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Danse à Montpellier : liquidations en cours, "gestes de puissance" à venir...

Photo du rédacteur: Jean-Marc AdolpheJean-Marc Adolphe

Dernière mise à jour : il y a 3 jours

Stage d'été à l'Agora de la danse, à Montpellier, en juin 2024. Photo Montpellier Danse


A près de 80 ans, le capitaine en chef de Montpellier Danse et de l'Agora-cité internationale de la danse s'apprête enfin à prendre sa retraite, non sans avoir contribué à liquider ces deux entités, et aussi, pendant qu'on y est, le Centre chorégraphique national jadis créé pour Dominique Bagouet : une première en France. En lieu et place verra le jour une nouvelle structure « innovante et hybride », pour répondre au vœu formé par le maire (PS) de Montpellier de voir advenir « des gestes de puissance ». Les artistes de la région sont "naturellement" exclus du processus de réflexion et de décision. Un collectif tout nouvellement formé appelle à « établir un Cahier des Rêves En Mouvements »...


Enfin, le capitaine passe la main, à près de 80 ans. Dans le paysage des institutions culturelles françaises, caractérisé par un turn-over aussi légitime que parfois excessif, il aura fait figure d’exception, cumulant plus de quarante années d’un règne quasiment sans partage à la tête du festival Montpellier Danse (dont il avait repris la direction à Dominique Bagouet en 1983), et aussi de l’Agora – Cité internationale de la danse à partir de 2010 (brève histoire de l'Agora à lire ICI).


A plusieurs reprises, son départ avait été annoncé. Philippe Saurel, maire de Montpellier de 2014 à 2020, n’avait pas fait mystère de son intention de le remplacer. Mais Jean-Paul Montanari, puisque c’est de lui dont nous parlons, a alors su opposer un argument de poids : un contrat de travail signé par l’ancien maire Georges Frêche, stipulant que son engagement de directeur ne pourrait être rompu avant l’âge de 70 ans ! Le coût des indemnités dues en cas de « licenciement abusif », a conduit M. Saurel à ravaler ses intentions.


Bien qu’ayant déclaré en 2016 que « cet art qu’on appelle la danse contemporaine est voué à une sorte de disparition » (parce que, disait-il encore, « la nouvelle génération cultive un art de la laideur qui ne m’intéresse pas beaucoup. (…) C’est au sein des ballets d’opéra que l’histoire de la danse va continuer »), l’indéboulonnable Jean-Paul Montanari est resté aux commandes de ce double navire-amiral (festival et Agora) de ladite danse contemporaine. L’été dernier, accompagné d’articles dithyrambiques dans la presse (Le Monde, Libération, The New York Times, etc.), il a toutefois annoncé prendre sa retraite en janvier 2025. Nous y sommes. Mais faute qu’ait été désigné son successeur, Jean-Paul Montanari restera encore sur le pont quelques mois de plus, jusqu’à la prochaine édition du festival Montpellier Danse. On peut même dire aujourd’hui qu’il n’aura pas de successeur.

Jean-Paul Montanari, une pleine page dans "The New York Times" du 25 août 2024.

 

En 2016, il prônait de fusionner en une seule et même entité les trois principaux festivals de la métropole languedocienne (Montpellier Danse, le Printemps des comédiens et le festival de Radio France). La proposition fut assez fraîchement reçue.


L’été dernier, tout en annonçant sa prochaine retraite, il lançait ce nouveau défi : « Il faut une rupture, changez tout ! ». Et l’actuel maire (PS) de Montpellier, Michaël Delafosse, de renchérir : « Surprenez-nous, ne continuez pas comme avant. (…) L’urgence est à la défense de l’inventivité, la créativité, l’écriture de la modernité. Sans quoi, c’est le populisme qui menace. Il faut des gestes de puissance ; ça n’est pas un problème de gestion de petits lieux ».


La rupture vers ces « gestes de puissance » est en marche : Montpellier Danse, l’Agora cité internationale de la danse sont en voie de "liquidation", tout comme le Centre chorégraphique, dont le mandat du dernier directeur, vient d’expirer. En lieu et place de ces trois entités qui cohabitaient déjà dans les vastes locaux de l’ancien couvent des Ursulines (couvent qui fut aussi, pendant 130 ans, une prison pour femmes, puis une caserne), l’État, la Région Occitanie et la Métropole de Montpellier ont convenu de créer une nouvelle structure unique, « selon un modèle innovant et hybride », est-il indiqué dans l’avis d’appel à projet (ci-dessous en PDF).



Innovant, en effet : appel à "projet" plutôt qu’à "candidature". Cette nouvelle structure, est-il précisé, « s’appuiera sur une direction collective, composée au minimum d’un ou une artiste chorégraphique de reconnaissance nationale et/ou internationale, et de personnes dotées de compétences au niveau stratégique en management, développement, gestion et en matière de programmation artistique ». "L’équipe lauréate" sera désignée en mars prochain, pour une prise de fonction « attendue au plus tard à la fin du 1er semestre 2025 ». Innovation toute relative… Sur l’excellent site montpelliérain lokko.fr, Gérard Mayen écrivait en juillet dernier : « Toute une tragi-comédie, typiquement montpelliéraine, débouche sur une procédure absolument classique, banale, normale, dans le cas des successions à la tête des grands établissements culturels, vaisseaux amiraux de la prestigieuse politique culturelle française ».  

L'Agora de la danse, vidéo promotionnelle de France 3 Occitanie, coproduite par Montpellier Danse

 

« Une rupture », « changez tout », sauf l’essentiel : un mode de désignation qui sent bon l’ancien régime. Que les trois structures soient amenées à fusionner, pourquoi pas (la "cohabitation" n’a pas toujours été des plus harmonieuses : dans son article, Gérard Mayen fait état de « querelles de compétences, susceptibilités d’égo, incompatibilités statutaires des structures, et autres passions toxiques du pouvoir »), mais pour faire quoi ? Le texte de l’appel à projet reprend, sans surprise, toute la nomenclature habituelle des « missions » dont cette nouvelle structure aura la charge, dont la principale : « œuvrer au développement de l’art chorégraphique ». Bref, continuer comme avant, mais autrement…


Il y aurait pourtant eu matière à lancer une belle consultation publique sur le devenir d’une "cité de la danse" à Montpellier (en s’inspirant, pourquoi pas, du projet de cité du théâtre qu’Alain Crombecque avait imaginé pour Avignon). Au lieu de cela : la sempiternelle opacité décisionnelle.  Même les acteurs chorégraphiques régionaux n’ont jamais eu communication d’un rapport commandé voici quelques années à Laurent Vinauger -nommé ensuite délégué à la danse au ministère de la Culture- sur les perspectives de Montpellier Danse. Sans doute en haut lieu et autres salons feutrés des décideurs qui décident, juge-t-on les citoyens (parmi eux, artistes et pratiquants, publics, etc.) trop bêtes pour avoir voix au chapitre. Et parmi ceux-là : danseurs et chorégraphes à qui on laissera encore le "droit de création", et l’espoir d’être "programmés" (ou pas), mais à qui l’on dénie le droit de penser à l’impact social de la danse, à d’autres formes de gouvernance, etc.


Or, un collectif tout nouvellement créé, le Collectif Régional des Artistes En Mouvement - Montpellier Occitanie, tenait conférence de presse à Montpellier ce jeudi 16 janvier 2025, pour y présenter un « Manifeste » (ci-dessous en PDF) qui énonce des idées et propositions intéressantes, qui changent quelque peu du jargon des décideurs de la décision culturelle.



Visiblement peu sensible aux « gestes de puissance », ce collectif, « porteur d'expertises incontestables de la danse, [qui] rassemble une large diversité d'esthétiques et une multiplicité de pratiques », ose vouloir « penser de nouveaux imaginaires et récits de danse, à partir desquels chaque acteur·ice – artistes, partenaires, habitants – pourra contribuer à bâtir un art chorégraphique vivant et accessible. (…) Nous nous proposons de travailler ensemble à établir un Cahier des Rêves En Mouvements nourri d'une démarche vertueuse, constitutive et déterminante de la dynamique de la danse », qui devra notamment « réenvisager les modes de gouvernance, et initier des relations participatives, collaboratives, horizontales et inclusives, au sein de notre écosystème ».


L'esprit « créatif et constructif » dont se réclament les signataires de ce manifeste risque fort, hélas, de se heurter au mur oligarchique que Jean-Paul Montanari a patiemment construit pendant plus de 40 ans à Montpellier, et dont il semble avoir convaincu de ses "vertus" les actuels décideurs politiques et culturels. Ce sera son dernier "héritage".


Jean-Marc Adolphe

 

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