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D’Allende à Boric, le retour de la gauche au Chili


Gabriel Boric contemple le buste de Salvador Allende (photo postée sur Twitter par Gabriel Boric)


Élu le 19 décembre dernier face au candidat d’extrême-droite José-Antonio Kast, le jeune et nouveau président du Chili, Gabriel Boric, prend ses fonctions ce vendredi 11 mars 2022. Économie, tensions migratoires, question Mapuche, nouvelle Constitution : quelles difficultés l’attendent pour les premiers mois de son mandat ?


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« J'ai dit et je dois le répéter : si la victoire n'a pas été facile, il sera difficile de consolider notre triomphe et de construire la nouvelle société, la nouvelle coexistence sociale, la nouvelle morale et la nouvelle patrie », déclarait le socialiste Salvador Allende le 4 septembre 1970, quelques heures après avoir remporté de justesse les élections nationales.

51 ans plus tard et au milieu d'une campagne électorale mouvementée, le nouveau président chilien Gabriel Boric a utilisé cette phrase dans un post sur les réseaux sociaux pour célébrer un autre anniversaire de la victoire d'Allende, le premier dirigeant socialiste et marxiste à arriver au pouvoir démocratiquement.

Ce n'est pas la seule fois que Boric a fait référence à Allende dans des déclarations publiques. Le 20 décembre dernier, dans son premier discours en tant que président élu, il rendait à nouveau hommage à Allende, cette fois sans le nommer : « Je vous invite - comme vous avez été invité il y a de nombreuses années - à rentrer chez vous avec la joie saine de la victoire obtenue », exactement les mêmes mots que ceux utilisés par Allende dans son discours de septembre 1970. Allende, qui allait être renversé trois ans plus tard par un coup d'État militaire, avait prononcé ce discours mémorable depuis les balcons du bâtiment de la Fédération des étudiants de l'université du Chili (FECH). Gabriel Boric a été président de la FECH à partir de 2011, après que son groupe ait remporté les élections internes du syndicat étudiant face au courant dirigé par la communiste Camila Vallejo (aujourd’hui porte-parole du gouvernement).


Quelques heures seulement après sa victoire électorale historique du 19 décembre 2021, Gabriel Boric a rendu visite au président Sebastián Piñera au palais de La Moneda. Au cours de la visite, les deux hommes ont pris des photos dans une salle où sont exposés les monuments de tous les présidents de l'histoire du Chili. Boric s'est arrêté devant l'un d'eux : le buste d'Allende. « Aujourd'hui, nous avons visité le Palacio de La Moneda, à l'invitation du président Piñera. Lorsque je me suis trouvé devant le buste de Salvador Allende, j'ai pensé à ceux qui, comme lui, nous ont précédés. Ses rêves d'un Chili meilleur sont ceux que nous continuerons à construire avec vous tous », a-t-il écrit quelques heures plus tard sur son compte Twitter.

Comme si cela n'était pas assez symbolique, le 21 janvier, Boric a constitué son équipe gouvernementale et a nommé Maya Fernández Allende, petite-fille de Salvador Allende, au ministère de la défense. Maya, née en 1971, appartient également au Parti socialiste et sera responsable des forces armées qui ont renversé son grand-père alors qu'elle n'avait pas encore deux ans.


Économie, conflit dans l'Araucanie et tensions migratoires, les grands défis de Gabriel Boric pour 2022


Photo AFP


Stabiliser une économie frappée par la pandémie, approuver une réforme fiscale, faire face aux problèmes de migration à la frontière avec la Bolivie et réduire les tensions liées au conflit avec les peuples indigènes en Araucanie sont être les principales questions auxquelles Gabriel Boric devra s'attaquer à partir du 11 mars.

Dans le même temps, le nouveau gouvernement devra suivre de près les avancées de l’Assemblée constituante, un processus qui s’achèvera par un référendum prévu, en principe, pour septembre. Cette consultation populaire pourrait devenir un bon baromètre pour mesurer les premiers mois de la nouvelle administration de gauche.

Mais au sein du gouvernement de Boric, tous ces problèmes se résument à un seul concept : répondre aux attentes générées au sein de la population.

Au début de l'année, un sondage a montré que 46% des Chiliens pensent que le pays « se portera très bien » avec le gouvernement de Boric. 33% d'entre eux estiment que le pays aura un avenir correct et seulement 16 % pensent qu'il se portera mal.

Giorgio Jackson, le nouveau Secrétaire général de la Présidence, reconnaît qu'au Chili il y a une « grande attente » envers le gouvernement, « sûrement plus grande que celle observée avec de précédents gouvernements ».

Dans une interview accordée au journal uruguayen La Diaria au début du mois de février, Giorgio Jackson a déclaré que le principal problème à affronter à ce stade est de « répondre aux attentes » : « Naviguer sur un chemin sur lequel nous faisons des progrès et montrons des choses concrètes, a-t-il expliqué. Les gens sentent qu'il y a un gouvernement qui tient ses promesses, et lorsqu'un obstacle apparaît, il est communiqué et nous le surmontons ensemble avec les citoyens. Dans cette gestion des attentes, il y a un problème auquel nous allons devoir faire face ».

L'historienne et analyste Josefina Araos Bralic estime pour sa part que Gabriel Boric devra également faire face à des « conflits sociaux très aigus » au cours des premiers mois, tels que la crise migratoire dans le nord du pays et le problème avec les Mapuches. En outre, ajoute-t-elle, le président pourrait être confronté à des « tensions » au sein du gouvernement : « En plus du rôle de l'opposition, le propre entourage de Boric peut générer beaucoup de difficultés. Je pense aux différents qui ont existé avec le parti communiste, mais ce ne sont pas les seuls. Nous ne devons pas oublier que Boric a signé l'accord du 15 novembre (2019) qui a ouvert le processus constituant sans l'aval de son parti, ce qui a généré pour lui de nombreuses difficultés internes ».


Au Parlement, la coalition de Gabriel Boric, Apruebo Dignidad, disposera de 37 des 155 députés et de cinq des 50 sénateurs. Si l'on ajoute à ces chiffres les sièges des partis qui l'ont soutenu au second tour - la coalition de centre-gauche, le Nouveau Pacte Social et d'autres formations de gauche - il atteindrait 79 sièges à la chambre basse et 25 à la chambre haute.

Dans le domaine économique, l'un des grands défis est celui de la « stabilisation économique » : « Nous sortons de périodes de grandes fluctuations. Nous avons eu une baisse de 6 % du PIB en 2020 et une augmentation de 12 % en 2021. L'économie a connu une surchauffe et nous devons maintenant la stabiliser pour que l'inflation ne s'envole pas », explique Giorgio Jackson.

Dans ce contexte, l'un des grands paris de Boric sera de mettre en œuvre une réforme fiscale progressive. L'objectif est un « pacte » fiscal dans lequel ceux qui disposent de plus de ressources paient plus, comme les sociétés minières et les entreprises polluantes.

Le gouvernement de Gabriel Boric cherchera en parallèle à mettre en œuvre des mesures visant à libérer du temps de travail par une réduction du temps de travail afin de renforcer l'équité, à augmenter le salaire minimum et à concevoir un nouveau système de santé.

Alors que le gouvernement va entrer en fonction, il y a aussi des signes encourageants inattendus. Le lundi 7 mars, le prix international du cuivre a atteint un nouveau sommet historique à la Bourse des métaux de Londres, sous l'effet d'une reprise mondiale des prix des matières premières à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Le Chili est le premier producteur mondial de cuivre et « l’or rouge » est le principal produit d'exportation du pays.

Le futur ministre des Finances, Mario Marcel, a reconnu que la hausse des prix du cuivre pourrait générer des ressources fraîches pour le nouveau gouvernement, mais il a également appelé à la prudence : « En même temps, le prix du pétrole atteint des records précédents, donc nous devons voir quel est l'équilibre entre ces deux facteurs. »

Au Chili, la longue lutte des Mapuche pour leurs terres. Reportage Ingrid Piponiot pour France 24, octobre 2018


La sécurité sera une autre question clé pour la nouvelle administration. Ce point a été central tout au long de la campagne électorale, même si Gabriel Boric a mis un accent particulier sur cette question avant le second tour. L'un des problèmes les plus urgents est ce qui se passe en Araucanie, où le conflit avec les Mapuche perdure. Les Mapuche réclament depuis des décennies la restitution de leurs terres ancestrales et la reconnaissance de leurs droits. Plusieurs analystes s'accordent à dire que le second mandat de Sebastián Piñera s'est accompagné d'une recrudescence de la violence.

Il y a également eu une augmentation de la violence de la part de groupes Mapuche radicaux (une minorité dans une grande majorité de mouvements pacifiques). Celui qui a eu le plus de répercussions a été l'incendie de camions transportant des cargaisons provenant, pour la plupart, de leurs terres ancestrales.

Piñera a approuvé l'« état d'exception d'urgence constitutionnelle » pour la région. Cette mesure restreint le droit de réunion et la liberté de mouvement. Boric a mis en avant une vision différente. La semaine dernière, la nouvelle ministre de l'intérieur, Izkia Siches, a déclaré qu'elle chercherait des solutions politiques aux conflits dans cette région du Chili : « Nous avons la responsabilité de commencer à tracer une voie différente, mais les résultats ne seront pas immédiats ». Elle a confirmé que Gabriel Boric « ne renouvellera pas l'état d'urgence constitutionnel », qui a été prolongé par le Congrès pour la neuvième fois le mercredi 23 février. Cette mesure est en vigueur depuis le 12 octobre et le reste jusqu'au jour de la passation de pouvoir, ce 11 mars.

L'analyste Araos Bralic estime que le nouveau gouvernement n'aura pas la tâche facile sur cette question. Elle souligne que lorsqu'on est au pouvoir, on a le « monopole de la violence légitime » et que des « difficultés » apparaissent. Elle souligne que le Comité de coordination Arauco-Malleco (CAM), « l'un des groupes les plus radicaux de la région de l'Araucanie », a d’ores et déjà traité le nouveau gouvernement « d’imbéciles progressistes qui ne sont pas intéressés par le dialogue ». Ce groupe défend la légitimité de l'usage de la force pour défendre ses luttes.


Un autre problème qui s'est aggravé ces derniers temps est celui de l'arrivée de migrants dans le nord du pays. Des incidents contre les migrants ont eu lieu et le gouvernement Piñera a dû décréter l'état d'exception. La mesure a été prolongée et sera en vigueur jusqu'au 17 mars dans les régions d'Arica, Parinacota, Tamarugal et El Loa. La nouvelle ministre de l'intérieur, Izkia Siches, a annoncé que l'administration de M. Boric maintiendrait cette mesure. Le gouvernement vise à renforcer l'institutionnalité de l'État sur la frontière et sa politique migratoire.


La route vers une nouvelle constitution

La première année du gouvernement de Boric sera également marquée par les travaux de l’Assemblée constituante (ou Convention constitutionnelle), qui doit présenter en juillet le texte qui remplacerait l’actuelle Magna Carta héritée de la dictature d'Augusto Pinochet. Gabriel Boric devra ensuite convoquer un référendum, provisoirement prévu pour septembre, afin de d’approuver ou non le texte.

En décembre 2021, lorsqu'il a rencontré les membres de l’Assemblée constituante, Gabriel Boric a déclaré que cette instance bénéficierait de son « plein soutien institutionnel » et a promis un « travail conjoint ».

Le futur président a maintenu qu'il ne s'attend « en aucun cas à une Convention partisane, une Convention au service de notre gouvernement, car ce n'est pas la bonne chose à faire ». Georgio Jackson, l'une des personnalités les plus proches de Boric, reconnaît qu'ils ont besoin que la nouvelle constitution soit approuvée pour que le gouvernement puisse réussir. Le gouvernement qui entre en fonction le 11 mars reconnaît que certaines questions importantes de son programme, telles que la réforme de la santé, la réforme des droits sexuels et reproductifs et la promotion de certaines normes de travail, pourraient être considérées comme inconstitutionnelles dans le cadre de l'actuelle Constitution. Le destin du gouvernement de Gabriel Boric et de l’Assemblée constituante sont donc étroitement liés.


(Source principale : Página/12. Página/12 est un quotidien argentin publié à Buenos Aires, qui a été créé le 26 mai 1987 par le journaliste Jorge Lanata. Il est diffusé à environ 20.000 exemplaires).


Sur les humanités, articles précédemment publiés sur le Chili : ICI


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