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« Ce n’est pas la mort du journalisme »

Photo du rédacteur: Jean-Marc AdolpheJean-Marc Adolphe


 UNE SÉRIE SUR L'IA / 07  Si l’IA peut faciliter ou accomplir certaines tâches dans le traitement des informations, le rôle des journalistes reste essentiel pour documenter le réel, avec articles et photographies. Rencontres avec Patrick Guerrier, de la Dépêche du Midi, et Thierry Meneau, responsable de la photo aux Échos.


Pour les journalistes, l’IA représente-t-elle une aide ou un danger ? Cela n’est pas propre à la presse ; quels que soient les secteurs d’activité, beaucoup se posent la même question. Interrogé par les élèves du collège René Cassin lors d’une journée de rencontres et d’interviews à la Médiathèque de Castres, Patrick Guerrier, journaliste à la Dépêche du Midi, confie :


« Je ne suis pas contre l'IA, tout dépend de l'encadrement que l'on va en faire. Sur un sujet scientifique, par exemple, l’IA peut aider à aller chercher l'essentiel pour faciliter la tâche. Cela peut aussi concerner le traitement des dépêches des agences de presse, comme l’AFP (Agence France Presse). Ce sont des informations factuelles dont se servent les journaux au quotidien. Des journalistes reprennent ces dépêches pour les trier, les améliorer, parfois rajouter des éléments. On appelle ça "faire du bâtonnage". Passer 8 h devant un ordinateur à regarder toutes les dépêches de l'AFP, ce n’est pas ce qui est le plus intéressant dans le métier. C’est quelque chose que l’IA pourrait très bien faire, mais il faudra toujours des journalistes pour relire, vérifier…

"La volonté des patrons de presse c'est plutôt de supprimer des postes de journalistes que d'en rajouter. L'IA peut donc les intéresser..."

De toute façon, on va être obligé d'utiliser l’IA. Mais est-ce que ça restera un outil au service du journalisme ou est-ce qu’il s’agit de remplacer les journalistes ? Il ne faut pas se voiler la face : économiquement, le secteur de la presse et des médias d'information est en difficulté, avec des chiffres d'affaires en baisse depuis 30 ans. La volonté des patrons de presse c'est plutôt de supprimer des postes de journalistes que d'en rajouter. L'IA peut donc les intéresser...


Notre souhait, c’est que les journalistes qui seraient libérés de certaines tâches puissent aller davantage sur le terrain, pour revenir à l’essence de notre métier. Les interviews, les témoignages, les reportages, aller voir sur place ce qui se passe, interroger les gens…, tout ça ne pourra jamais être confié à des outils d’intelligence artificielle. Le travail de terrain, il faudra bien que quelqu'un le réalise ! L’IA, ce n’est donc pas la mort du journalisme. 


Pour l'instant, il y a peu de journaux qui utilisent véritablement l’IA. Récemment, on s'est amusé à demander un article à ChatGPT. Le constat, c’est qu’il n’y a dans un article "écrit" par ChatGPT aucune sensibilité, très peu de nuances et beaucoup d’erreurs. Je discutais récemment avec un journaliste qui avait traité un accident de la route. Il avait écrit : "Heureusement, il n'y a eu que trois blessés". Dans une version qu’il avait soumise à ChatGPT, pour voir, ça donnait : "on se félicite d’avoir trois blessés ! Ce n’est pas vraiment la même chose…

En tout cas, si je fais un papier avec l'aide de l'intelligence artificielle, le lecteur doit le savoir. Le journaliste doit respecter des règles de déontologie. Les organisations syndicales sont à l’origine d’une charte des bonnes pratiques par rapport à l'intelligence artificielle. Mais est-ce qu’on fera le poids par rapport à Google, qui envisage que son moteur de recherche ne renvoie plus sur des liens (de journaux, notamment), mais propose directement un texte, avec l’IA ? »

 

Certains ne s’embarrassent pas de telles règles de déontologie. Comme l’indique Thierry Meneau, journaliste aux Échos, « un groupe de presse, Reworld Media, a racheté beaucoup de journaux, notamment Sciences et Vie, et a vidé les salles de rédaction de leurs journalistes pour mettre des créateurs de contenus qui sont prêts à tout pour générer du contenu, donc du flux et de l'audience, et qui dit audience dit publicité. »

 

Aux Échos, quotidien spécialisé dans l’économie, Thierry Meneau est responsable du service photo. C’est donc, logiquement, sur le traitement des images que l’interrogent les élèves du collège René Cassin :

« Je m'occupe d'un service de sept personnes qui choisissent les photos qui illustrent tous les articles qui paraissent dans le journal et sur le site web. Aux Échos, comme dans tous les grands journaux, il y a une charte qui précise qu'on n'utilisera pas d'IA pour créer des photos ou des textes. Par principe, ce qu'on montre, c'est du photojournalisme, ce sont donc des choses qui sont arrivées dans la vraie vie et qui sont réelles. C’est le contrat que nous avons avec le lecteur. Cela exclut donc totalement de fausses images, sauf exceptionnellement pour illustrer des concepts économiques. Et si c'est une image générée par une IA, cela doit inscrit dans la légende. »

 

Aux collégiens qui se demandent toutefois comment pouvoir différencier une photographie réelle d’une image générée par l’IA, Thierry Meneau conseille « d’être attentif à l'information, de garder un esprit critique par rapport à ce qu'on vous montre. La photographie, historiquement, c'est une preuve, parce qu'on ne remet pas par principe en cause une image et ce qu'elle représente. Si une image si elle est fausse, évidemment elle vous trompe. Si vous voyez une photo qui montre un fait incroyable, il faut prendre un peu de recul et se demander si c'est possible dans la vraie vie. Il faut aussi se demander quel support circule cette image ? Si c'est sur un journal français ou étranger, fait par des professionnels de l'information, il est probable que les images ne soient pas fausses. En revanche, par exemple, si c'est sur X (ex-Twitter), sur le compte de quelqu'un qui n'est pas journaliste ou qui n’est pas réputé pour la qualité de ses informations, il faut se méfier. »


Propos recueillis et retenus par les élèves de 3e1 du collège René Cassin (Vielmur-sur-Agout) le 8 mars 2024 à la médiathèque de Castres-Sidobre.



Jean-Marc ADOLPHE, rédacteur en chef des humanités, et la photographe Louise ALLAVOINE ont été les deux invités de la 6ème résidence journalistique FLUX, portée par l'association Média-Tarn (sous la responsabilité de Myriam BOTTO) qui s’est déroulée d’octobre 2023 à octobre 2024 sur le territoire tarnais, entre Albi, Vielmur-sur-Agout, Castres, Graulhet et Gaillac.


Une centaine de collégiens ont été parties prenantes, dans ce cadre, d’une enquête participative visant à questionner les enjeux et les limites des outils de l’intelligence artificielle : une classe de 3e du collège René Cassin à Vielmur-sur-Agout, une autre du collège Honoré de Balzac à Albi et une classe de 4e du collège Jean Jaurès à Albi. Ont aussi été impliqués dans l’ouvrage leurs enseignants bien sûr mais aussi des enfants et adolescents accueillis au sein d’un ALAE (Amicale laïque à Graulhet) et d’une MJC (Técou), des adultes fréquentant des lieux de culture, de partage et de convivialité du territoire comme des médiathèques (Castres, Gaillac, Graulhet), un Tiers-Lieu (M à Graulhet), un Fablab (Association ACNE, Albi), des cinémas (Cinéma Arcé à Albi, cinéma Vertigo à Graulhet) …



De ce processus au long court, sont nés deux objets :


MIROIR AUX ALGORITHMES, une série de 21 photographies : avec Louise ALLAVOINE à la prise de vue, la centaine de collégiens impliquée dans l’enquête a cheminé dans un processus de mise en scène photographique, pensé en écho aux interviews réalisées avec l’accompagnement du journaliste Jean-Marc Adolphe. Regarder en face le procédé logique et automatisé qu’est l’intelligence artificielle pour le mettre en réflexion, le faire rimer avec humanité, le contextualiser et en nuancer la portée, tels ont été les fils à tisser de la série MIROIR AUX ALGORITHMES.


la REVUE FLUX 23-24, un magazine de 64 pages qui donne à lire une diversité de points de vue et de sujets ayant trait à la façon dont les intelligences artificielles s’expriment dans nos quotidiens. La rédaction des articles qui y sont compilés a été confiée à Jean-Marc Adolphe. Ce dernier a engagé le travail rédactionnel à l’issue d’une étape préparatoire qu’il a menée en classe avec les collégiens impliqués. Cette étape a consisté en un travail de dérushage et de hiérarchisation des informations recueillies au cours des entretiens organisés par Média-Tarn et conduits par les élèves. La revue comporte également un portfolio permettant de découvrir l’intégralité de la série MIROIR AUX ALGORITHMES.


Pour télécharger en PDF la revue FLUX (64 pages), ci-dessous :



Et pour clôturer la résidence, Jean-Marc ADOLPHE a livré cinq chroniques issues des réflexions construites autour des intelligences artificielles au cours de son séjour dans le Tarn, enregistrées et diffusées du lundi 14 au vendredi 18 octobre par Radio Albigés.


  • La résidence journalistique FLUX a été possible grâce à l’implication de nombreux acteurs sur le territoire et de celles de professionnels, chercheurs, experts, concernés de très près par les intelligences artificielles ou non.

    L’action a bénéficié du soutien du Conseil départemental du Tarn et de la DRAC Occitanie dans le cadre de son appel à projet Éducation aux médias et à l’Information.


 

Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Uniquement composé avec l'intelligence humaine. Pour soutenir, dons (défiscalisables) ou abonnements ICI


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