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Charles Fréger, totale mascarade.

Photo du rédacteur: La rédactionLa rédaction

Charles Fréger, Spy boy Doe, Mardi gras indians, 2014-2018


A la Fondation du doute, à Blois, dans le cadre de l'exposition "Mascara.des", Charles Fréger expose jusqu'au 25 mai des photographies de sa magnifique série Cimarron, où s’entremêlent les cultures africaines, indigènes et coloniales, prises dans le vertige d’un mouvement syncrétique pluriséculaire.


Cimarron - Le terme revêtu par la série désigne initialement dans le monde colonial hispanique l’esclave fugitif puis donne naissance au terme de « marron », évoquant dans l’après 1848, date de l’abolition de l’esclavage, la

figure héroïque de l’homme résistant à l’oppression. Derrière la multitude de traditions masquées présentées, se meuvent les fantômes d’hommes et de femmes aspirant à la liberté.


Cette série est le troisième volet d’un travail photographique entamé en 2010 par Charles Fréger et consacré aux

mascarades. Cimarron (2014-2018) s’ancre dans les territoires des Amériques. Dans un espace géographique s’étendant du sud des États-Unis au Brésil et comprenant quatorze pays, Charles Fréger dresse cette fois un inventaire, non exhaustif, de mascarades pratiquées principalement par les descendants d’esclaves africains, célébrant la mémoire de leurs pairs et leurs cultures singulières. Au sein de ces mascarades dans lesquelles, entre masque, maquillage, costume, parures et accessoires, s’entremêlent les cultures africaines, indigènes et coloniales, prises dans le vertige d’un mouvement syncrétique pluriséculaire.

La mascarade est plus que jamais ici territoire de mise en regard d’une communauté par une autre, espace où l’on rejoue, où l’on réinvente le rapport à l’oppresseur soit pour le mimer, soit pour l’inverser, toujours pour le subvertir. Extraites à dessein du tumulte du carnaval ou festival auxquels elles appartiennent, les figures incarnées par les mascarades prennent place, monumentales et hiératiques, dans un environnement choisi par le photographe pour ses qualités picturales. Il porte son attention sur la verve esthétique qu’expriment ces silhouettes comme sur celle que recèle l’environnement urbain ou rural.


Couleurs et matières entrent en résonance avec celles revêtues par la silhouette, amplifiant tel un décor de scène l’outrance, la beauté, l’altérité, l’animalité incarnées par la mascarade. Charles Fréger déplace les silhouettes comme pour mieux faire entendre la voix singulière de ces corps théâtraux rejouant chacun avec son langage les actes d’une histoire faite de domination, de souffrance et de résistance. Sur la route de Cimarron, dont l’étendue ne dit que partiellement celle de la pratique de l’esclavage, se déploient les formes d’un contre-pouvoir que la mascarade, loin de dissimuler, vient libérer.


Charles Fréger - Le photographe français Charles Fréger (Bourges, 1975) a élaboré en quelque vingt années une œuvre dense et singulière, à l’ambition quasi-encyclopédique. L’important corpus de photographies constitué depuis 1999 par Charles Fréger témoigne de son insatiable recherche : aller vers des communautés tantôt sportives, militaires, festives ou scolaires, envisager les individus qui la composent, déceler les liens, les rituels et les formes qui les unissent. Dans chacun de ces cercles, Charles Fréger s’intéresse au corps et au vêtement en tant que territoires ambivalents. Là, alors, se trouve l’image qu’il recherche.


Longtemps rassemblée sous le titre générique de « Portraits photographiques et uniformes », l’œuvre s’est dans un premier temps révélée héritière d’une certaine tradition nordique. Augmentée de performances et de vidéos, elle a évolué, pour finalement atteindre une dimension foncièrement théâtrale. Prenant ses distances avec le portrait tel qu’il le pratiquait jusqu’alors : après l’uniforme, liant à la communauté, il s’oriente vers le costume vecteur d’incarnations d’un devenir-animal, végétal.


Depuis 2010, il a ainsi consacré quatre ouvrages aux mascarades : Wilder Mann, dédié au continent européen (2010-), Yokainoshima (2013- 2015), localisé sur l’archipel nippon, Cimarron (2014-2018) ancré dans les territoires des Amériques et enfin Aam Aastha (2019-2022), en Inde. Parallèlement, depuis 2015, il explore une autre voie, par le biais d’une photographie traitée en silhouette. Ce sont alors les figures d’une culture visuelle

commune qu’il prend pour sujet. Parmi elles, Jeanne d’Arc et son épopée. Essentialisant la figure à ses contours, le sujet devenait l’image et sa fortune historique : non plus la figure de Jeanne mais ses représentations, ses « usages ». Le travail est nourri de recherches iconographiques brassant volontairement l’érudit et le populaire, mêlant le médiéval et le XXIe siècle.


L’exposition réunit le travail de six artistes qui, chacun·e à leur manière, se saisissent de la mise en scène et de la métamorphose de soi pour introduire une forme de « trouble » dans la notion même d’identité.

Partons d’un constat : rarement la quête identitaire n’a autant pris la forme de l’authenticité pour dessiner, toujours plus étroitement, des personnes engoncées dans leur for intérieur. « Sois toi-même » et « Viens comme tu es » sont désormais les cris de guerre sucrés-salés d’un impératif tyrannique fondé sur l’utopie de la transparence : dévoiler, sans fard et sans filtre, qui nous serions vraiment. « Bas les masques ! », chuchotent mielleusement et en chœur les tyrans de la Vérité.

Charles Fréger, Clown, Fort James, Antigua Island, Antigua-et-Barbuda


Mascarades. L’exposition prend le parti inverse en faisant sienne une hypothèse : le monde serait une scène sur laquelle chacun·e d’entre nous ne cesse d’interpréter des rôles – inconsciemment souvent. Nouvelle perspective : peut-être ne sommes-nous rien d’autre qu’un amalgame informe et monstrueux de nos propres personnages. Qui, dans ce cas, pourrait bien prétendre se révéler sans masque, à soi et aux autres, sinon l’hypocrite qui prétend se connaître intimement ? Et qui pourrait bien l’exiger, sinon les inquisiteurs qui nous intimaient hier de nous présenter nus devant Dieu, devant la Nature ou tout autre de leurs ersatz ?


Mais si la vie n’est rien d’autre qu’une immense mascarade, alors s’ouvre à nous un nouvel horizon, particulièrement exaltant et libérateur : contre les avatars de la quête intérieure et autre introversion monacale, l’art du masque s’affirme comme un bricolage conscient, extraverti et joyeux de personnages, propre à mettre en crise l’existence d’un Sujet en soi comme de toute autre Vérité immuable et authentique.

Ces pratiques-là ne s’envisagent dès lors plus sous l’angle de la simple inversion carnavalesque – temporaire et donc rassurante – de valeurs ou de lois éternelles, mais comme une tentative de subversion de l’Ordre établi, ce grand bal costumé peuplé de rois nus et amnésiques.

Charles Fréger, Lechones, Santiago de los Caballeros, République dominicaine


 

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