Photo : Bogotá, le 28 avril 2022. Manifestation pour le premier anniversaire du Paro nacional. Photo Camila Díaz / Colprensa.
Un an après le début du mouvement social de 2021, de nombreuses manifestations ont eu lieu dans toute la Colombie, avec peu d’affrontements, sauf à Bogotá et Popayán, la capitale du Cauca. Et dans le cadre de cette journée revendicative, les communautés indigènes et afro-colombiennes ont à nouveau dénoncé les discriminations et menaces dont elles sont l’objet.
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En Colombie, c’est traditionnellement la saison des pluies. Mais là, il pleut des trombes. Dans plusieurs régions, des milliers de familles sont touchées par de spectaculaires inondations (et déjà 28 morts recensés). Les quartiers les plus pauvres de certaines villes, où certaines constructions de fortune se sont installées dans des zones à risque, sont aussi durement impactés : à Ibagué, capitale musicale de la Colombie, rapporte la correspondante des humanités, un homme de 58 ans est décédé alors que sa maison a été emportée par un glissement de terrain.
Inondations et glissement de terrain à Ibagué. Photo DR
Ces conditions météorologiques peu propices n’ont pas découragé une forte mobilisation dans tout le pays, en cette date anniversaire du Paro nacional qui, l’an passé, avait tenu la Colombie en haleine pendant plus de deux mois (lire ICI). Les manifestations se sont globalement déroulées dans le calme, sauf à Bogotá, où les policiers anti-émeute de l’ESMAD sont intervenus, en fin de journée, sur le campus de l’Université nationale. Des affrontements ont aussi eu lieu à Popayán, près de l'Université du Cauca. C’est dans cette ville qu’en mai 2021, Alison Menendez, 17 ans, avait été arbitrairement arrêtée en marge d’une manifestation puis violée à plusieurs reprises au sein de la caserne de police. La jeune fille s’était donné la mort peu après avoir été relâchée, non sans avoir confié son histoire sur sa page Facebook. Les policiers-violeurs n’ont à ce jour écopé que d’une simple « sanction disciplinaire ». A Popayán, la colère n’est pas retombée.
Le nom de cette ville de 258.000 habitants, capitale du Cauca, est tout un symbole. Selon l’historien Arcecio Aragón, le mot Popayán dérivent de la langue quechua : pampa (vallée) et yan (rivière) formeraient « le chemin de la rivière » (allusion à la rivière Cauca). En Colombie, les membres communautés indigènes et afro-colombiennes sont toujours considérés comme des citoyens de seconde zone. Leurs revendications ont été à nouveau portées ce 28 avril 2022, date-anniversaire du Paro nacional.
Hier à Bogotá, manifestation des communautés indigènes et afro-colombiennes. Photo Gustavo Torrijos
Près du Parc national de Bogotá, une assemblée populaire a réitéré la demande d'une réforme agraire globale, et dénoncé le manque de garanties pour la permanence des groupes ethniques sur les territoires, où la recrudescence de groupes armés entraîne nouveaux déplacements forcés (Lire ICI) et assassinats de « leaders sociaux ». Les représentants de ces communautés, accompagnés d’association de défense des droits, ont alerté le médiateur de la République sur une situation qualifiée « d’urgence humanitaire ».
« Dans le cas du Cauca, il y a une persécution systématique des autorités communautaires et de la garde indigène », a ainsi déclaré Giovanni Yule, coordinateur de la paix au sein du Conseil Régional Indigène du Cauca. Avec une grande inaction de l’État, l’extension des cultures de canne à sucre et de coca grignotent les territoires indigènes, jusqu’à menacer leur sécurité alimentaire. La région du Cauca n’est pas la seule à être affectée : c’est aussi le cas du Choco, où vivent de nombreuses communautés afro-colombiennes, et aussi de l’Arauca, où près de 2.000 personnes ont déjà été déplacées de force depuis le début de l’année. « Dans notre région, ils font tout pour effacer le mouvement social, et quand ce n'est pas par les déplacements forcés, c'est par la stigmatisation, la victimisation et le meurtre, dans lequel des membres de groupes armés sont impliqués », indique Johana Pinzon, présidente de l'association paysanne José Antonio Galán.
Durant les cinq années de présidence d’Iván Duque, dont le mandat -marqué par de nombreuses affaires de corruption- se termine heureusement en juin prochain, le sort des communautés indigènes et paysannes de Colombie s’est considérablement aggravé. Contrairement à son homologie brésilien Jair Bolsonaro, Iván Duque s’est abstenu de toute déclaration tonitruante à l’égard des communautés indigènes. Cet ancien banquier, grand ami d’Emmanuel Macron, passe même pour le bon élève de la classe, au point que Joe Biden a décidé de faire de la Colombie un « allié militaire stratégique prioritaire » de l’OTAN. Selon un article récent du journal El Colombiano, la Colombie est, de tout l’hémisphère occidental, le pays qui reçoit le plus d’aide américaine. En 2021, 1,4 milliards de dollars sont ainsi allés à l’aide militaire pour lutter contre les drogues. Une aide particulièrement efficace, puisque «la production de cocaïne continue à augmenter», affirme Pierre Lapaque, représentant de l’ONUDC, l’office des Nations unies contre les drogues et le crime. Or, « le trafic de drogue continue d'alimenter une guerre qui semble sans fin », écrit InSight Crime, une plateforme de journalisme d’investigation sur le crime organisé en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Sur toutes sortes de sujets, de la lutte contre le changement climatique à la réduction des inégalités sociales, Iván Duque est excellent pour « donner le change » : il multiplie, essentiellement à l’attention de la communauté internationale, des déclarations vertueuses… qui ne sont quasiment jamais suivies d’effet. En ce qui concerne la cocaïne, il s’était engagé à réduire de moitié la superficie des plantations de coca. Celle-ci a en effet diminué, de 154.000 hectares en 2019 à… 143.000 hectares en 2020. Et, toujours selon Pierre Lapaque, «la production de cocaïne ne dépend pas seulement de la superficie plantée de coca», car la quantité «de feuilles récoltées sur un hectare, la quantité d’alcaloïde dans les feuilles et les capacités pour l’extraire sont en augmentation.»
L’Accord de pays signé en 2016 entre le gouvernement colombien et la guérilla des FARC comportait un chapitre précisément consacré à la substitution des cultures illicites, avec un programme d’aides pour aider les paysans qui s’engageaient à remplacer les champs de coca par d’autres cultures. Comme son mentor, l’ex-président Alvaro Uribe, Iván Duque était opposé à cet Accord de paix. Une fois élu, il s’est trouvé dans l’obligation de le mettre en œuvre, ne serait-ce que vis-à-vis de la communauté internationale, qui verse pour cela ne nombreuses aides à la Colombie. Dans les faits, l’actuel président colombien s’est surtout évertué à torpiller certains aspects de l’Accord de paix, et à réduire la voilure de programmes telles que celui portant sur la substitution de cultures illicites. C’est ce que montrait l’enquête approfondie de la plateforme d’information Verdad abierta, traduite et publiée en douze épisodes par les humanités en novembre-décembre 2021.
L’enquête de Verdad abierta sur les 5 ans de l’Accord de paix :
01 / Sur de bons rails ? Le chemin tortueux de la paix en Colombie. Lire ICI
02 / Juger le passé. La Juridiction pour la Paix. Lire ICI
03 / Savoir et comprendre. Face au miroir de la vérité. Lire ICI
04 / Francisco de Roux : « La vérité est un combat ». Lire ICI
05 / Un travail de fourmi. La recherche des personnes disparues. Lire ICI
06 / Genre et paix. Avec les femmes et la communauté LGBTI, un processus inachevé. Lire ICI
07 / L’oubli indigène. Le chapitre ethnique, confiné sur le papier. Lire ICI
08 / Risques et périls. La mise en œuvre de l'Accord de Paix a été fatale pour les leaders sociaux. Lire ICI
09 et 10 / Sortir de la guérilla. Sécurité des ex-combattants : une « garantie » qui a coûté la vie à 290 personnes, et Réincorporation : le chemin escarpé du retour à la vie légale. Lire ICI
11 / Éradiquer la coca ? Substitution des cultures illicites : un programme exécuté au compte-gouttes. Lire ICI
12/ Territoires en déshérence. Lire ICI
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