Parti par l’Allemagne et la Pologne, le couple, avec les parents de Tétyana, est revenu d’Ukraine via la Roumanie.
Six jours de voyage, huit pays traversés, des chars et des blindés sur la route, c’est le périple qu’ont entrepris Tétyana et son mari pour secourir les parents de la jeune femme bloqués à Odessa. De retour en France, ils témoignent.
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Il y a les images, et il y a les récits. Voici une histoire, parmi beaucoup d’autres, sans doute. Elle est rapportée, ce lundi 7 mars, par le quotidien L’Union (Marne, Ardennes, Aisne). Ukrainienne, Tétyana Augait vit et travaille en France, près de Reims. Avec son mari, elle a parcouru près de 6 000 km pour venir en aide à ses parents coincés en Ukraine. Elle raconte des scènes de guerre « auxquelles nous n’étions pas préparés ». La rédaction des humanités
Propos recueillis par Aurélie Beaussart / L’Union « Ce que nous avons fait n’a rien d’un exploit. Il n’y a rien d’extraordinaire à porter secours à ses parents. Ce qui l’est, ce sont ces Ukrainiens qui sont restés pour défendre le pays. » Assise, en sécurité, chez elle, près de Reims, 2 jours après son retour en France, Tétyana Augait ne peut se défaire des images apocalyptiques de son périple. Jeudi 24 février, elle s’est réveillée avec l’horreur : l’invasion du pays dans lequel elle a grandi. « Mon papa, Boris, a 72 ans, maman, Svitlana, a 69 ans. Ils n’ont pas de voiture. Les aéroports étaient fermés depuis la veille. Le voyage en train ne me paraissait pas sécurisé. Il fallait que j’aille les chercher. La seule possibilité était la voiture. Je suis partie, le soir même. »
Comment avez-vous préparé le voyage ?
J’ai demandé à mes beaux-parents si je pouvais leur emprunter leur break, plus spacieux que notre citadine. Des proches nous ont aidés pour la logistique. Nous avons pris des jerricans de gasoil, de quoi manger et des couvertures. Il y a 3 000 km pour se rendre à Odessa. Avec mon mari, on avait déjà fait le voyage en voiture, en 2018. On s’était dit plus jamais, tant ça avait été éprouvant. Ce n’était donc pas vraiment l’inconnu. Jeudi matin, j’ai prévenu ma direction. Je m’occupe du développement des marchés au syndicat général des vignerons. Nous avons pris contact avec le ministère des Affaires étrangères et l’ambassade de France en Ukraine pour les prévenir, avoir un soutien et pour que, s’il nous arrivait quelque chose, ils puissent avertir nos proches. On a pris la route, vers 19 h 30.
Quel trajet avez-vous pris ?
Nous sommes passés par l’Allemagne, puis la Pologne. On a traversé l’Ukraine afin de rejoindre Odessa.
Comment s’est déroulé le voyage ?
Nous sommes arrivés en Ukraine, vendredi à 14 heures. Au total, jusqu’à Odessa, on a roulé 37 heures non-stop. On s’arrêtait pour se passer le volant, pas pour manger ni dormir. L’ambassade, dès notre arrivée en Ukraine, a été extraordinaire. Ils nous ont guidés, conseillés sur les routes à prendre. On a parcouru l’Ukraine sur 900 km. Nous étions quasiment la seule voiture dans ce sens de circulation, avec quelques chars, des blindés et des camions qui transportaient des missiles.
Est-ce que la traversée du pays fut compliquée ?
Ce ne fut pas simple. Un moment, mon mari me dit : Ça sent la poudre. On a vu une station-service qui avait explosé, des poids lourds retournés sur la route. Pour un Français qui a toujours vécu en sécurité, ce fut choquant. Les femmes roulaient n’importe comment... Assister ainsi à l’exode d’un peuple ce fut frappant pour lui comme pour moi. À chaque fois que l’on arrivait dans une ville, il y avait un check-point avec des blocs en béton et des militaires armés qui contrôlaient nos papiers. Nous n’étions pas capables de nous projeter. On avançait étape par étape. On ne savait pas ce que l’on allait découvrir plus loin. Avant de partir, on s’était imaginé le pire. On pensait être prêts à tout voir mais en fait, nous ne l’étions pas.
Vous arrivez enfin à Odessa, samedi…
Odessa, 1 million d’habitant, est située au bord de la mer Noire. J’y ai vécu jusqu’à mes 30 ans. J’ai 45 ans aujourd’hui. À notre arrivée, la ville semblait vide. Il était 8 h 30 du matin, on n’a pas croisé un chat. Les transports en commun étaient vides. Il y avait un grand ciel bleu, un magnifique soleil, ça sentait le printemps. Il n’y avait pas un bruit. C’était très pesant. En approchant de là où vivent mes parents, il y a cette plage où j’avais si souvent l’habitude d’aller. J’ai voulu qu'on s’arrête. J’avais besoin de mettre mes pieds dans le sable, mes mains dans la mer, pour me reconnecter. Quand on a approché, j’ai vu des militaires armés, des chars. Un gamin en uniforme m’a interdit de passer. J’ai insisté. Il m’a dit : la plage est minée. C’est là que tu te rends compte de la gravité de la situation. C’est la guerre. (Elle s’effondre en larmes). Mon père ne voulait pas partir. C’est un capitaine. On ne quitte pas le navire même quand il coule. Il a fallu deux heures pour le faire céder. Je pensais ne pas y arriver… Il préférait que l’on reste avec eux. Il a fini par accepter, pour moi, je crois. Je lui ai promis qu’avec maman, il reviendra à Odessa, que je les ramènerai quand la situation le permettra. Ils ont pris chacun un pull, un t-shirt, un jean, une paire de chaussures, les papiers et le chat. Et, go !
Ensuite, comment avez-vous quitté le pays ?
On venait de reprendre la route quand on est tombé sur un contrôle militaire. C’est là que mon père a compris que c’était à ce point… tendu. On a entendu ensuite des tirs. On a été déviés plusieurs fois de notre route. Le port n’était plus accessible. Plus tard, on a su qu’une heure après avoir quitté la ville, Odessa était bouclée, on ne pouvait plus y rentrer ou sortir. Le pays le plus proche est la Roumanie, c’est la direction que l’on a prise. Le chemin conseillé par l’ambassade, car cette frontière maritime était alors toujours ouverte. La situation se dégradait de plus en plus. Il fallait encore parcourir 350 km pour espérer sortir du pays. À la frontière, il y avait une file d’attente de plusieurs kilomètres. On a attendu 30 heures. Dans ce froid glacial, il y avait toutes ces personnes âgées, et ces femmes qui marchaient vers l’inconnu en traînant les enfants, avec cette peur qu’elles devaient avoir pour leurs proches. Tous les hommes entre 18 et 60 ans sont restés pour combattre. En pleine nuit, enfin, on a pris le bac pour traverser le Danube. Une traversée courte mais très marquante. Une fois de l’autre côté, des bénévoles adorables venaient à la rencontre des Ukrainiens avec des couvertures. Le reste du trajet, ce ne fut que de l’anecdotique. On a mis 4 jours pour rentrer. Il a beaucoup neigé en Roumanie, on avançait au pas. Puis, il a fallu passer en Hongrie où subsiste un poste frontière. Nous sommes arrivés presque 7 jours après notre départ, jeudi, à 2 h 30 du matin.
Les parents de Tétyana et son mari. La jeune femme : « J’ai promis à mes parents qu’ils reviendraient à Odessa».
Comment vont vos parents ?
Mon père stoïque ne fait rien paraître. Ma mère regarde les infos, en échangeant avec la famille, les amis en permanence. On garde le contact avec ceux qui sont restés. On prend les nouvelles le matin, le midi, le soir et on en pleure à chaque fois. On essaye de s’organiser, d’être utiles ici, pour les Ukrainiens qui sont restés ; être utiles aussi en tant qu’interprète mais aussi pour loger les Ukrainiens qui pourraient arriver. Je remercie les Français pour tous ces élans de solidarité qui se mettent en place de manière si fulgurante.
Comment voyez-vous l’avenir ?
J’ai très peur pour l’avenir, pas uniquement pour mon pays, mais pour nous tous, même si je sais que le peuple ukrainien est très courageux, qu’il est prêt à se battre jusqu’au bout. Mais en face, on a des gens complètement fous. La seule solution pour que la guerre s’arrête, c’est que le peuple russe se soulève. Le gouvernement de Poutine ne s’arrêtera pas tout seul. Il ira jusqu’au bout. Je n’ai aucune haine contre les soldats russes. J’ai mal au cœur pour eux. Ce sont des gamins qui ignorent tout de la réalité de la situation et qui ne sont que de la chair à canon pour leur gouvernement. J’ai beaucoup de peine pour nous tous.
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