Employé d'une mine de lithium, en Bolivie.
Le lithium, nouvel « or blanc ». En 2020, son prix a augmenté de plus de 400 %. Au Chili, avant de prendre la porte de sortie (le 11 mars), le président libéral Sebastian Piñera se précipite pour accorder de nouvelles concessions minières à des multinationales. L’une d’elle, chinoise, lorgne également sur le salar de Uyuni, en Bolivie, tout comme un jeune entrepreneur texan aux dents longues.
2022, on y va ! Cet article vous est offert par les humanités, média alter-actif. Pour persévérer, explorer, aller voir plus loin, raconter, votre soutien est très précieux. Abonnements ou souscriptions ICI.
« A recuperar nuestros recursos » (Récupérons nos ressources). Sous ce slogan, des milliers de Chiliens ont manifesté dans tout le pays, vendredi 7 janvier, contre un appel d’offres du gouvernement sortant du conservateur-libéral Sebastian Piñera (photo ci-dessous) visant à accorder de nouvelles concessions minières, pour l’exploitation du lithium, à plusieurs entreprises privées. Cet appel d’offres porte sur l’exploitation de 400.000 tonnes de lithium pendant vingt ans.
Le Chili est le second producteur mondial de lithium, derrière l’Australie. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande mondiale de lithium, essentiellement destinée à la production de batteries pour les véhicules électriques, devrait augmentera de 42% d’ici 2040. Problème : alors que le lithium est souvent présenté comme une alternative écologique au pétrole, son exploitation cause des dommages irréversibles à l’environnement (Lire ICI).
Un certain nombre d’experts soulignent le caractère pour le moins précipité du processus d’appel d’offres du gouvernement chilien, alors que le programme de Gabriel Boric, élu à la Présidence de la République le 19 décembre dernier (et qui prendra ses fonctions le 11 mars), prévoit la création d’une «société nationale du lithium». Le Chili, a-t-il indiqué, «ne peut à nouveau commettre l’erreur historique de privatiser des ressources» telles que le lithium. Des membres de l’équipe de Gabriel Boric, parmi lesquels Willy Kracht, directeur du département d'ingénierie minière (DIMin) de l'université du Chili, ont pu rencontrer l’actuel ministre des Mines, Juan Carlos Jobet. « Les conditions de l’appel d’offres, telles qu'elles sont rédigées, ne laissent aucune place à leur suspension ou à leur ajournement », a déploré Willy Kracht à l’issue de cette réunion. Tout juste sera-t-il possible d'incorporer dans les contrats un dédommagement des communautés affectées et d’obliger les entreprises choisies à investir en « ressources et développement ». Avant de quitter le pouvoir, le président Piñera aura donc fait un ultime cadeau aux multinationales extractivistes.
Celle qui devrait le plus tirer son épingle du jeu est une entreprise chinoise, ByD (pour Build your Dreams, ça ne s’invente pas), qui met sur la table 61 millions de dollars (en ce qui concerne le dessous de table, on ne sait pas) pour exploiter 80.000 tonnes de lithium. En 2020, cette entreprise a dégagé un profit de 643 millions de dollars. Fondée en 1995 à Shenzen (Chine), ByD détient 65 % du marché mondial des batteries au Nickel-cadmium et est leader mondial des batteries lithium-ion. Via son fonds d'investissement MidAmerican, le milliardaire américain Warren Buffett, considéré comme un promoteur du « capitalisme de rente », détient 10% du capital de ByD. Troisième homme le plus riche du monde (en 2020, sa fortune était estimée à 87,5 milliards de dollars), démocrate (il a financé la campagne de Joe Biden), il affirme sans rire qu’il soutiendra des œuvres caritatives après sa mort et déclare sans ambages : « il y a une guerre des classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ».
Quant à ByD, elle a été épinglée en 2011 par un rapport de l’ONG, China Labor Watch : en Chine, ses employés, payés 240 dollars par mois pour 80 heures de travail hebdomadaire, sont contraints de vivre sur place pour soutenir les cadences…
Les entreprises chinoises sont particulièrement présentes en Amérique latine, et lorgnent tout particulièrement sur le lithium, cet « or blanc » dont le prix a augmenté de 426% en 2021. Entre Chili, Argentine et Bolivie, le « triangle du lithium » concentre près des deux tiers des réserves mondiales de saumure, qui représentent à leur tour 60 % du total de la production de lithium.
Sur l’ensemble de la région, les entreprises chinoises ont investi près de 4,5 milliards de dollars (d’autant plus facilement que les banques chinoises prêtent facilement pour les investissements miniers à l’étranger).
Le salar de Uyuni. Photo Danielle Pereira.
Le Salar de Uyuni, en Bolivie, fait partie de ce boom du lithium en Amérique latine. Il s'agit du plus grand salar du monde, qui couvre 11 000 kilomètres carrés. La politique de l'«or blanc» a été lancée en 2008 par le président de gauche Evo Morales, politique qui a conduit en 2017 à la création de l'entreprise publique Yacimientos de Litio Bolivianos (YLB). Selon la BBC, le pays signe depuis des années différents accords avec l'Europe et l'Asie. Le nouveau président bolivien, Luis Arce, a assuré lors de sa campagne électorale que l’exploitation du lithium pourrait générer jusqu'à 4,5 milliards de dollars par an. Ces derniers mois, huit entreprises étrangères - quatre de Chine, deux des États-Unis, une de Russie et une d'Argentine - se sont disputées l'un des projets pilotes visant à exploiter les réserves de lithium à Uyuni.
« Sans privatiser la ressource naturelle, la Bolivie peut et doit travailler avec des entreprises qui pensent à industrialiser le lithium, c'est-à-dire à fabriquer des batteries puis des voitures électriques sur place. Des entreprises bénéficiant du soutien de l'État de leur pays, comme celles de la Chine et de la Russie, participent à ces projets en Bolivie. Il en va de même pour EnergyX, une entreprise privée innovante du Texas qui ne bénéficie pas du soutien de son gouvernement, mais qui dispose d'une très bonne technologie n'utilisant pas d'eau douce pour l'extraction du lithium, avec de faibles émissions de gaz à effet de serre », indique Diego A. von Vacano, professeur de sciences politiques à l'université du Texas et conseiller informel du président Arce depuis janvier 2020.
Photo de gauche : Teague Egan, le PDG texan d’EnergyX.
Photo de droite : Rosa Belen Julaca, productrice de quinoa à Potosí.
Le New York Times vient justement de publier un reportage sur EnergyX, cette « petite entreprise texane » qui s’attaque au marché du lithium en Bolivie. Le peuple Quechua vénérait le salar de Uyuni, considéré comme le mélange du lait maternel d’une divinité et des larmes salées de son bébé. Teague Egan, le PDG texan d’EnergyX, est bien plus prosaïque. Pour lui, Uyuni (et par extension la Bolivie), « c’est la nouvelle Arabie saoudite ». Cet ancien agent sportif a commencé à investir voici dix ans dans Tesla. Les actions qu’il a alors achetés à 9 dollars l’unité, valent aujourd’hui 100 fois plus.
Par rapport à Elon Musk et autres vautours, ce Teague Egan reste un outsider. Mais retenez bien son nom : d’ici quelques années, il sera l’un des plus fortunés sur cette planète. A 33 ans, ce fringant star-uper n'avait jamais travaillé dans le secteur de l'énergie avant de lancer EnergyX en 2018 pour partir à la conquête du lithium. En Bolivie, pour lui, la partie n’est pas encore gagnée. D’une part parce que de nombreuses manifestations s’opposent à l’extraction de lithium et surtout à « l’importation » d’entreprises étrangères. « Ici, nous avons surtout besoin de routes et de petites usines textiles », dit ainsi Rosa Belen Julaca, productrice de quinoa à Potosí : « Si le gouvernement ne nous écoute pas, nous continuerons à bloquer les routes ». D’autre part, les États-Unis, hostiles au gouvernement socialiste bolivien, ont peu d’influence à La Paz (capitale de la Bolivie). Mais à force d’obstination et de manigances, que narre l’enquête du New York Times (excellent article Clifford Krauss, photographies Meridith Kohut), Teague Egan est parvenu à parler aux oreilles du président bolivien Luis Arce, de son ministre des Hydrocarbures et de l’Énergie Franklin Molina (photo ci-dessous), du vice-ministre de l'énergie chargé du développement du lithium, Álvaro Arnez, et de Carlos Humberto Ramos, le nouveau directeur de l'entreprise publique bolivienne de lithium.
EnergyX, associé à l’entreprise californienne Lilac Solutions, a d’ores et déjà été retenu par le gouvernement bolivien pour venir partager le gâteau du lithium (attention : délit d’initié : cette information ne sera rendue publique que le 14 janvier). Et ce sera une part encore minime. Mais c’est un début (comme le dit Teague Egan, « c’est le premier jour »). Les grosses parts du gâteau sont réservées aux Chinois et aux Russes (via la société Rosatom). Vladimir Poutine s’est déjà entretenu à deux reprises avec le président Luis Arce au sujet du lithium. Et la France ? Bernique cacahuète. Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, est en sieste prolongée ; Frank Riester, ministre du Commerce extérieur, est aux abonnés absents (comme il le fut à la Culture). Et Emmanuel Macron se parle à lui-même, ça lui prend tout son temps.
Jean-Marc Adolphe
PORTFOLIO
Correspondante des humanités en Amérique latine, la photojournaliste brésilienne Danielle Almeida Pereira nous offre ce reportage réalisé au salar d’Uyuni.
コメント