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Chroniques d’Ukraine : la vie à Mykolaïv, dernier verrou avant Odessa


Au matin du 26 juillet, des missiles russes ont à nouveau frappé Mykolaïv et ses environs. Depuis le début de la guerre, la ville n'a connu que 21 jours sans bombardements. La moitié de la population est déjà partie. Pour ceux qui restent, malgré les problèmes de ravitaillement, la vie suit son cours…


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Au sud de l’Ukraine, Mykloaïv, c’est « le bouclier d’Odessa ». Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’armée russe tente en vain de prendre cette ville de 476.000 kilomètres, dotée d’un port important sur l’estuaire du Boug méridional à sa confluence avec l'Inhoul, à 65 km de la mer Noire. Toute l'histoire de la ville est d’ailleurs liée à la construction navale, depuis sa fondation en 1789 par le prince Grigori Potemkine, gouverneur général de la Nouvelle Russie. La « Nouvelle Russie » désignait alors une vaste colonie de peuplement de l'Empire russe, située au sud, entre la mer d'Azov et le long de la mer Noire, qui englobait des régions conquises par l'armée russe de Catherine II sur les cosaques et l'Empire ottoman, lors des guerres russo-turques de 1768 à 1774. Ses contours recouvrent peu ou prou les territoires que Poutine tente aujourd’hui d’annexer.

La "Nouvelle Russie", à la fin du 18ème siècle


Mais Mykolaïv résiste, et tant que Mykolaïv résiste, elle protège l'accès à Odessa, principal port d'Ukraine et lieu stratégique.

Pourtant, depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, les bombardements n’ont pas cessé. Ce mardi 26 juillet, le gouverneur régional de Mykolaïv, Vitali Kim, a encore fait état d’une "frappe massive" sur la ville : « Une installation d’infrastructure critique et une entreprise automobile ont été touchées sans faire de victimes, selon les informations préliminaires. Des missiles ont également visé la périphérie de la ville », et comme voici quelques jours à Odessa, en dépit de l’accord signé par la Russie à Istanbul pour garantir les exportations de céréales, « il y a eu des tentatives d’endommager l’infrastructure portuaire ».

En périphérie d’Odessa, ce mardi matin, la petite ville de Zatoka, station balnéaire populaire au bord de la mer Noir, a été plus particulièrement touchée. « Ici, il l n’y a pas de cibles militaires », a souligné sur Twitter Emine Dzheppar, la vice-ministre ukrainienne des affaires étrangères : « Chaque année, des familles ukrainiennes s’y rendaient pour les vacances ».


Comment vit-on, à Mykolaïv, sous d’incessants bombardements ? Pour le journal britannique The Guardian, Peter Beaumont est allé à la rencontre de ses habitants.


Reportage The Guardian


À la porte du bus d'évacuation dans le centre de Mykolaïv, ville portuaire du sud de l'Ukraine, Lyubov Verba serre le bras de sa fille Diana sous le regard de son fils Vyacheslav, 12 ans. C'est un moment bref et poignant. Lyubov est fatiguée et épuisée. Incapable de dormir sous les bombardements russes qui visent la ville depuis le début de la guerre en février, elle est sans cesse agitée de tremblements nerveux. Elle part maintenant pour Odessa, à deux heures de route le long de la côte, accompagnée d'une de ses filles, Ksenia, 15 ans.


La population de Mykolaïv, qui comptait près de 500.000 habitants, a pratiquement diminué de moitié au cours des cinq derniers mois. De plus en plus d'habitants, comme Lyubov, partent chaque jour.


Lyubov Verba serre le bras de sa fille Diana alors qu'elle monte dans un bus d'évacuation pour Odessa.

Photo : Peter Beaumont/The Guardian


Le mari de Lyubov, Serhiy, restera dans la ville avec Vyacheslav et Diana, 20 ans, qui est mariée à un soldat ukrainien. Ils disent qu'ils ne veulent pas partir. « Je suis très nerveux face à la situation », admet Serhiy après le départ du bus. « Mais pour elle, c'était bien pire. Quand les bombardements la réveillent, elle n’arrive pas à se rendormir. Elle ne pouvait pas rester ici plus longtemps. »

« C'est comme s'ils [les Russes] avaient un programme », ajoute-t-il. « Ils commencent à tirer à 3 heures du matin et ça continue jusqu'à 7 ou 8 heures. Les gens se sentent plus en sécurité pendant la journée. Ce n'est pas aussi lourd que la nuit ».

Comme pour le prouver, ce jour-là, juste après 3 heures du matin, un missile est tombé à quelques rues de là, laissant un énorme cratère au milieu d'une station de lavage et soufflant les fenêtres des maisons environnantes.

La maison d'Oleksandr Golovkin, 49 ans, marchand de fruits et légumes, était l'une des plus proches de l'explosion, qui a éparpillé du verre dans toute la maison et fissuré un mur du sol au plafond. Juste en dessous de sa fenêtre, un morceau d'ailette de missile est visible.

Oleksandr Golovkin, 49 ans, scelle ses fenêtres brisées avec des bâches en plastique

après qu'un missile russe a atterri près de sa maison. Photo : Peter Beaumont/The Guardian


« Vous savez », dit-il, une feuille de plastique pliée dans ses bras qu'il a apportée pour sceller ses fenêtres endommagées, « j’ai eu la prémonition que quelque chose allait se produire. Hier, nous sommes allés dormir dans un village voisin, et cette même nuit, c’est arrivé. Dieu m'a sauvé ! » Il se fait l'écho de la remarque de Serhiy : « C'est comme s'ils avaient un timing précis. Ils commencent à trois heures du matin ».


Une semaine auparavant, l'université voisine a été frappée. L'enveloppe de la munition est encore visible, éclatée au milieu des débris. Alors que le propriétaire de la station de lavage et d'autres commerces s'affairent à balayer la poussière et les gravats, à l'université, les dégâts sont trop importants pour les balais et les pelles. Un amas de gravats et de verre s'est répandu sur la chaussée.

« Sur 148 jours de guerre », dit le maire, Alexandre Senkevich, « il y a eu 21 jours où nous n'avons pas été bombardés ».


Certains dégâts de la guerre sont moins évidents.

Loin de la ville elle-même, la principale conduite d'eau qui alimente Mykolaiv a été endommagée par des tirs russes. La ville pompe de l'eau saumâtre et saline pour le lavage et l’alimentation des toilettes. L'eau potable provient de camions-citernes pour lesquels les habitants doivent faire la queue.

Les habitants de la ville de Mykolaiv, dans le sud de l'Ukraine, profitent d'une journée relativement calme.

Photo : Peter Beaumont/The Guardian


La nourriture est un autre problème. À côté de la file d'attente pour l'eau, Vaneeva Valentyna, 68 ans, et Vasyukova Rymma, 84 ans, sont arrivées à 9 heures, comme deux douzaines d'autres personnes voulant être les premières dans la file, pour la distribution de nourriture qui commence à 14 heures. « À 14 heures, il y aura 200 personnes ici », dit Valentyna.


Malgré le tir de missile sur la station de lavage, les gens disent que c'est une « journée tranquille », la deuxième d'affilée. Les magasins sont ouverts, tout comme certains cafés. À 11 heures, des familles se promènent dans la rue. Les gens font leurs courses. Certains sont assis aux terrasses des cafés.

Sur le pont qui enjambe le Boug méridional au sud de la ville, du côté d'Odessa, une colonne d'épaisse fumée noire est visible, s'élevant au-delà des derricks du port de la ville.


Les jours calmes à Mykolaïv ne sont jamais vraiment calmes.


(Texte et photos Peter Beaumont, pour The Guardian)

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