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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Chili, à la croisée des chemins



Remaniement ministériel, difficile poursuite d’un processus de révision constitutionnelle, défaite de l’écologie, blocage de la réforme des retraites… Quelles leçons tirer de la victoire du "Rechazo" au référendum du 4 septembre dernier ?


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Chili : « Le rejet de la Constitution est une défaite pour l’écologie », titre ce mercredi 7 septembre Reporterre, le quotidien de l’écologie. Certes, comme l’écrit Isabelle Favre, membre du comité de rédaction des humanités : « Dans la nouvelle Constitution, un chapitre entier était consacré à "Nature et milieux ambiants". Il était dit "L'Etat protégera la médiance écologique et sociale de la terre". L'Etat contrôlait les projets miniers contre l'extractivisme débridé. La Constitution reconnaissait l'existence des différents "peuples et nations indigènes" dont le mode de vie est intrinsèquement écologique. »

Donc, oui, incontestablement, le rejet de la Constitution est une défaite pour l’écologie. Mais l’analyse que propose dans Reporterre Cécile Faliès, géographe, maîtresse de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste du Chili, est pour le moins lacunaire et surprenante. Lacunaire : il n’y a pas une once de considérations politiques dans les explications de cette universitaire. Surprenante : Cécile Falliès se permet d’imputer les difficultés économiques chiliennes (bien réelles) à la guerre en Ukraine ! : « Il y a deux graves crises au Chili en ce moment : une crise environnementale, certes, mais surtout une crise inflationniste, dans le contexte de la guerre en Ukraine. La vie quotidienne est très compliquée, particulièrement pour les urbains et les périurbains. Un grand nombre d’entre eux utilisent la voiture comme moyen de transport individuel. Leur travail est parfois très loin de leur domicile, et le carburant est très cher. Beaucoup n’arrivent plus à faire le plein. » Apparemment, Cécile Falliès n’a jamais entendu parler du COVID et de la crise pandémique qui, au Chili comme dans d’autres pays d’Amérique latine, a fragilisé l’économie bien plus sûrement que la guerre en Ukraine…

A Santiago, répression d'une manifestation étudiante, le 6 septembre 2022


Passons, et revenons sur le terrain du politique. La journée d’hier, à Santiago, a montré une certaine fébrilité. Alors qu’une manifestation d’étudiants, au centre de la capitale chilienne, était vigoureusement réprimée par les carabineros, le remaniement ministériel consécutif au référendum constitutionnel, annoncé par le président de Gabriel Boric, a été retardé de près de 2 heures. Raison du pataquès : l’annonce de la nomination au ministère de l’Intérieur d’un communiste, Nicolás Cataldo professeur d'histoire et de sciences sociales, qui a déclenché l’ire de la droite et de l’extrême droite. Nicolás Cataldo, "coupable" d’avoir commis, dans sa jeunesse de syndicaliste étudiant, quelques tweets vengeurs envers la répression des carabineros (déjà), a été promptement retiré du futur gouvernement.


A gauche : Carolina Tohá, nouvelle ministre de l'Intérieur. A droite : Ana Lya Uriarte, nouvelle directrice de cabinet de Gabriel Boric


Comme prévu, deux des plus proches de Gabriel Boric ont également dû quitter leurs fonctions. A l’Intérieur, Izkia Siches (qui fut l’énergique directrice de campagne présidentielle) a cédé la place à une social-démocrate, Carolina Tohá, ancienne ministre et ancienne maire de Santiago, qui avait fait campagne pour le rechazo (rejet) du projet de Constitution. Et le chef de cabinet de Boric, l’emblématique Giorgio Jackson, bête noire de la droite et de l’extrême-droite, a été remplacé par la socialiste Ana Lya Uriarte, qui avait déjà occupé cette fonction en 2008-2010, sous le mandat de Michelle Bachelet.

La nomination de ces personnalités de gauche « modérée » suffira-t-elle à tempérer les ardeurs de la droite et de l’extrême droite, requinquées par le résultat du référendum constitutionnel ?


A lire sur les humanités : « Chili, les raisons d’un échec »


Rien n’est moins sûr. Ajoutant à la fébrilité d’hier, la coalition de droite Chile Vamos (de l’ancien président Sebastián Piñera) a d’abord annoncé son refus de participer à une réunion pour envisager un nouveau processus constitutionnel, avant de se raviser quelques heures plus tard et de finalement prendre part à cette réunion, non sans poser ses conditions. Pour Chile Vamos, la priorité du gouvernement doit être" les vrais problèmes des Chiliens", à savoir l’insécurité et la criminalité. Même son de cloche de l’Union démocrate indépendante, parti conservateur fondé par les néo-fascistes du mouvement grémialiste : « Le président doit accorder toute son attention au travail des forces de l'ordre et de la sécurité, nous avons passé cinq mois au cours desquels la seule préoccupation était le débat constitutionnel et les véritables douleurs du peuple chilien ont été laissées de côté », a déclaré son leader, Javier Macaya (habitué à la diffusion de fake news). Luis Moreno, le président du Parti des Gens (formation populiste apparue lors de la dernière campagne présidentielle), entonne la même antienne : « Il faut mettre l'accent sur des situations telles que La Araucanía [où la question Mapuche est très présente – NdR], la drogue, la criminalité et d'autres problèmes ; il faut aller petit à petit et ne pas bousculer le système. »

« Ne pas bousculer le système » : en clair, retoucher la Constitution Pinochet, mais toucher le moins possible à ses fondements ultra-libéraux. D’ores et déjà, la réforme fiscale et la réforme des retraites, deux des engagements majeurs de Gabriel Boric, que le ministre des Finances Mario Marcel devait présenter à l’issue du référendum constitutionnel, sont reportées sine die.


Autour de Gabriel Boric, réunion de crise à la Moneda, le 6 septembre 2022,

après la victoire du Rechazo au référendum constitutionnel. Photo DR.


Cette situation ne doit hélas pas surprendre. Si l’élection de Gabriel Boris, en décembre dernier, avait de quoi réjouir, tout comme l’élection et les travaux de l’Assemblée constituante, il faut rappeler que la soif de changement repose sur une très fragile majorité. Gabriel Boric, qui ne dispose pas de majorité parlementaire, a certes élu avec près de 56% des voix au second tour, face au candidat d’extrême-droite José Antonio Kast, qui avait quand même obtenu 44 % des voix, et qui était arrivé en tête du premier tour avec près de 28% des voix. Et un candidat populiste, Franco Parisi, surgi de nulle part (poursuivi pour fraude fiscale, il avait fait campagne depuis les États-Unis où il s’est exilé, sur les réseaux sociaux), avait obtenu 13 % des voix. Enfin, comme déjà dit, le taux de participation à l’élection présidentielle n’avait été que de 47,33 % au premier tour et de 55,64 % au second tour.

Au second tour de l’élection présidentielle, Gabriel Boric avait réuni 4,6 millions de suffrages. Lors du référendum constitutionnel, l’Apruebo (le Oui) a obtenu 4,8 millions de voix. L’électorat de Boric est donc en légère augmentation. Mais la différence vient du mode de scrutin, rendu obligatoire pour le référendum sur la Constitution. Plus de 3 millions de Chiliens, traditionnellement abstentionnistes, ont fait massivement pencher la balance du vote constitutionnel en faveur du Rechazo.

Paradoxe. Comme l’analyse Cristián Valdivieso, expert électoral reconnu et directeur de l’institut Criteria, ce sont les couches sociales les plus défavorisées, celles-là même qui devraient le plus bénéficier des réformes promises par Boric et que seul un changement de Constitution peur permettre, qui ont voté pour son rejet ! Cette « majorité silencieuse » a été particulièrement touchée par l’épouvantail de la « sécurité » brandi par la droite et l’extrême droite.

Il y a plus encore. On pourrait imaginer que dans une province comme celle de Petorca (un peu plus de 80 000 habitants, dans la région de Valparaíso), qui fait parler d’elle depuis trois ans du fait d’une sècheresse tenace et de graves problèmes de pénuries d'eau, le volet écologique du projet de Constitution, et notamment ce qui concerne la gestion de l’eau, ait pu séduire. Or, c’est l’exact contraire qui s’est produit. Les cinq communes qui composent cette province ont massivement voté en faveur du Rechazo. Ici comme ailleurs, en milieu rural, le thème de l’insécurité a payé. Selon le maire de Petorca, Ignacio Villalobos, l’incessante diffusion de faits divers à la télévision où dans la presse populaire -des faits divers parfois inventés- « provoquent un certain degré d'insécurité et de peur chez des gens qui n'ont aucune culture politique, et aucune éducation civique ». De plus, ajoute-t-il, le projet de Constitution a été « diabolisé » par ces mêmes médias qui, à grand renfort de publicité, ont propagé toutes sortes de fake news prétendant que la future Constitution allait effacer l’identité rurale en interdisant par exemple « la possibilité de continuer à semer les graines du huaso, de la cueca ou du rodéo, qui sont des éléments fondamentaux de notre identité ». La diffusion de toutes ces fake news, ajoute-t-il, a augmenté la peur que le Chili ne se transforme en un nouveau Cuba ou un nouveau Venezuela : l’épouvantail suprême… « La grande quantité de fausses nouvelles a provoqué la peur chez les citoyens. Lorsque vous touchez au sentiment d'appartenance d'un peuple, à notre identité rurale, les gens deviennent craintifs ».

L’expérience chilienne devrait servir de leçon, bien au-delà du Chili, mais qui a la réponse ? Comment les démocraties, comment le désir de transformation politique, économique, sociale, écologique, peut-il contrecarrer l’instrumentalisation d’un « sentiment d’insécurité » et la propagation de fake news destinées à créer la peur, et dont la production est désormais industrielle.


Jean-Marc Adolphe


Photo en tête d'article : à Santiago, lors d'une manifestation en faveur du Rechazo. Photo DR


PS – Je me permets de répondre ici à certains détracteurs, sur Facebook. Si le Rechazo a triomphé au Chili, c’est que « le peuple chilien refuse l'extrémisme. Il avait voté pour remplacer la constitution de Pinochet par une autre plus démocratique, pas pour une concoctée par des militants radicaux : pas besoin de convoquer le fantôme de l'extrême droite ! » Ou encore : « La proposition de nouvelle Constitution au Chili était unilatérale, la vision d'un pôle (la gauche) ignorant, méprisant, écrasant la vision de l'autre pôle. La vision de la gauche chilienne de faire un saut épique pour construire un avenir radieux. Ce n'est PAS la façon de faire une constitution. Pour rédiger une constitution, il faut que tous les pôles s'assoient et recherchent un consensus, paragraphe par paragraphe. »

Je suis assez épaté que de tels donneurs de leçons puissent dire au peuple chilien comment doit être rédigée une constitution ! Une constitution concoctée par « des militants radicaux » ? Rappeler, si besoin est, que les 155 membres de l’Assemblée constituante qui a rédigé le projet de constitution pendant plus d’un an ont été démocratiquement élus. Enfin et surtout : « refuser l’extrémisme ». Quel extrémisme ? Celui d’un droit à la santé, d’un droit à l’éducation, d’un droit à un système publique et équitable de traites ? Celui d’un droit de l’environnement qui, notamment, fasse de l’eau un bien commun ? Je ne saurais que trop recommander à ces détracteurs, qui vivent confortablement dans des pays européens où de tels droits existent, de demander au plus vite l’asile politique dans un pays où ne règnerait pas un tel extrémisme radical !



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