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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

C’est la faute à Le Maire, et aux 19 lâches de la République

Dernière mise à jour : 4 juil.


Bruno Le Maire à Paris, le 26 janvier 2024. Photo Thomas Samson / AFP


ÉDITORIAL Ministre de l’Économie et des Finances depuis sept ans, Bruno Le Maire a été, à l’issue du premier tour des élections législatives, l’instigateur du "ni-ni", valant de fait consentement à l’extrême droite. Parmi les 41 candidats macronistes qui ont suivi sa consigne, ils s’en trouvent 19 qui, en se maintenant au second tour dans des circonscriptions cruciales, risquent d’offrir au Rassemblement national une majorité absolue à l'Assemblée nationale.


Bruno Le Maire se targue d’un amour immodéré pour la littérature, surtout pour Marcel Proust (en 1991, il a soutenu une maîtrise de lettres à l'université Paris-IV avec un mémoire intitulé "La statuaire dans À la recherche du temps perdu") et aussi pour Balzac, qui fut selon lui « le premier à montrer aussi crûment l'arrière-cour des grands destins ». Dans un entretien pour Le Point, en janvier 2018, à la question "Quel est le classique que vous avez honte de ne pas avoir lu ?", il répondait tout de go : Les Misérables. Zola non plus, c’est pas trop sa tasse de thé.

Normal : Bruno Le Maire est un type qui n’a jamais manqué de rien. Né en 1959 à Neuilly-sur-Seine, d’un papa devenu secrétaire général du groupe Total, et d’une maman issue d’une famille d'ancienne bourgeoisie du Poitou, il s’est lui-même marié en 1988 à Pauline Doussau de Bazignan, héritière d’une lignée de la bourgeoisie landaise. Passons sur les romans érotiques que cette chère Pauline lui aurait inspirés…


Bruno Le Maire a une sœur, aujourd’hui directrice exécutive du groupe d’édition Bayard (premier groupe de presse catholique, qui a annoncé en mars dernier une perte record de 7,5 millions d’euros. Sibylle Le Maire a créé, au sein des éditions Bayard, le collectif ViveS, « porté par la conviction profonde que les véritables progrès pour les femmes passeront par l’accroissement de leur expertise économique et financière »), et quatre frères, qui travaillent tous dans la finance.


Franchement, au sein de cette famille B.C.I.F. (Bien Comme Il Faut), Bruno Le Maire a réussi un parcours sans faute. Après avoir obtenu son bac au lycée (privé) Saint-Louis-de-Gonzague dans le 16e arrondissement de Paris (les frais d’inscription sont aujourd’hui de 2.638 € par an au collège, 2.986 € au lycée, 3.078 € en classe prépa ; l’enseignement des langues vivantes est facturé en plus), il a brillamment enchaîné l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, l'Institut d'études politiques de Paris, et enfin l'ENA, d'où il est sorti classé 20e en 1998, à 29 ans. Inutile de préciser qu'il n'a pas eu trop besoin d'avoir recours aux jobs d'été pour payer ses longues études. Après l'ENA, il entre au ministère des Affaires étrangères (Direction des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement) avant de rejoindre l'équipe du secrétaire général de la présidence de la République de Jacques Chirac, Dominique de Villepin, qu’il suit en tant que conseiller au ministère des Affaires étrangères en 2002, puis au ministère de l'Intérieur en 2004 et enfin à Matignon en mai 2005, dont il devient en 2006 le directeur de cabinet. C’est à ce poste qu’il suit de près le dossier de la privatisation des autoroutes (au mépris d’un rapport de l'Inspection générale des finances, comme l’a révélé Le Canard enchaîné en janvier 2023). Des années plus tard, en 2019, en tant que ministre de l'Économie, il fera l’ardente promotion de la privatisation d'Aéroports de Paris… dont le P-D.G. n’est autre que son beau-frère, Augustin de Romanet.


Après avoir échoué à la primaire de la droite et du centre (2,4 % des voix) en novembre 2016, il soutient toutefois la campagne de François Fillon, et déclare à cette époque qu’Emmanuel Macron est un « homme sans projet » qui porte « une idéologie qui a planté la France ». Ce qui ne l’empêche nullement, sitôt acquise la victoire d’Emmanuel Macron le 7 mai 2017, de rejoindre le camp de la majorité présidentielle. Il en sera récompensé dix jours plus tard en étant nommé ministre de l'Économie et des Finances, portefeuille dont il n’a cessé d’être le dépositaire jusqu’à aujourd’hui, malgré les changements successifs de Premier ministre.


Sous son règne à Bercy, entouré de membres de cabinet qui viennent pour la plupart des milieux de la banque privée, « la finance a procédé à une véritable colonisation de l'État », écrivait Laurent Mauduit (1). Et en 2022-2023, dans l’intention de présenter sa candidature à la tête du FMI, Bruno Le Maire s’était assuré de précieux soutiens, dont celui de Steven Mnuchin, ancien cadre de la banque Goldman Sachs, qui préside aujourd’hui un fonds spéculatif après avoir été secrétaire au Trésor de… Donald Trump.


Grand argentier des finances publiques, à Bercy depuis sept ans, Bruno Le Maire a supprimé en 2023 la taxe sur les "super-dividendes", pourtant votée à l'Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi de finances. Bien sûr, il n’y a aucun rapport avec l’ampleur du méga-dérapage du déficit public révélé en mars dernier (avec un écart de 65 milliards d’euros entre les prévisions et le déficit attendu en 2025, un fossé inédit depuis 25 ans) ; une « gestion défaillante » étrillée par la Cour des comptes (lire ICI) ; déficit repéré à Bercy dès l’automne 2023, mais sur lequel Bruno Le Maire a bêtement "oublié" de prévenir les parlementaires…


C’est ce même Bruno Le Maire, protégé depuis sept ans par Emmanuel Macron, qui se dit « circonspect » sur la suspension de la réforme de l’assurance-chômage annoncée par Gabriel Attal et qui, surtout, vient aujourd’hui chipoter sur le "désistement républicain" pour faire barrage à l’extrême droite et emprunte les éléments de langage du RN en agitant le chiffon rouge du seul Jean-Luc Mélenchon… Ce "ni-ni" revient in fine à dire : plutôt l’extrême droite. Bruno Le Maire a implicitement choisi son camp : celui des collabos.


Les triangulaires des Bermudes


A quatre jours du second tour des élections législatives, le sort reste bien incertain. 76 députés ont été élus au premier tour (39 RN, 31 Nouveau Front Populaire, 2 Ensemble, 1 LR, 3 Divers). Il reste encore en jeu 501 circonscriptions. Dans 190 de ces circonscriptions, se joueront des duels : le RN est présent dans 142 de ces cas.


Quelques-uns des 19 candidats macronistes qui, en se maintenant au second tour, risquent d'offrir au Rassemblement national

une majorité absolue à l'Assemblée nationale. De gauche à droite, en haut : Nadia Hai, Graig Monetti, Thomas Mesnier ;

et en bas : Séverine Saint-Pé, Hubert de Jenlis, et Anne-Laurence Petel.


306 circonscriptions devaient faire l’objet de triangulaires. 221 désistements ont été enregistrés hier soir, dont 132 provenant de la gauche et 83 du camp présidentiel et du centre. Il reste donc 85 triangulaires. 41 candidats macronistes, non arrivés en tête ou en seconde position derrière le RN ont refusé de se désister. Dans ce lot, on trouve quelques figures emblématiques comme Olivier Véran (Isère) et d’autres moins connues, qui estiment sans doute qu’avec moins de 20% au premier tour, le RN a peu de chances de l’emporter. Mais on trouve aussi, dans les Yvelines, la banquière Nadia Hai, dont le maintien au second tour (avec une candidate RN à 25,79 % qui a une réserve de voix à droite et à Reconquête) ne semble avoir d’autre objet que de punir l’ex-ministre Aurélien Rousseau, qui avait démissionné du gouvernement en désaccord avec la Loi immigration, et qui est investi par le Nouveau Front populaire. Et il reste de toute façon 18 circonscriptions où la victoire du RN est possible voire probable, et où des candidats de l’ex-majorité présidentielle ont décidé de se maintenir. Dans une élection qui risque de se jouer au cordeau, ces seize là pourraient permettre au RN d’atteindre la majorité absolue. Il s’agit de Graig Monetti (Horizons) dans les Alpes-Maritimes (face à Éric Ciotti), Anne-Laurence Petel (Renaissance) dans les Bouches-du-Rhône (Pays d’Aix), Thomas Mesnier (Horizons) en Charente, Didier Martin (Renaissance) en Côte d’Or, Sandrine Le Feur (Renaissance) dans le Finistère, Florian Delrieu (Renaissance) en Haute-Garonne, Eric Poulliat (Renaissance) en Gironde, Charlotte Faillé (Horizons) en Ille-et-Vilaine, Huguette Tiengna (Renaissance) dans le Lot, Hervé Prononce (Horizons) dans le Puy-de-Dôme, Christian Devèze (Modem) dans les Pyrénées-Atlantiques), Cyrille Isaac-Sibille (Modem) dans le Rhône, Aude Luquet (Modem) et Hadrien Ghomi (Renaissance) en Seine-et-Marne, Hubert de Jenlis (Renaissance) dans la Somme, Séverine Saint-Pé (divers droite) dans la Vienne, Isabelle Négrier (divers centre) en Haute-Vienne, Maud Petit (Modem) dans le Val-de-Marne, Emilie Chandler (Renaissance) dans le Val d’Oise.


Encore faudra-t-il, dans les cas où ont été actés les désistements de candidats de la majorité présidentielle, que leurs électeurs suivent la "consigne". Certes, l’enjeu semblait moins crucial, mais au second tour des élections législatives de 2022, dans le cas d’un duel RN-Nupes, 48% des électeurs s’étaient abstenus, 34 % avaient voté Nupes et 18 % pour le RN. Lorsque le duel opposait le RN à un candidat de la majorité présidentielle, les électeurs de gauche s’étaient abstenus à 45 %, et avaient voté pour le ou la candidate Ensemble à 31 %, et pour le ou la candidate RN à 24 %...


Comme le dit la philosophe Myriam Revault d’Allones (2) dans Libération de ce jour, « l’inconsistance du macronisme (recouverte par un discours managérial hors-sol) a mené à la perte des repères politiques ». Le score de l'extrême droite au premier tour des élections législatives « signe la réussite d'une stratégie de banalisation à laquelle a indirectement contribué le pouvoir macroniste par l'utilisation réitérée du vocabulaire de l'extrême droite : "ensauvagement", "décivilisation", "droits-de-l'hommisme" »…  Et aujourd'hui, « l'absence de clarté sur les appels au barrage républicain est la suite logique de l'inconsistance idéologique et politique du macronisme. Le "en même temps", le "ni droite-ni gauche", le "à la fois droite et gauche",  ont toujours été quoi qu'on en dise un facteur de dé-politisation et de dé-démocratisation de la société. Le caractère insaisissable du macronisme qui a fait l'objet de tant de commentaires et de supputations tient d'abord au fait qu'il n'a jamais été autre chose qu'une nébuleuse d'idées dont on mesure maintenant combien elles étaient étrangères au souci de la chose publique. Le macronisme n'a jamais fait droit au conflit et aux enjeux qui structurent les sociétés politiques et les démocraties : sous couvert d'"innovation" et d'"adaptation" permanente au monde tel qu'il va, il a obscurci et brouillé les choix que peuvent faire les citoyens. »


Dans le même numéro de Libération, on trouve un article d’Eve Szeftel sur ce qu’il est convenu d’appeler la « fracture territoriale », qui pointe assez bien certains des ressentiments périphériques qui nourrissent le vote RN et qui, bien qu’identifiés par de nombreux rapports, n’ont jamais été traités au fond par le système managérial de la "start-up nation", voire traités par le dédain (souvenons-nous de la petite phrase du branleur Benjamin Griveaux, alors secrétaire d’État à Bercy, qui ironisait sur les « gars qui fument des clopes et roulent en diesel »). A cette France-là, d’en-bas, un Bruno Le Maire ne peut rien comprendre, lui qui se plaignait de la faiblesse de rémunération des ministres : pour sa part, seulement 7.450 euros nets par mois avec, le pauvre, « quatre enfants à nourrir ».


Cet apôtre du "ni-ni" ne se retrouvera pourtant pas à la paille lorsqu’il devra quitter Bercy. Nul doute qu’une banque d’affaires ou un fonds d’investissement lui réserveront un nid encore mieux payer, et où il ne manquera pas de composer avec un gouvernement d’extrême droite qu’il aura contribué à porter au pouvoir, après avoir caviardé le budget de l'Etat. Lire Les Misérables ? Ça attendra encore…


Jean-Marc Adolphe

 

(1). Laurent Mauduit, La Caste : enquête sur cette haute fonction publique qui a pris le pouvoir, Pocket, coll. Docs/récits/essais, 2020.

(2). De Myriam Revault d'Allones, voir L’Esprit du macronisme, ou l’art de dévoyer les concepts, Seuil, 2021.


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