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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Colombie. La terreur contre le peuple.


Photo Andres Cardona.


Le président colombien Ivan Duque soutient que des organisations criminelles et terroristes organisent la contestation sociale et les émeutes qui secouent la Colombie depuis un mois. En vérité il n'y a qu'une seule organisation criminelle et terroriste en Colombie, c'est le gouvernement d’Ivan Duqué, appuyé par une police meurtrière, aux ordres du véritable Patron, le mafieux Alvaro Uribe. Alors que 42,5 % de la population colombienne vit très en-dessous du seuil de pauvreté, on sait maintenant à quoi servent les 9,2 milliards de dépenses militaires engagées par le gouvernement colombie en 2020.

Avec près de 80% d'opinions défavorables, Ivan Duque sait que ses jours sont comptés. D'une façon plus générale, la révolte de la jeunesse colombienne signe la fin de l’uribisme qui a maintenu la Colombie sous le règne de la terreur pendant des décennies. L’uribisme-fascisme est aujourd'hui comme un fruit pourri prêt à tomber de l'arbre, mais le président Porky-Duque et son mentor narco-Uribe ne partiront pas sont laisser derrière eux un bain de sang.

Alors que ce samedi 29 mai 2021, la ville de Cali est entièrement militarisée avec le renfort de groupes paramilitaires, il se confirme qu'une centaine de jeunes « disparus », arrêtés arbitrairement, auraient été torturés puis froidement exécutés avant que leurs corps ne soient jetés dans des fosses communes.

Cela s'appelle un crime contre l'humanité. Que fait la communauté internationale ? Pas grand-chose.


Un mois. Un mois déjà que la Colombie est entrée en révolte. Paro Nacional. Comme le dit un slogan, « arrêter pour pouvoir avancer ». N’en plus pouvoir, et alors vouloir. Vouloir que ça change ça change vraiment, de fond en comble. Dans tout le pays, une même clameur, une même ardeur. Que veut le peuple colombien de si extraordinaire ? Le droit à l'éducation, le droit à la santé, le droit à la dignité.

Immense est la foule qui marche, proteste et s’attroupe. De mémoire de Colombien, on n'a connu telle amplitude révolutionnaire. Comme l’écrit le site Colombia Reports, « les manifestations antigouvernementales en Colombie ont atteint des proportions historiques. »


VIDEO Annonce de la marche organisée à Rotterdam (Pays-Bas), le 28 mai 2021 : "plantar una semilla de esperanza tricolor" / "planter une graine d'espoir tricolore".


Cali, succursale du ciel, capitale de la contestation


Cali, capitale de la sala, succursale du ciel, est devenue capitale de la contestation. Les jeunes en première ligne: « primera linea ». En face : une répression inouïe, féroce, criminelle. La police, notamment l’ESMAD (Escuadrón Móvil Antidisturbios / Escandron mobile anti-émeute), qui doit théoriquement protéger le peuple, est aussi « en première ligne » pour l’assassiner.


Pourquoi Cali ? Comme l’écrit excellemment Alejandro Martín sur le site pazport.press (plateforme d’information et d’analyse sur le processus de construction de la démocratie et la paix en Colombie), « Cali est une ville extrêmement inégale et violente. Une ville divisée. Sa culture et sa vie quotidienne sont marquées par deux extrêmes : d’une part, une petite classe supérieure enfermée dans son monde, et d’autre part, une grande partie de la population dans une grande pauvreté qui accueille des migrations depuis des décennies; et au milieu, une énorme tranche de classe moyenne largement appauvrie par des décennies de crise économique. (…) Depuis près de vingt ans, Cali est l’une des cinq villes qui comptent le plus de meurtres au monde. Ceux qui ont maintenant rasé les établissements publics et privés sont très probablement les mêmes criminels qui nous terrorisent le reste de l’année. Et le trafic de drogue, à grande échelle et à petite échelle, s’empare à nouveau de la ville et de la région. En même temps, il est important de montrer que Cali est une ville très complexe, d’une grande richesse culturelle et intellectuelle. Les universités ont créé des espaces très importants de rencontre et de développement pour tous les citoyens qui ont rendu possible une masse critique et un corpus théorique qui donne de la densité à beaucoup de jeunes qui militent pour le changement. (…) Cali est une ville au racisme structurel évident, une ville héritière d’une société esclavagiste qui n’a jamais réussi à rompre avec cette relation inégale afin d’offrir des conditions équitables et dignes aux populations racisées et marginalisées. Cali est également la capitale d’une région incapable de répartir équitablement entre ses habitants les bénéfices du puissant port maritime de Buenaventura et les profits générés dans le Valle del Cauca. »

Sans-abri à Cali, le 20 mars 2020 (AFP / Luis Robayo)


Ou encore, Luis Robayo, photographe de l'AFP à Cali : « La réforme fiscale qui a mis le feu aux poudres le 28 avril a été depuis retirée. Mais certains exigent désormais le départ pur et simple des dirigeants, auxquels ils reprochent de mépriser la classe moyenne… le tout alors que la pandémie a généré une grave crise économique. A Cali, elle est palpable: plus d’un tiers de ses 2,2 millions d’habitants sont désormais touchés par la pauvreté. Beaucoup de gens, sans emploi, survivent comme ils peuvent. Les banques font peu d’efforts, sans doute faute de pression du gouvernement, et les saisies de biens se multiplient. (…) Avec la misère, arrive la délinquance, qui a énormément augmenté. Tu peux être attablé au restaurant et voir débarquer des types armés qui dépouillent en un clin d'oeuil tous les clients: téléphones, bijoux, argent. On hésite à s’installer en terrasse, par peur des voleurs à moto qui arrachent en quelques secondes tout ce qu’ils peuvent. (…) Le mouvement social à Cali, comme dans le reste du pays, rassemble des syndicats, des étudiants, des indigènes qui réclament plus d’équité. Il y a des jeunes, des personnes âgées, des femmes. Il me fait penser à d’autres manifestations que j’ai couvertes à Caracas, au Venezuela, il y a quelques années: les rues sont bloquées par des barricades, l’essence commence à manquer… On dirait un champ de bataille. (…) Cali, la nuit la plus dure a été celle du 3 mai. J’entendais le bruit incessant des hélicoptères tournoyant au-dessus de la ville, des explosions, des tirs, les sirènes des ambulances. Vers 2 ou 3 heures du matin, le vacarme était encore fort. Tout a commencé dans le quartier défavorisé de Siloé, à quelque dix pâtés de maison de chez moi. C’est une zone réputée dangereuse du fait de la présence de gangs. Des soldats et des policiers s’y sont déployés. Il y a eu des tirs, des forces de l’ordre blessées, des morts parmi les manifestants. J’ai photographié leurs proches, ces jeunes étaient des gens bien, qui manifestaient contre les inégalités. Ils avaient un travail, une famille, c’est très triste. (…) Et oui, Cali est l’épicentre de tant de choses. C’est la capitale du sud-ouest colombien. Un point de passage entre les champs où l’on cultive la coca et le port de Buenaventura d’où la drogue, une fois conditionnée, est exportée vers les Etats-Unis et l’Amérique centrale. La situation s’est dégradée dans cette région du Cauca, au point qu’il est redevenu très dangereux de s’y rendre. »



Gladys Betancourth, 51 ans avec la photo de son fils Oscar Obando,

24 ans tué lors d'une attaque armée, pendant une fête le 16 août 2020.

Lucila Huila, 53 ans, pose avec la photo de son fils Esneider Collazos, 23 ans tué le 28 août 2020

(AFP / Luis Robayo)

Récit de Luis Robayo à lire en intégralité ICI.


Une économie chancelante

Après un mois de Paro nacional, l’économie colombienne est durement touchée, mais elle était déjà en piètre état avant. Selon l’agence Reuters, « le déficit budgétaire de la Colombie s'est creusé l'an dernier à la suite d'une forte augmentation de son niveau d'endettement, qui a atteint 64,8 % du produit intérieur brut. (…) Les restrictions à long terme imposées en 2020 ont entraîné la fermeture d'entreprises, ce qui a fait exploser le chômage et provoqué une contraction économique sans précédent de 6,8 %. Et selon les analystes, il est fort probable que la Colombie perde également sa note d'investissement auprès des agences de notation Fitch et Moody's. »

D’autre part, la compagnie pétrolière nationale colombienne Ecopetrol SA vient d’annoncer des « difficultés opérationnelles » en raison des manifestations qui secouent le pays depuis près d'un mois. La production de pétrole a été touchée dans les départements de Putumayo, Meta, Arauca et Boyacá : la production totale est en baisse à 651 000 bep/j, contre une moyenne de 675 000 bep/j au premier trimestre. Or, le pétrole représente 2 à 4 % de l'économie colombienne. Les exportations de pétrole représentaient 9 milliards de dollars en 2020, selon l'organisme de réglementation des hydrocarbures Asociación Nacional de Hidrocarburos. Et l’annonce de Ecopetrol SA survient après d’autres annonces similaires de plusieurs producteurs internationaux, dont GeoPark Ltd, Parex Resources Inc. et Gran Tierra Inc. (Lire ICI et ICI)


Rejet d’une motion de censure contre le ministre de la Défense

Pour autant, Ivan Duque, le Président colombien d’extrême-droite, ne semble guère pressé de trouver une issue au mouvement de grève et de protestation. Au contraire, il jette de l’huile sur le feu, en multipliant les provocations et les violences policières, à tel point que la Commission Interaméricaine des Droits de l’homme vient de fermement condamner le gouvernement colombien (lire ICI).

Diego Molano, ministre de la Défense. Photo DR.


Jeudi 27 mai, le Congrès colombien a rejeté une motion de censure contre le ministre de la Défense, Diego Molano, responsable de la répression brutale des manifestations antigouvernementales de ces dernières semaines. La plupart des sénateurs de la coalition qui soutient Duque ont voté contre la motion déposée par l'opposition concernant les violations massives des droits de l'homme de ces dernières semaines. Diego Molano, le ministre de la Défense, a salué ce vote en déclarant que le Sénat avait "exprimé son soutien aux soldats et aux policiers" dont les institutions sont accusées d'avoir tué des dizaines de personnes et fait disparaître des centaines de manifestants… (Lire ICI, sur l’excellent site Colombia Reports)


Des membres de l'ESMAD pourchassent des manifestants à Bogota. Photo EFE.


Les droits de l'homme (et de la femme) violés et bafoués


Quand Heiner Goebbels, le propagandiste du nazisme, entendait le mot « culture », il sortait son révolver. Quand Ivan Duque entend les mots « droits de l’homme », il tire la chasse et son Venom, arme redoutable pour la toute première fois utilisée contre un mouvement social. (Lire ICI).

Pourquoi devrait-il s’en faire ? Tout en demandant une enquête sur les allégations de violence de la part des forces de sécurité colombienne, Les États-Unis ont exprimé jeudi 27 mai leur soutien au gouvernement de Duque, par la voix de Juan Gonzalez, principal conseiller du président américain Joe Biden pour l'Amérique latine, à l'issue de sa rencontre à Washington avec la vice-présidente et ministre colombienne des affaires étrangères Marta Lucia Ramirez : "Le message que nous avons laissé est un soutien clair à la Colombie et au peuple colombien", a-t-il déclaré à la presse (Lire ICI).

Imperturbablement, Duque continue d’affirmer à qui veut l’entendre, sans le moindre commencement de début de preuve, que « des organisations criminelles financent le mouvement de protestation sociale avec de grosses sommes d'argent » et que ces mêmes organisations criminelles « profitent des manifestations de grève pour s'attaquer au système judiciaire », comme le rapporte le magazine Semana, très marqué à droite (Lire ICI).

Ce qui reste du Palais de justice de Tuluá, incendié dans la nuit de mardi à mercredi.

Photo EFE/ Ernesto Guzman Jr.


Même refrain concernant l’incendie du Palais de justice de Tuluá (vidéo ICI), dans le Valle del Cauca, dans la nuit du 25 mai, en marge des manifestations organisées dans le cadre de la grève nationale. Curieusement, le service municipal d'incendie, présent sur place, n’est pas intervenu. Le 27 mai, lors d'une conversation organisée par le Dialogue interaméricain et le Wilson Center, deux groupes de réflexion politique basés à Washington, Ivan Duque a déclaré, à propos de cet incendie : "Nous avons des preuves que des groupes terroristes ont donné de l'argent aux gens pour qu'ils commettent ces actes de vandalisme ". Ce même 27 mai, le ministre de la Défense, Diego Molano, a annoncé que la coquette somme de 200 millions de pesos seraient offerts à ceux qui donneront des informations permettant de capturer les responsables de l'incendie du Palais de justice ». (Lire ICI)

Se souvenir que Duque avait lancé une proposition similaire pour retrouver les auteurs de l’assassinat du jeune Lucas Villa, le 5 mai. Ils n’ont toujours pas été identifiés, alors que la plaque d’immatriculation du véhicule où ils se trouvaient a été photographiée par un manifestant !

Et pour retrouver les responsables de la mort du jeune Camilo Andrés Arango García, étudiant en droit tué par balles lors de cette même manifestation à Tuluá ?


Depuis le début du soulèvement populaire en Colombie, les manifestations pacifiques ont été très durement réprimées. Dans une vidéo du 12 mai, un habitant de Cali le dit très bien : « Les gens ne font pas confiance au gouvernement ».

Sévèrement taclé par la Commission interaméricaine des Droits de l'homme (lire ICI), Ivan Duque prétend qu'il n'a "rien à cacher" : "“No tenemos nada que ocultar” (Lire ICI).

Ne reculant devant aucune entourloupe, Duque a encore affirmé, lors de la conférence virtuelle organisée par le Wilson Center et l'Inter-American Dialogue : "il doit y avoir une enquête sur ce qui est arrivé aux civils, mais aussi sur ce qui est arrivé aux officiers qui ont défendu la constitution colombienne et qui ont défendu l'institution". Pourtant, des organisations de défense des droits de l'homme telles que Human Rights Watch ont clairement établi que plus de 50 personnes ont été tuées lors des manifestations et qu'au moins une douzaine des responsables présumés sont des policiers. (voir par exemple vidéo tournée à Medellin le 19 mai)

Comme le rapporte France 24, la seule journée du 27 mai a encore été marquée par de nouvelles violences, notamment à Bogotá. Dans la nuit de mercredi à jeudi, les manifestants ont de nouveau affronté la police en plusieurs points de la ville : cette seule soirée a fait 25 blessés parmi les civils et quatre parmi les policiers dans le sud de Bogotá, selon les autorités civiles. Un jeune manifestant de 29 ans, "Johnatan Guarnizo a été blessé par une grenade lacrymogène tirée en peine tête" par un policier anti-émeute, a indiqué sur Twitter la maire de Bogota, Claudia López. Dans tout le pays, selon la Croix-Rouge, 139 personnes ont été blessées lors des manifestations de mercredi, dont cinq policiers. La majorité d'entre eux ont subi des "dommages aux yeux et aux voies respiratoires".

A Cali, même l’archevêque, Mgr Dario Monsalve, a condamné ce 27 mai la violence policière contre le peuple en Colombie. « Les prêtres catholiques et les bergers chrétiens, qui accompagnent le peuple dans les points de résistance, sont témoins du scénario brutal des attaques armées perpétrées par les patrouilles de police, laissant des blessés dans leur sillage », a-t-il dénoncé sur Twitter. Dans le même tweet, il s'interroge : " Qui est en train de pervertir la police en bourreaux du peuple ? ", exhortant les policiers à « désobéir aux ordres de blesser, d'assassiner, de torturer. Objection de conscience. Dénoncez ceux qui donnent (les ordres). Ne provoquez pas plus de haine. Prenez soin de la vie de chacun et de la population et Dieu prendra soin de la vôtre. » (Lire ICI)


Trois ONG confirment des cas d'exécutions extra-judiciaires et l'existence de charniers aux abords de Cali, où auraient été jeté les corps d'une centaine de jeunes gens.


Mais les voies de Duque -et de son mentor Alvaro Uribe- sont bien plus impénétrables que celles de Dieu ! Le 27 mai, l’excellent site pazport.press publie un rapport terrifiant (en espagnol, ICI) de l’Equipe juridique humanitaire N 21, de l’association Justice et Dignité et de la Commission inter-ecclésiale de Justice et Paix. Voici l’essentiel de ce rapport, qui porte sur des faits gravissimes que les humanités ont commencé à dévoiler ici en exclusivité :

« Depuis le 13 mai 2021, nos organisations ont reçu des récits absolument macabres qui heurtent la conscience de l’humanité et qui reflètent la gravité des conséquences de la mentalité et des ordres émis depuis le plus haut niveau de l’État définissant comme “vandales terroristes” les jeunes manifestants qui sont victimes et cibles directes de plans criminels.

" Ce ne sont des policiers, ce sont des tueurs à gages"

Depuis le 14 mai, ont été connues les premières versions de l’existence de fosses communes dans les zones rurales des municipalités de Buga et Yumbo où les corps de nombreux jeunes de Cali ont été emmenés. Quelques jours plus tard, une nouvelle source a partagé des informations plus précises, indiquant que le dimanche 2 mai, le CAM (Centre Administratif Municipal) a été utilisé comme centre de détention et de torture. Certains jeunes ont été emmenés dans des sous-sols, et quelques heures plus tard, ils ont été emmenés dans des fourgonnettes à vitres teintées. Deux sources ultérieures ont signalé le déplacement de camions qui faisaient apparemment partie des moyens utilisés par la police pour sa mobilité. Dans certains de ces camions, des jeunes auraient été emmenés de nuit dans la zone connue sous le nom de Mulaló, un quartier de Yumbo, situé à 30 minutes de Cali. Là, dans un endroit préalablement préparé, ils auraient déchargé les corps des jeunes des quartiers populaires qui participent aux mobilisations et qui sont considérés comme disparus. Une autre personne a indiqué que certains jeunes portés disparus par leurs amis ou leurs familles, ont été conduits à Guacarí, à Buga, à 45 minutes de Cali, où ils auraient été “exécutés”.

Certains des survivants des exécutions ont été retrouvés avec des blessures par balle dans des établissements hospitaliers et sont maintenant terrifiés et se cachent. Aujourd’hui, 23 mai, une version plus précise des opérations des groupes de civils armés protégés par la police a été connue. Une “Casa de Pique” (maison de torture et de démembrement) aurait été installée dans le quartier huppé de Ciudad Jardín, à Cali. (…) La dynamique de répression est devenue de plus en plus sophistiquée au cours de ces presque 25 jours, avec la prétention croissante d’éviter l’identification de la responsabilité policière dans des opérations de nature paramilitaire et évidemment criminelle. Compte tenu de l’absence de garanties, nous demandons que les organes d’enquête et de protection de l’État, et en particulier l’Unité de Recherche des Personnes Disparues, développent leurs activités sur la base des premières informations publiques.

Étant donné le manque d’impartialité manifeste du Parquet dans le cadre de la grève nationale, une enquête spéciale est nécessaire de toute urgence pour vérifier les actions d’investigation. (…) Sur la base de la synthèse de ces récits qui fournissent des éléments raisonnables de plans criminels sophistiqués auxquels participerait la Police Nationale et compte tenu de la manière dont les forces régulières ont opéré depuis le 28 avril jusqu’à aujourd’hui, et des expressions militaires du Général Zapateiro, nous déposons un “Constat Historique Public” à partir des informations reçues. (…) Nous réitérons que sur la base de ce “Constat Historique publique”, l’Etat colombien doit initier une exploration technique avec des experts médico-légaux de l’Institut de Médecine Légale et de l’Unité de Recherche des Personnes Disparues avec la participation d’observateurs d’organisations humanitaires nationales et internationales, et doit adopter des mesures immédiates d’investigation judiciaire pouvant assurer un processus d’enquête indépendant et efficace pour infirmer ou confirmer les récits des témoins de cette situation. » (Lire ICI)

Le rapport des trois ONG fournit, selon des recoupements effectués par l’Université de Valle del Cauca la liste nominative de 120 jeunes gens portés « disparus » et vraisemblablement exécutés dans les terribles conditions évoquées ci-dessus.

Alors, señor Duque, « rien à cacher », vraiment ?

Lors d’une manifestation à Bogota, 19/05/2021.


Dans un article très documenté (en espagnol), largement cité ci-dessous, le site Deutsche Welle aborde la question des « disparus » : « Les disparitions sont un crime contre l'humanité, typique d'une dictature et non d'une démocratie. La grève nationale en Colombie dure depuis un mois ce 28 mai, mais jusqu'à présent, le gouvernement d'Iván Duque n'a pas été capable d'établir un pont de compréhension, ni avec les représentants des manifestations, ni avec la société civile, ni avec la communauté internationale. Les différences se reflètent même dans le nombre de personnes disparues, l'une des plus grandes préoccupations à l'intérieur et à l'extérieur du pays. (…) Alors que le bureau du procureur général de Colombie annonce que "les autorités sont toujours à la recherche de 129 personnes portées disparues lors des manifestations de ces dernières semaines", l'ONG Indepaz dit avoir réussi à consolider "une liste de 346 noms de personnes portées disparues directement auprès de notre entité". Le 26 mai, la vice-présidente et ministre des Affaires étrangères de Colombie, Marta Lucía Ramírez, a déclaré à WOLA à Washington qu'une seule personne en Colombie avait été officiellement signalée comme disparue dans le cadre de la grève nationale, et qu'il n'était pas clair si les autres devaient être classées comme disparues. (…)

Les disparitions sont un crime contre l'humanité, typique d'une dictature et non d'une démocratie. La Colombie tire la sonnette d'alarme, non seulement en raison des violences policières, mais aussi de l'incongruité des chiffres. Que se passe-t-il ?"

La grève nationale en Colombie dure depuis un mois ce 28 mai, mais jusqu'à présent, le gouvernement d'Iván Duque n'a pas été capable d'établir un pont de compréhension, ni avec les représentants des manifestations, ni avec la société civile, ni avec la communauté internationale. Les différences se reflètent même dans le nombre de personnes disparues, l'une des plus grandes préoccupations à l'intérieur et à l'extérieur du pays. (…) Pourquoi des différences aussi importantes dans le nombre de disparus dans le contexte des protestations ? "Je pense que le problème entre les chiffres officiels et ceux collectés par d'autres entités peut résider, entre autres, dans le retard pris par le bureau du médiateur pour agir en la matière, puisque les mécanismes de surveillance et de contrôle ont mis du temps à commencer à vérifier les différents cas de violence", explique à DW l'anthropologue Sebastian Lanz, codirecteur de l’ONG Temblores.

S’il n’y a pas de chiffres officiels fiables, c’est parce que les entités étatiques ne sont pas intéressées à les compiler ? "Le gouvernement colombien a placé à la tête du Bureau du contrôleur, du Bureau du médiateur et du Bureau du procureur général des personnes qui ne sont pas intéressées par l'accomplissement de la mission des entités qu'elles dirigent", déclare Gimena Sánchez-Garzoli, directrice pour les Andes de WOLA, le Bureau de Washington pour l'Amérique latine, qui est profondément impressionnée par "le manque d'empathie du parti au pouvoir, le Centre démocratique, envers les manifestants, le manque d'intérêt pour répondre aux besoins fondamentaux qu'ils réclament et le pays irréel dans lequel ils vivent apparemment". En gros, entre Etat colombien et ONG, les chiffres des « disparus » ne coïncident pas car l'État ne fait rien pour les rechercher.

Que dit la communauté internationale ? Les États-Unis sont de plus en plus nerveux et préoccupés par la conduite de leur ancien "étudiant modèle" en Amérique du Sud. Jim McGovern, membre républicain du Congrès, se dit "alarmé" par les rapports faisant état de personnes disparues et demande à Duque de "remplir ses obligations en matière de droits de l'homme et de rendre compte des rapports faisant état de meurtres, de disparitions et de violences sexuelles pendant les manifestations". 55 membres du Congrès américain demandent instamment au Département d'État de "dénoncer clairement et sans ambiguïté la brutalité policière en Colombie". Dans une lettre ouverte, les parlementaires demandent même "la suspension de l'aide directe à la police colombienne suite aux violations des droits de l'homme". L'UNI Global Union, qui regroupe 20 millions de travailleurs dans plusieurs pays, a appelé sur Twitter l'administration de Joe Biden à "défendre les droits de l'homme et la démocratie en Colombie". De son côté, la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, a "encouragé" les autorités colombiennes lors d'une conférence de presse "à localiser les personnes disparues le plus rapidement possible". Le gouvernement d'Iván Duque nie toujours l'existence d'un usage excessif de la force policière, mais a annoncé le 11 mai l'ouverture de "65 actions disciplinaires, dont 8 pour homicide contre des policiers".

L'inquiétude croissante du Congrès américain concernant les violations des droits de l'homme sous le gouvernement d'Iván Duque est due, selon Gimena Sánchez-Garzoli, "tout d'abord, au fait que les États-Unis ont soutenu, cofinancé et formé les forces de sécurité colombiennes pendant plus de 20 ans ; ensuite, parce que des armes et des munitions provenant d'entreprises privées américaines sont utilisées à mauvais escient en Colombie, et enfin, parce que les États-Unis ont soutenu la mise en œuvre de l'Accord de paix, qui prévoyait le démantèlement des groupes criminels de narcotrafiquants et la réduction des inégalités, engagements qui n'ont pas été tenus et qui sont les causes déterminantes qui ont conduit à la crise actuelle, bien avant la pandémie.

Au niveau international, Gimena Sánchez, de WOLA, appelle les parlements et les gouvernements des pays qui fournissent de l'aide à la Colombie à exiger que les engagements soient respectés. A ce jour, seuls vingt parlementaires italiens ont envoyé une lettre à la Présidence colombienne pour manifester leur préoccupation quant aux affrontements entre la police et les manifestants dans le cadre de la grève nationale. Ils demandent au président colombien d'honorer les accords établis avec la Communauté européenne. Dans une interview accordée à au magazine Semana, la députée Doriana Sarli (ex-Mouvement 5 étoiles), promotrice de l'initiative, a précisé que son intérêt n'est pas de s'immiscer dans les affaires intérieures d'un autre pays, mais que lorsque les droits de l'homme sont violés, il est nécessaire d'élever une voix de protestation : « Dans cette lettre, nous demandons au président de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la violence disproportionnée, vérifier les responsabilités des forces armées et traduire les coupables en justice. Aussi, nous invitons à l'application des normes internationales pour l'intervention des forces de sécurité dans les manifestations, en respectant les principes de légalité, de prudence, de retenue et d'opportunité, afin de garantir le droit à la manifestation pacifique et d'établir un véritable dialogue avec les partenaires sociaux, en particulier avec les jeunes qui veulent se faire entendre pour l'avenir de leur pays », a expliqué Doriana Sarli.

En France ? Toujours rien. Le « pays des Droits de l’homme » se fait remarquer par son silence assourdissant. Pire, la France soutient aujourd’hui encore, politiquement et militairement, le gouvernement colombien. En début de semaine sera déposée contre le président de la République, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, une plainte pour complicité de crime contre l’humanité.

Reste la solidarité internationale. L’ONG Citoyens du monde vient de publier un communiqué important « en solidarité avec le peuple colombien qui se mobilise dans tout le pays contre les mesures économiques, sociales et politiques du gouvernement d'Iván Duque ». Dans ce "Communiqué à l'opinion publique", des penseurs, des femmes, des leaders sociaux, des maires, des conseillers, des députés, des leaders politiques et des leaders culturels condamnent avec la plus grande fermeté la répression brutale contre les manifestants et la violation des droits de l'homme que connaît aujourd'hui cette nation frère. De même, la déclaration souligne le soutien apporté par la Maison Blanche au gouvernement colombien et exige la cessation du soutien militaire américain au pays sud-américain. Les plus de cent signataires, originaires de différents pays d'Amérique du Nord, d'Amérique du Sud, d'Amérique centrale et d'Europe, ont déclaré que la politique étrangère des États-Unis à l'égard de la Colombie crée un climat de violence accrue. Les signataires du communiqué soulignent que "nous sommes des amoureux de la paix et de la justice sociale, c'est pourquoi nous considérons que la militarisation de la Colombie ne contribue qu'à aggraver la situation de violence que connaît déjà le pays".


Jean-Marc Adolphe, pour les humanités, 29/05/2021


A SUIVRE DANS LES PROCHAINS JOURS :

Le film complet de la terrible journée du 28 mai, notamment à Cali, aujourd'hui militarisée.

De quoi et de qui Ivan Duque est-il le nom ?

Quel avenir politique pour la Colombie post-uribiste ?

... et des compléments d'information, des témoignages et entretiens, des port-folios.


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