
UNE SÉRIE SUR L'IA / 03 Pour les collégiens d’Albi (Honoré de Balzac et Jean Jaurès) et de Vielmur-sur-Agout (René Cassin), amenés à enquêter sur les caractéristiques et les enjeux de l’IA, une question s’impose : l’intelligence artificielle et ses "réseaux de neurones" pourraient-ils concurrencer voire dépasser l’intelligence humaine ?
Qui sommes-nous, face à l’intelligence artificielle ? Depuis que cette "nouvelle technologie", déjà présente dans beaucoup d’applications que nous utilisons sans forcément nous en rendre compte, a conquis le grand public avec des outils comme ChatGPT, Midjourney et bien d’autres (comme le robot conversationnel sur le réseau social Snapchat), de nombreuses questions sont aujourd’hui encore sans réponse. Quel impact sur les métiers, sur le changement climatique, sur nos comportements et modes de vie ?
L’intelligence artificielle générative, capable de générer du texte, des images, des vidéos ou d'autres médias en réponse à des requêtes, concentre autant d’espoirs que d’inquiétudes. « L'IA générative questionne philosophiquement la nature de la conscience, de la créativité, et crée de nouvelles interactions homme-machine », indique Wikipédia. Lors de la résidence FLUX organisée par Média-Tarn en 2023-2024, beaucoup de sujets liés à l’intelligence artificielle ont été explorés par les multiples participants, jeunes ou moins jeunes, incités à "mener l’enquête" en compagnie d’un journaliste invité.
Trois classes de collèges se sont prêtées au jeu : deux classes de 3ème des collèges Honoré de Balzac à Albi et René Cassin à Vielmur-sur-Agout, et une classe de 4ème du collège Jean Jaurès à Albi (1). Il ne s’agissait pas de "faire la leçon" ; mais de partir des élèves eux-mêmes et de leurs interrogations. Ces questionnements, nourris par des apports documentaires (essentiellement des articles de presse), ont permis de dégager plusieurs thématiques qui ont orienté toute une série d’entretiens réalisés par les collégiens lors de trois journées entières, respectivement à l’École des Mines d’Albi, à la Médiathèque de Castres, et au Musée du Saut du Tarn et à la centrale hydro-électrique, à Saint-Juéry.
Beaucoup de thèmes abordés, donc, mais une question est souvent revenue, en filigrane ou expressément : l’intelligence artificielle pourrait-elle égaler, voire dépasser l’intelligence humaine ? Et d’abord, l’intelligence artificielle est-elle "intelligente" ? A-t-elle, comme l’être humain, un cerveau, puisqu’on parle de "réseau de neurones" ?
A l’École des Mines, plusieurs enseignants-chercheurs répondent aux collégiens de Balzac. « La différence entre le cerveau humain et le cerveau artificiel », explique ainsi Julien Denize, jeune doctorant, « c’est que les neurones humains sont extrêmement complexes. On est capables de raisonnement, on peut agencer plusieurs sources d'information. Par exemple, si vous sentez de la fumée et que vous commencez à avoir chaud, vous allez en déduire qu'il y a un feu à proximité. Une IA n’en sera pas forcément capable, il faut l’entraîner pour ça, lui apprendre des choses… Elle n'est pas capable de raisonner par elle-même. »
« A l'heure actuelle », confirme Aurélie Montarnal, « l'IA est uniquement capable de répliquer des calculs qu'on lui apprend. Le langage humain, et nos capacités de communication et d'expression, sont beaucoup plus vastes. » Guillaume Martin prend un exemple assez simple : « Contrôler des mouvements fins pour se déplacer dans un espace, pour nous, c’est naturel. Pour un robot, il faudrait des heures et des heures d’entraînement. Et notre cerveau s’adapte constamment à de nouvelles données, à de nouveaux contextes. Dans l’IA, une fois qu’on a fini d’entraîner son modèle, celui-ci n’évolue pas… En revanche, un réseau de neurones artificiels pourra réaliser certaines choses qu’on ne sait pas faire, en tout cas pas aussi rapidement. Par exemple, si je vous donne plus de 2.000 photos à examiner pour en dégager un point commun… bon courage ! Dans l’IA, quand le réseau de neurones apprend à faire le lien entre les questions et les réponses, ça crée une fonction mathématique. Pour la phase d’entraînement, en gros, on constitue un paquet de données que l’on soumet à l’IA. Nous, à côté, on a les bonnes réponses et on peut comparer. On incite au fur et à mesure le réseau de neurones à modifier ses fonctions pour affiner ses réponses et prendre de meilleures décisions. »
Pour ces enseignants-chercheurs, l’IA peut donc faciliter certaines tâches et être complémentaire de l’intelligence humaine, mais il n’y a guère de risques que ses "neurones artificiels" prennent la place de notre cerveau, ni qu’ils puissent se substituer à notre "intelligence émotionnelle". A condition, toutefois, que les humains n’oublient pas leurs propres capacités à réfléchir, à penser, à créer…
Photographies Louise Allavoine, issues de la série "Miroir aux algorithmes"
« Comme toutes les avancées technologiques, l’IA présente à la fois une opportunité et un danger », résume Yann Logelin, archiviste interviewé à la Médiathèque de Castres par les élèves du collège René Cassin. « Le danger serait de produire des fausses informations, que l'intelligence artificielle fonctionne par elle-même et soit hors contrôle. Mais peut-être on en fait un peu trop sur cette question. L’IA vient prolonger des outils qui existent déjà. Ce n'est pas une intelligence à proprement parler, ce sont juste des algorithmes qui agrègent les connaissances existantes sur internet. L’intelligence humaine, pour sa part, consolide la mémoire et fait ressortir ce qui est important. »
Une opinion que partage Aurore Brostin Soto, conseillère en recrutement que les élèves du collège Balzac ont rencontrée à l’École des Mines : « l’IA reste un outil qui peut faire gagner du temps quand on l'utilise bien, mais ça ne peut pas remplacer l'humain dans le ressenti, dans la capacité d’empathie… »
Et puis, « ce serait quoi, dépasser l’intelligence humaine ? », ajoute Aurélie Montarnal, enseignante chercheuse à l’École des Mines, en réponse à un groupe d’élèves du collège Balzac : « l'esprit humain est constitué d'émotions, ce qui ne l’empêche pas de savoir être rationnel. Des intelligences artificielles "émotionnelles", à ma connaissance, ça n'existe pas vraiment. L'IA se contente d'apprendre des calculs et de les reproduire. L'intelligence artificielle n'a pas de conscience. Or la conscience, c'est ce qui nous permet de vivre nos émotions, de vivre en tant qu'humains dans la société. Le cerveau humain a une capacité d’inhibition, qui permet par exemple de réfléchir, de faire le tri dans ses idées avant de répondre. Ce principe d'inhibition n'est pas vraiment pris en compte dans l'IA, cela reste une force du cerveau humain. C’est tout ce qui demande de la créativité. »
Pourtant, Amazon commercialise déjà des milliers de livres édités à compte d’auteur, mais qui ont été "écrits" par l’IA. Cette information laisse songeuse Célia Bialard, écrivaine, questionnée à la Médiathèque de Castres par des élèves du collège René Cassin. « Je déteste faire des descriptions, par exemple d’un paysage », confie-telle, « alors l’IA pourrait peut-être m’aider pour ça, mais certainement pas pour créer une histoire authentique en 500 pages, avec des personnages pour lesquels on va susciter une forme d’empathie ».
Lors de cette même série d’entretiens à la Médiathèque de Castres, les collégiens ont aussi pu rencontrer Louise Allavoine, photographe ou plutôt, comme elle se définit elle-même, "infotographiste", engagée par Média-Tarn pour accompagner la résidence FLUX sur l’IA et réaliser des compositions photographiques avec les élèves des différents collèges impliqués. « Aujourd’hui », leur dit-elle, « il est facile de demander à une intelligence artificielle de créer une image qui ressemble très fort à une vraie photographie. Dans la photographie dite d’illustration, l’IA est en train de bouleverser cette fragile économie, puisqu’il n’y a personne à rémunérer. Pour ma part, je fais des reportages, des portraits, des mises en scène créatives, ce sont des photos qui documentent le réel. Et c’est mon imagination qui est sollicitée, alors que l’IA aura besoin d’énormément de données déjà existantes pour construire de nouvelles images. Si je demandais à l’intelligence artificielle de réaliser des images à ma place, je ne ferais pas mon travail et je renoncerais à mes propres capacités de création. »
J-M. A.
(1). Adam, Ana, Anis, Anna-Maria, Anthea, Antoine, Antoine, Arthur, Assa, Aziz, Charline, Clément, Dimitri, Dylian, Enzo, Inès, Léana, Leya, Liv, Mariam, Matthew, Nathan L., Nathan P., Nesrine, Sarah, Shana, du collège Honoré de Balzac (3e1), accompagné·e·sd e leurs enseignant·e·s Emilie Jouanel (Français), Véronique Malou (Sciences de la Vie et de la Terre) et Guillaume Lopez (Technologie) ont recueilli les propos de spécialistes et professionnels rencontrés au cours de la journée du 5 mars 2024 à l’IMT Mines Albi. /// Alan, Alexy, Angelo, Baraa, Camille, Candice, Cassandra, Cassandre, Elisa, Elise, Eloïs, Fahmi, Iman, Ismaël, Jérémi, Khava Léa, Lilian, Lyna, Mathéo, Méloé, Morgan, Naël, Noa, Noélie, Redouane, Rina, Salomé, Sofia, Yanis, du collège Jean Jaurès (4e 7), accompagné·e·s de leurs enseignant·e·s Sophie Galtié (Français) et Erwan Bachelot
(Mathématiques) ont recueilli les propos de spécialistes et professionnels rencontrés au cours de la journée du 7 mars 2024 à la Centrale hydroélectrique EDF d’Arthès et au Musée du Saut de Sabo de Saint-Juéry. /// Clara, Cléa, Eleya, Elliot, Inès, Jules, Justine, Kenzo, Killian, Léandre, Léo, Loane, Lola, Loris, Louison, Lucie, Martin, Maxime, Noé, Noémie, Nolan, Pauline, Rose, Samuel, Théo M., Théo, Thomas, du collège René Cassin (3e 1), accompagné·e·s de leurs enseignant·e·s Dominique Rossich (Français) et Manuel Crosnier (Arts plastiques) ont recueilli les propos de spécialistes et professionnels rencontrés au cours de la journée du 8 mars 2024 à la Médiathèque de Castres-Sidobre.

Jean-Marc ADOLPHE, rédacteur en chef des humanités, et la photographe Louise ALLAVOINE ont été les deux invités de la 6ème résidence journalistique FLUX, portée par l'association Média-Tarn (sous la responsabilité de Myriam BOTTO) qui s’est déroulée d’octobre 2023 à octobre 2024 sur le territoire tarnais, entre Albi, Vielmur-sur-Agout, Castres, Graulhet et Gaillac.
Une centaine de collégiens ont été parties prenantes, dans ce cadre, d’une enquête participative visant à questionner les enjeux et les limites des outils de l’intelligence artificielle : une classe de 3e du collège René Cassin à Vielmur-sur-Agout, une autre du collège Honoré de Balzac à Albi et une classe de 4e du collège Jean Jaurès à Albi. Ont aussi été impliqués dans l’ouvrage leurs enseignants bien sûr mais aussi des enfants et adolescents accueillis au sein d’un ALAE (Amicale laïque à Graulhet) et d’une MJC (Técou), des adultes fréquentant des lieux de culture, de partage et de convivialité du territoire comme des médiathèques (Castres, Gaillac, Graulhet), un Tiers-Lieu (M à Graulhet), un Fablab (Association ACNE, Albi), des cinémas (Cinéma Arcé à Albi, cinéma Vertigo à Graulhet) …
—
De ce processus au long court, sont nés deux objets :
MIROIR AUX ALGORITHMES, une série de 21 photographies : avec Louise ALLAVOINE à la prise de vue, la centaine de collégiens impliquée dans l’enquête a cheminé dans un processus de mise en scène photographique, pensé en écho aux interviews réalisées avec l’accompagnement du journaliste Jean-Marc Adolphe. Regarder en face le procédé logique et automatisé qu’est l’intelligence artificielle pour le mettre en réflexion, le faire rimer avec humanité, le contextualiser et en nuancer la portée, tels ont été les fils à tisser de la série MIROIR AUX ALGORITHMES.
la REVUE FLUX 23-24, un magazine de 64 pages qui donne à lire une diversité de points de vue et de sujets ayant trait à la façon dont les intelligences artificielles s’expriment dans nos quotidiens. La rédaction des articles qui y sont compilés a été confiée à Jean-Marc Adolphe. Ce dernier a engagé le travail rédactionnel à l’issue d’une étape préparatoire qu’il a menée en classe avec les collégiens impliqués. Cette étape a consisté en un travail de dérushage et de hiérarchisation des informations recueillies au cours des entretiens organisés par Média-Tarn et conduits par les élèves. La revue comporte également un portfolio permettant de découvrir l’intégralité de la série MIROIR AUX ALGORITHMES.
—
Et pour clôturer la résidence, Jean-Marc ADOLPHE a livré cinq chroniques issues des réflexions construites autour des intelligences artificielles au cours de son séjour dans le Tarn, enregistrées et diffusées du lundi 14 au vendredi 18 octobre par Radio Albigés.
A écouter en podcast ici : https://hearthis.at/radio.albiges/set/ia-co/
La résidence journalistique FLUX a été possible grâce à l’implication de nombreux acteurs sur le territoire et de celles de professionnels, chercheurs, experts, concernés de très près par les intelligences artificielles ou non.
L’action a bénéficié du soutien du Conseil départemental du Tarn et de la DRAC Occitanie dans le cadre de son appel à projet Éducation aux médias et à l’Information.
Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Uniquement composé avec l'intelligence humaine. Pour soutenir, dons (défiscalisables) ou abonnements ICI
Comments