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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

De la dissolution au naufrage

Dernière mise à jour : 2 juil.

Brigitte et Emmanuel Macron, au bureau de vote du Touquet-Paris-Plage, le 30 juin 2024. Photo Yara Nardi / AP


Annoncée, attendue, redoutée, la déferlante de l'extrême droite a été confirmée lors du premier tour des élections législatives anticipées. Si une majorité absolue pour le Rassemblement national et ses alliés ex-"républicains" à l'Assemblée nationale peut encore être évitée, on ne peut qu'acter le naufrage provoqué par Emmanuel Macron. Mais une fois constaté "la faillite de la start-up nation", quoi d'autre ? Réapprendre à "aimer" la politique, lui consacrer du temps, et aussi se battre sur le terrain des idées pour entrer en résistances.


“Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte,

quand il montre le bout de son nez, on dit : C'est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer !

Et puis un jour on le prend dans la gueule et il est trop tard pour l'expulser.”

(Françoise Giroud, Gais-z-et-contents, Journal d'une Parisienne, t. 3, 1996)


Cette fois, le pétrin, on y est bel et bien. Le cancer est beaucoup plus métastasé que ce que ne pouvait imaginer la raison raisonnante. Aux dernières élections européennes, le score exceptionnellement haut de l'extrême droite (Rassemblement national et Reconquête) a constitué un nouveau coup de semonce, venant enfoncer le clou des dernières élections présidentielles et législatives. Jusqu'à présent, toutefois, le "sursaut républicain" avait réussi à faire barrage (relatif) à la fièvre lepéniste. Là, il n'y a plus de rempart qui tienne. De toute évidence, ni la dynamique unitaire, à gauche, du Nouveau Front Populaire (même si le pourcentage annoncé, autour de 30 %, est en progression par rapport au score de 25,75 % qu'avaient recueilli les listes NUPES au premier tour des élections législatives de 2022) ; ni la forte participation enregistrée ce dimanche 30 juin 2024, n'ont endigué la déferlante de l'extrême droite. Pire, même : en 2022, avec un taux de participation de 47,51 % au premier tour, le RN avait récolté 18,7 % des suffrages exprimés, soit 4,2 millions de voix. Ce dimanche, avec un taux de participation de 65 %, le RN obtient environ 34 % des suffrages exprimés, soit près de 12 millions de voix. En l'espace de deux ans, l'extrême droite a donc attiré quasiment trois fois plus d'électeurs !


La dissolution décidée dans la précipitation par Emmanuel Macron, seulement conseillé par quelques "barbouzes" de la République, tourne donc au naufrage démocratique. Cette "stratégie du chaos", sciemment voulue par le Méprisant de la République, aura réussi à ouvrir une boîte de Pandore dont les conséquences sont encore incalculables. Ce dimanche 30 juin, le premier tour des élections législatives signe la faillite définitive de la "start-up nation", dont nous avions raconté, l'an passé, comment elle fut l'aboutissement d'une "prise de pouvoir en bande organisée" (Lire ICI). Mais s'il ne s'agissait que de constater le dépôt de bilan de cette escroquerie politique, il n'y aurait lieu de verser la moindre larme, même de crocodile. Hélas, feu Jupiter, devenu Monsieur après-moi-le-déluge, est parvenu à entraîner dans le naufrage de ses ambitions, le pays tout entier.


Ce soir-même, dès 20 h, voulant être le premier à s'exprimer, Emmanuel Macron a appelé à un "large rassemblement clairement démocrate et républicain" face au RN, ajoutant dans le même communiqué que la participation élevée montre une volonté de "clarifier la situation politique". On aurait dit Wallys Hartley, le violoniste qui réunit le petit orchestre du Titanic alors que le paquebot commençait à couler... Mais la situation politique est d'autant moins "claire" que le "large rassemblement clairement démocrate et républicain" est d'ores et déjà l'objet de nombreux coups de canif.


Le taux élevé de participation va entraîner, dans les circonscriptions où des candidats n'auraient pas été élus dès le premier tour, un nombre élevé de triangulaires. Faire échec au RN, au moins dans sa quête d'une majorité absolue, signifierait qu'aient lieu des désistements systématiques des candidats arrivés en troisième position (sans garantie que tous les électeurs soient au diapason). A gauche, de Raphaël Glucksman à Jean-Luc Mélenchon, cette position honorable a été aussitôt avancée sans barguigner. A droite et dans le camp macroniste, c'est beaucoup moins "clair". La présidente sortante de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (Renaissance), a ainsi appelé à voter pour le candidat « le plus républicain » au second tour des législatives, à l’exclusion d’un « certain nombre de candidats » de l’alliance de gauche. C'est un refrain que l'on a beaucoup entendu ce soir : ni RN, ni LFI, systématiquement qualifiée "d'extrême gauche". Logique, après que cet argumentaire ait servi de fonds de commerce à la campagne conduite par Gabriel Attal.


Que l'on sache, en avril 2022, Emmanuel Macron s'était fort bien accommodé de l'apport de ces voix "d'extrême gauche" pour lui permettre d'être réélu à la Présidence de la République, face à Marine Le Pen. « Je sais que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l'extrême droite. Je veux ici les remercier et leur dire que j'ai conscience que ce vote m'oblige pour les années à venir », avait-il alors déclaré. On a vu, ensuite, avec quelle constance il s'est obstiné à se délier de cet "engagement".


Les lieutenants restants de la Macronie en déroute n'ont cessé, pendant la semaine écoulée, de renvoyer dos à dos "les extrêmes". A 22 h, ce soir, Gabriel Attal a ravalé tout cet argumentaire de campagne. Au motif que le Nouveau Front Populaire ne représenterait plus de danger (d'avoir une majorité à l'Assemblée), il a clairement appelé les candidats d'Ensemble arrivés en troisième position, à se désister pour tenter d'empêcher à l'extrême droite d'obtenir une majorité absolue. C'est clair et net. Sans bavures ? Il faudra voir. Dans la première circonscription de la Somme, François Ruffin, devancé par le candidat du RN, bénéficiera d'un tel désistement. Mais il n'est pas certain que la "consigne" soit également suivie dans toutes les circonscriptions.


Des sympathisants de gauche réagissent à l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives, à Nantes,

le 30 juin 2024. Photo Sébastien Salom-Gomis / AFP


Au final, la seule incertitude qui reste, au soir de ce premier tour d'élections législatives anticipées : dans la prochaine Assemblée nationale qui sortira des urnes, dimanche prochain, 7 juillet, la majorité de l'extrême droite, alliée à une partie de ce qui fut la droite "républicaine", sera-t-elle absolue ou relative ? Certes, la donne ne serait pas tout à fait la même, mais le fond du problème restera le même.


Le Rassemblement national n'est pas arrivé là par hasard, qui creuse son sillon depuis des années, a désormais de solides implantations locales, des militants motivés, etc., occupant un terrain délaissé par de nombreuses formations politiques, à droite comme à gauche. Si Emmanuel Macron porte un lourd tribut dans cet affaiblissment du politique (le "ni droite ni gauche", son mépris des instances pzarlementaires tout autant que citoyennes), il serait trop simple de lui en faire endosser l'exclusive responsabilité : tout au plus a-t-il été le fossoyeur d'une "décomposition" qui l'avait devancé.


Pour faire barrage à l'extrême droite, pas seulement dimanche prochain, mais dans le temps long d'oppositions et résistances à contruire, il va falloir réapprendre à aimer la politique (quoi qu'elle ait pu décevoir ces dernières années ou décennies), et lui consacrer du temps. Le temps de se réunir, de s'assembler, de militer. Ce temps qui ne cesse de nous échapper, dont nous pensons trop souvent que nous en manquons.


Enfin, il coûte de dire que la victoire du Rassemblement national est aussi (et d'abord ?) une victoire "culturelle", tant ses idées cancérigènes ont infusé le corps social, avec l'active complicité de médias qu'on ne saurait qualifier autrement que propagandistes. Or, c'est aussi sur ce terrain des idées qu'il va falloir se battre, pour mettre en pièces les discours de peur qui dominent aujourd'hui, jusqu'à réaliser cette citation de Walter Benjamin que nous placions hier en tête du sommaire des humanités : "L’humanité est devenue assez étrangère à elle-même pour réussir à vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de premier ordre".


Entrer en résistances pour faire humanités communes : voilà le chantier que, journal-lucioles, nous proposons pour les semaines et mois à venir, et que l'on tâchera de faire vivre, avec d'autres, au mieux de ce que permettent nos modestes moyens.


Jean-Marc Adolphe, 30 juin 2024









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1 Comment


Vu par la lorgnette belge, les diverses interviews de Français durant le JT de Fr2 étaient affligeantes par ce manque "culturel" de la politique et, aussi le manque de perception de l'enjeu des élections européennes qui n'étaient pas un "oui" ou un "non" à la Macronie mais un choix pour l'Europe !!! Commencer une émission d'information par les faits divers sordides (et d'un pourcentage heureusement très faible d'occurence) ne peut que gommer une compréhension du monde dans lequel on vit; monde dont apparemment 1/3 des votants français ont beaucoup de mal à entrevoir ce que signifie l'extrême droite "pour essayer"... Consternant et dramatique pour l'Europe.

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