défenseur des arbres que le chantier de l’A 69, entre Toulouse et Castres, veut sacrifier (ICI). Depuis longtemps, il grimpe aux arbres et y reste perché « pour être heureux, pour trouver la paix, une sérénité, une sagesse » nous dit-il. Il en a fait son métier. : élagueur.

 

Préserver les arbres, empêcher qu’on les abatte, c’est un engagement militant personnel mais cela est aussi cadré par la loi ; un projet tel que l’A69 n’y échappe pas, et pourtant… Reva était dans les chênes de la ZAD de la Crém’arbre jusqu’à fin mars. Il a subi, avec d’autres , le harcèlement des « forces de l’ordre » (lire ICI).


Droit et écologie sont pourtant étroitement liés (lire entretien avec Michel Prieur) pour ceux qui n’y voient pas des règles intangibles à respecter mais pour l’un comme pour l’autre l’accompagnement d’un mouvement (voir "Mireille Delmas-Marty, La boussole des possibles").


Ce mouvement associe tous les vivants, interdépendants et solidaires. Les humains font partie de ce tout, ils ne sont pas au-dessus. Reva et les autres écureuils l’expriment dans un slogan : Écocide = Homicide. La force de ce slogan repose sur toute une réflexion, soutenue par la recherche scientifique la plus récente, et une éthique qui pousse à s’engager, à renoncer à tout confort et sécurité. / Isabelle Favre



ENTRETIEN   « L’arbre, clé de voûte de notre vie en mouvement »


Reva : Les arbres sont plus que d’autres les super-piliers de nos équilibres : ils sont les activateurs, les garants des cycles hydriques. Ils nous permettent non seulement de respirer, mais aussi de nous alimenter et de boire. Les arbres sont ce que nous avons de plus précieux sur terre parce que nous sommes constitués essentiellement d’eau. En manquer, c’est nous mettre directement en danger.


Quand il manque un maillon, on n’a plus de chaîne, de maillage, le grand maillage des vivants. Si on rompt une maille, deux mailles, quelques mailles, à force de braquer, piller les ressources naturelles, on finit par faire une trouée. Cette trouée ne va faire que s’effilocher petit à petit et c’est la structure entière qui finit par s’ébranler. Ça prend peut-être un peu de temps, on ne le voit pas forcément arriver. Le résultat final, ce serait la disparition de l’humanité puisque en détruisant nos habitats, on finit par nous détruire nous-mêmes, puisque c'est notre "habitat" qu'on détruit. Ce n’est pas accablant, c’est très responsabilisant. Je souhaite de tout cœur que l’humanité en prenne conscience et se réveille parce qu’on s’est enfermé dans des considérations futiles et de peu de vertu, consuméristes. Nous informer, conscientiser nos actions quotidiennes, c’est rendre possible, sans utopie, la convergence vers un monde plus harmonieux.


J’aime beaucoup la notion de clé de voûte plutôt que de chaîne et de maillon manquant. En fait, l’arbre pour moi, c’est vraiment la clé de voûte de la vie, du vivant, c’est une pièce absolument essentielle, complexe. Sans elle, rien ne tient. Elle est d’ailleurs aussi aérienne que terrestre. La sixième extinction de masse que nous sommes en train de vivre, c’est tout l’or du monde qu’on pille pour un pseudo-confort égoïste et accessible par l’existence de guerres et de souffrances. Le néocolonialisme contemporain n’est autre que la domination par l’appropriation et la destruction des terres conjuguée à l’exploitation des ressources naturelles. Ouvrons les yeux !


Ce que nous apprennent les arbres 


Le chant des oiseaux stimule la croissance des végétaux. On a beaucoup appris ces dernières années sur les arbres. Ce qui m’a vraiment fait plaisir à travers des lectures, des conférences c’est de faire le lien avec ce que je croyais être un excès de sensibilité. J’ai toujours été choqué, agressé par les éclairages nocturnes, par le bruit, par le béton, par le traitement des arbres en ville, par la pollution de l’air : tout ça m’agresse énormément. Plus la science avance et plus on fait de découvertes sur les arbres, plus je comprends que ce que je vis comme des agressions ce sont des choses qui ne sont ni naturelles ni ne respectent le Vivant. Or, je suis vivant! Ça m’affecte, ça m’agresse, ça me met le cœur en miettes. 


Pour les gens un arbre ou un autre, peu importe : c’est un arbre. Et puis si c’est un arbre en plastique : il n’y a même pas à le tailler, c’est économique. Actuellement, il y a un boom des plantes artificielles parce que ça remplit le même effet, le même objectif : du décor, du vert. Bien des gens ne font pas la différence, et c’est extrêmement dangereux, contre-productif. Ces arbres en plastique, ces plantes en plastique ajoutent au bilan carbone sans donner aucune énergie, aucune vibration, aucune décarbonation et coûtent énormément en eau et en énergie sans rien rapporter en contrepartie d'autre qu'une éphémère et onéreuse illusion


Élaguer, mais surtout laisser l’arbre vivre dans sa diversité et faire son bois mort


Comme élagueur, j’interviens seulement dans certaines situations, et le moins possible. On constate que l’arbre fait tout le boulot, il n’y a quasiment pas à intervenir en fait. C’est un métier qu’on a beaucoup trop mal développé, comme si les arbres avaient besoin de nous pour aller bien. C’est l’inverse ! Nous avons besoin d’eux pour continuer d’exister ! Il faut assurer les mises en sécurité, oui. S’il y a une branche qui casse, qui menace les passants. Mais s’il n’y a pas vraiment de danger, autant la laisser en place, parce qu’elle a sa fonction, abriter des champignons, des insectes, retenir de l’eau. Pour les arbres fruitiers si on veut que ça produise, on fait des tailles de formation plutôt que de stimulation excessives qui sont de réels stress, des traumatismes qui raccourcissent la durée de vie des arbres. J’évite à tout prix les tailles de restructuration : si on fait de la restructuration, c’est qu’il y a quelque chose qu’on a mal fait. L’arbre peut faire des erreurs qui peuvent lui être préjudiciables par la suite mais c’est souvent des réactions à des traumatismes qu’on lui a infligés. Si on le laissait un peu tranquille, il se débrouillerait très bien tout seul.


Sur un arbre, je ne sais plus s’il y a des milliers ou des dizaines de milliers de génomes, son ADN évolue dans sa croissance. L’arbre essaie de se diversifier au maximum pour se rapprocher de quelque chose de pérenne, il est en apprentissage continu ! Si on le laisse apprendre, il fera les choses très bien. 


C’est normal qu’il y ait du bois mort. Ça aussi, c’est très intéressant. On a un rapport à la mort qui est absurde, injuste et même très dangereux. On appauvrit nos sols, nos jardins, toute notre agriculture, puisqu’on ne valorise plus tout ce qui est déchet, tout ce qui est mort. Dans les jardins, on évacue les "déchets de tontes", on enlève toutes les feuilles mortes, tous les troncs, les branchages qui sont morts : on fait "du propre" et on élimine énormément de biodiversité. On retrouve environ 75% de toute la biodiversité d’une forêt dans un morceau de bois mort au sol; le bois mort, c’est aussi une éponge, de l’humidité, des stocks d’eau qui permettent d’amortir les effets de courtes sécheresses. Cela m’interroge beaucoup sur notre rapport à la mort. Quelque chose qu’on isole, dont on ne veut pas parler, qu’on ne veut pas regarder, qu’on traite avec distance. On met les petits vieux dans des petites boîtes où ils meurent tous ensemble, il ne faut pas que ça nous affecte trop. L’approche de la mort est à reconsidérer de façon plus heureuse et digne mais là c’est une autre thématique.



Vivre en autogestion


Faire "du propre" … On arrive chez les clients et ils disent : "bon, là, vous me faites un petit coin propre", et là on détruit tout, c’est tout l’inverse qu’il faut faire. Il y a un travail d’éducation gigantesque à faire, capital, urgent.


J’ai un petit terrain, pas bien grand, où c’est vert, je laisse tout en auto-gestion, j’ai juste une faux, je dessine et redessine des chemins, différemment selon l’humeur, la saison, les oiseaux, les fleurs et plantes qui sortent de terre spontanément . Ma priorité c’est les insectes. Mes voisins passent la tondeuse tous les 4 matins, et c’est catastrophique. Le propre, c’est l’accaparement, le contrôle. Il est important de laisser la libre utilisation du site à l’ensemble du Vivant et pas seulement aux humains qui doivent laisser libre cours à leur diversité.


Entre les humains et les arbres, je fais énormément de liens. Une souche de 500 ans s’est maintenue en vie grâce aux arbres vivants environnants, qui lui fournissent de quoi tenir. Ça nous interroge sur nos façons d’être solidaires et de valoriser les capacités que l’on a, les trésors que ça représente. Tout a sa place et son intérêt pour qu’il y ait un équilibre, il ne tient qu’à nous de le comprendre et de le valoriser. Contre une société qui est de plus en plus stérile et qui court à sa perte dans la mesure où elle se prive d’une partie d’elle-même. Je trouve cela non seulement dommage, mais c’est une transformation dangereuse : on devient des clones en ayant tous les mêmes rêves, les mêmes besoins et ce n’est pas du tout ça, la Nature, le Vivant : c’est la diversité !


Il me semble urgent d’alerter qu’un écocide n’est rien d’autre qu’un homicide. "Eco" vient du grec oikos, "la maison", et "cide", du latin caedere, "tuer". Avoir un abri, manger, boire, dormir, …font partie de nos besoins de base, c’est donc l’intégralité de la pyramide des besoins identifiés par Abraham Maslow qui s’effondre dans la souffrance.


L’arbre nous apprend à assumer et mieux : à cultiver notre complexité (dans le sens des combinaisons possibles) et nos interdépendances avec ce qui nous entoure, dont nous faisons partie. Au-delà des guerres d’égo et des futilités consuméristes, apprendrons-nous assez des arbres pour devenir humbles et altruistes? Le Vivant a besoin que l’Humain tende vers un chemin plus harmonieux en urgence. Écocide=homicide : pas si provocateur que ça, ce slogan ?


Le plus important, c'est de se mettre au contact du Vivant, des arbres, et d'ouvrir son cœur, ses yeux, et énormément de choses puissantes arrivent dans l énergie, la compréhension et la beauté.


Propos recueillis par Isabelle Favre, le 12 avril 2024


Pour aller plus loin :


  • Le livre la vie secrète des arbres, du forestier Peter Wohlleben qui permet de comprendre et de s’émerveiller de ce que sont les arbres. ICI



  • Adhérez aux associations comme le GNSA, Canopée, Bob Brown Fundation et d’autres qui protègent les arbres !

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