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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Dans l’« enfer absolu » d’Olenivka



Premier témoignage circonstancié de l’intérieur de la prison d’Olenivka, où a eu lieu le carnage du 29 juillet. Conditions de détention inhumaines, humiliations et tortures : un camp de concentration plus que de détention. On comprend que Moscou en refuse toujours l’accès aux Nations Unies et à la Croix-Rouge internationale ! (Avec un portfolio du caricaturiste Oleksy Kustovsky - KUSTO)


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Sauf erreur, c’est le premier témoignage substantiel de l’intérieur d’Olenivka, le plus complet et le plus actuel sur ce lieu de détention à 20 kilomètres de Donetsk, la "capitale" de la "république" autoproclamée par les séparatistes prorusses, théâtre d’un véritable carnage à l’aube 29 juillet (lire ICI et ICI).

Anna Vorosheva, entrepreneure de 45 ans, a été arrêtée mi-mars à un check-point russe alors qu’elle tentait d’acheminer de l’aide alimentaire aux habitants de Marioupol. Accusée de « terrorisme », elle a été conduite à Olenivka où elle a été détenue jusqu’au 4 juillet (sans doute a-t-elle été libérée pour « faire de la place »). Aujourd’hui réfugiée en France, elle a confié au journal britannique The Guardian un récit glaçant de ce qui se passe à l’intérieur d’Olenivka, qu’elle décrit comme « un enfer absolu ».

Anna Vorosheva. Photo : Abdulmonam Eassa/The Guardian


« On nous traitait fréquemment de nazis et de terroristes », raconte-t-elle. « L'une des femmes de ma cellule était une infirmière d'Azovstal. Elle était enceinte. J'ai demandé si je pouvais lui donner ma ration de nourriture. On m'a dit : 'Non, c'est une tueuse'. La seule question qu'ils m'ont posée était : 'Connaissez-vous des soldats d'Azov ?' »

Les femmes n’étaient pas torturées, précise-telle, mais les conditions de détention étaient sinistres, sans eau courante ni électricité. Pour toute nourriture, 50 g de pain pour le dîner et parfois du porridge. Les toilettes débordaient et les femmes ne recevaient aucun produit sanitaire. Les cellules étaient tellement surpeuplées qu'elles étaient obligées de dormir à tour de rôle. « C'était difficile. Les gens pleuraient, s'inquiétaient pour leurs enfants et leurs familles », ajoute-t-elle.

Le personnel du camp, témoigne Anna Vorosheva, est complètement endoctriné par la propagande russe : « Ils considèrent tous les Ukrainiens comme des nazis. Certains étaient des villageois locaux, qui nous rendaient responsables de ce que leur vie est misérable. C'est comme un alcoolique qui dit qu'il boit de la vodka à cause de sa femme. »

Des prisonniers arrivaient et repartaient chaque jour, indique-t-elle : environ 2.500 personnes y étaient détenues, ce chiffre atteignant parfois 3.500 à 4.000, selon ses estimations. Les choses ont changé dans la matinée du 17 mai, lorsque près de 2.000 combattants d'Azov ont été amenés par bus : « les drapeaux russes ont été hissés et ont remplacé ceux de la "République populaire de Donetsk". Les gardiens se sont d'abord méfiés des nouveaux prisonniers. Ensuite, ils parlaient ouvertement de la manière dont ils allaient les brutaliser et les humilier. » Les prisonniers de sexe masculin étaient régulièrement extraits de leur cellule, battus, puis enfermés à nouveau. « Nous entendions leurs cris », dit-elle. « Ils mettaient de la musique forte pour couvrir les cris. Les tortures étaient monnaie courante. Les enquêteurs en plaisantaient et demandaient aux détenus : 'Qu'est-il arrivé à votre visage ?'. Le soldat répondait : 'Je suis tombé', et ils riaient. »


Son récit est corroboré par d’autres témoignages recueillis par The Wall Street Journal. Dmitry Bodrov, un bénévole de 32 ans, confie ainsi que les gardiens emmenaient toute personne qu’ils soupçonnaient de « mauvaise conduite » dans une section disciplinaire spéciale du camp pour y être battue et torturée : « Ils en sortaient en boitant et en gémissant. Certains prisonniers été forcés de ramper jusqu’à leurs cellules ». Un autre prisonnier, Stanislav Hlushkov, déclare qu’un détenu régulièrement battu avait été retrouvé mort à l’isolement : « ILes aides-soignants lui ont mis un drap sur la tête, l’ont chargé dans une fourgonnette mortuaire et ont dit aux autres détenus qu’il s’était "suicidé" ».


Sur le carnage du 29 juillet, Anna Vorosheva ne doute pas que la Russie ait pu assassiner « de façon cynique et délibérée » des prisonniers de guerre ukrainiens : « La Russie ne voulait pas qu'ils restent en vie. Je suis sûre que certaines des personnes 'tuées' dans l'explosion étaient déjà mortes. C'était une façon commode de dissimuler le fait qu'ils ont été torturés à mort ».

Oleksy Kustovsky (KUSTO)


Rappelons que malgré une annonce (mensongère, on commence à s’habituer) faite le 30 juillet, Moscou refuse toujours aux Nations Unies et à la Croix-Rouge Internationale l’accès au centre de détention d’Olenivka. « Nous avons été informés de l'attaque présumée le vendredi 29 juillet », indique le CICR dans un communiqué en date du 4 août. « Nous avons immédiatement demandé de pouvoir accéder à la prison d'Olenivka et à tous les lieux où les blessés sont pris en charge et où les corps des victimes ont été transportés, ainsi qu'aux établissements où d'autres prisonniers de guerre ont pu être transférés. Nous avons aussi proposé de faciliter l'évacuation des blessés et de faire don de fournitures médicales, d'équipements de protection et de matériel médico-légal. »

« Nous avons pu nous rendre dans cette prison une fois, en mai 2022, pour y livrer des réservoirs d'eau », ajoute le CICR. « Mais nous n'avions alors pas eu accès aux prisonniers de guerre sur une base individuelle – comme l'exigent nos modalités de travail dans les lieux de détention –, et ce n'est toujours pas le cas. En vertu de la troisième Convention de Genève, le CICR doit pourtant être autorisé à accéder à tous les prisonniers de guerre, où qu'ils soient détenus, lors de conflits armés internationaux. À ce jour, nous n'avons pas été autorisés à accéder aux prisonniers de guerre touchés par l'attaque et ne disposons pas des garanties de sécurité requises par une telle visite. Notre offre de don de fournitures reste en outre sans réponse. »


Dans son témoignage recueilli par The Guardian, Anna Vorosheva confirme que la Croix-Rouge a effectivement été autorisée à entrer dans le camp en mai. Selon elle, les Russes ont emmené les visiteurs dans une pièce spécialement rénovée et ne leur ont pas permis de parler indépendamment aux prisonniers. « C'était une mise en scène », déclare-t-elle. « On nous a demandé de donner la taille de nos vêtements et on nous a dit que la Croix-Rouge distribuerait quelque chose. Rien ne nous est parvenu ».


La Troisième Convention de Genève, signée en 1949, visait notamment à ce que l’horreur des camps de concentration ne puisse se reproduire. Hélas, comme l’écrivait Aldous Huxley, « le fait que les hommes tirent peu de profit des leçons de l'Histoire est la leçon la plus importante que l'Histoire nous enseigne. »


Jean-Marc Adolphe


PORTFOLIO. Oleksy Kustovsky (KUSTO)


Né en 1971, Oleksy Kustovsky (KUSTO) est un célèbre caricaturiste ukrainien. « Mes caricatures anti-guerre ne contiennent pas de légendes ni de textes explicatifs », dit-il. « Elles parlent toutes de l'inutilité du racisme, du fascisme de Poutine, de l'idiotie des représentants de l'Homo putinus et de leur évolution sans issue. »




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