Sécheresse extrême : à Monterrey, troisième plus grande ville mexicaine, au nord du pays, les robinets ont cessé de couler depuis 3 mois dans les quartiers pauvres. Des "pipas", camions citernes, sillonnent la ville pour alimenter la population d’une eau saumâtre, non potable. Mais pendant ce temps, des multinationales comme Coca Cola ou Heineken continuent de vider les réserves naturelles, et se frottent les mains : le prix des bouteilles d’eau a triplé en deux mois…
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80,8° Celsius, ça commence à faire chaud. Cette température extrêmement extrême, la plus élevée jamais constatée à la surface terrestre, a été enregistrée en juin dernier dans le désert de Sonora au nord-ouest du Mexique. Un bond de 10 ° C par rapport au précédent « record » (70,7° C), qui datait de 2005.
Deux années de sécheresse extrême ont transformé de vastes étendues du nord du Mexique en cimetière, rapportait déjà l’an passé le Los Angeles Times. Entre la sécheresse, la famine et des éleveurs contraints de vendre ou d’abattre prématurément leur bétail, les autorités mexicaines affirment que dans l’État de Sonora le nombre de bovins est passé de 1,1 million à environ 635 000 : une perte inimaginable pour un État réputé dans le monde entier pour ses vaches de haute qualité, et où la viande bovine est non seulement un élément central de l’alimentation et de l’économie, mais fait aussi partie de la tradition et de la culture.
Dans cette région du nord du Mexique, il y a toujours eu des périodes de sécheresse, mais ces dernières décennies, le changement climatique a aggravé la situation, et cette année, le phénomène climatique La Niña n’a pas arrangé les choses.
État d’urgence pour 23 millions de personnes
Et la sècheresse s’étend. Après l’État de Sonora, tout le nord du pays est impacté. Conagua, la haute autorité mexicaine responsable des eaux, a déclaré l’état d’urgence et a émis un décret, entré en vigueur le 13 juillet, afin de « mettre en œuvre des mesures transitoires pour garantir l’approvisionnement en eau à la population ». Cet été, la pénurie d’eau a touché 23 millions de personnes. C’est le cas de la petite famille de Rocio Vega Morales qui vit dans un des quartiers les plus pauvres de Monterrey, la troisième plus grande ville du Mexique après Mexico et Guadalajara, capitale de l’État de Nuevo León (plus de 5 millions d’habitants).
De gauche à droite : Des habitants font la queue pour obtenir de l'eau d'un camion-citerne à García, près de Monterrey, en juin. Contrairement aux quartiers pauvres de la ville, les quartiers aisés de Monterrey bénéficient de quotas d'eau plus élevés,
l'eau du robinet étant disponible 12 heures par jour. Photo Julio César Aguilar/AFP
La qualité de l'eau distribuée par les camions "pipas" la rend impropre à la consommation. Photo Daniel Becerril/Reuters
Des manifestants bloquent une autoroute pour protester contre le manque d'eau à Escobedo, Nuevo León. Photo : Daniel Becerril/Reuters
Rocio Vega Morales et ses quatre enfants n’ont plus d’eau courante chez eux depuis plus d’un mois. Plus de quoi se laver, faire la vaisselle, la lessive, tirer la chasse d’eau ou simplement boire et se nourrir. Leur seule source d’approvisionnement en eau, ce sont des camions citernes ("pipas") qui passent une fois par jour, à n'importe quelle heure. Par chance le camion stationne à 10 minutes seulement de la maison de Rocio où il ne reste qu’une quinzaine de minutes avant de repartir. Une eau saumâtre, pas franchement potable, mais il faut s’en contenter. « Je ne veux pas en arriver au point où nous ne pourrions plus tirer la chasse d'eau. Les enfants ne comprennent pas - c'est le plus dur pour eux », dit-elle. La famille de Rocio consomme chaque jour 40 litres de cette eau apportée par les "pipas" (en comparaison, l'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement estime que chaque Français utilise en moyenne 149 litres d'eau potable par jour…).
Comme pour Rocio, qui a dû s’adapter à cette précarité sanitaire, les robinets sont désormais à sec et fermés. Acheter des bouteilles d’eau en magasin ? Comme par hasard, leur prix a triplé ces deux derniers mois. Car cette pénurie d’eau au robinet fait l’affaire de certains. Parmi les multinationales qui commercialisent l’eau en bouteilles dans l’État du Nuevo León, Coca Cola et Heineken sont en première ligne. Et ce n’est pas tout : pour continuer à produire leurs boissons, ces deux entreprises consomment à elles seules une quantité astronomique d’eau potable, l’équivalent de 60 fois la consommation d’une grande ville comme Monterrey, qu’elles pompent dans des réservoirs publics !
"Ce n'est pas la sécheresse, c'est le pillage"
A la demande du président mexicain, Andrés Manuel Lopez Obrador, Heineken a promis de réserver 20% de son exploitation d’eau pour aider la population. Les dirigeants locaux de Coca Cola, eux, ont cyniquement proposé aux gens de venir chercher de l'eau gratuite à son usine de Topo-Chico, en sachant pertinemment que le site est beaucoup trop éloigné des quartiers défavorisés de Monterrey… Alors, parmi la population, la colère gronde. «No es sequía, es saqueo » ("Ce n'est pas la sécheresse, c'est le pillage"), entend-on dans les manifestations.
« Nous ne voyons rien, dans le comportement des entreprises, qui indique qu'elles renoncent volontairement à se servir en eau », indique Jaime Noyola, directeur de l’Alliance des usagers des services publics. Tout au contraire : alors que le Mexique est le premier pays au monde consommateur d’eau en bouteilles, les multinationales profitent de la sécheresse pour augmenter leur chiffre d’affaires. Et face à un tel scandale, Jaime Noyola pointe l’inaction du gouvernement, non sans incriminer de probables cas de corruption. Certains dirigeants locaux, à commencer le propre gouverneur de l'État de Nuevo León, émergeraient auprès des sociétés de boissons. Et le directeur du service d’eau et de drainage de la ville de Monterrey appartient à la famille Barragán, l’une des plus riches du Mexique, propriétaire de la société Arca Continental, l’un des embouteilleurs de Coca Cola !
La colère est encore montée d’un cran lorsque les habitants des quartiers pauvres de Monterrey se sont aperçus que la partie la plus aisée de la ville était, elle, presque normalement desservie en eau courante et potable, tous les matins jusqu’à midi. Pour protester contre cette inégalité de traitement, des manifestants ont bloqué pendant deux jours une autoroute, à la mi-juillet.
Niveaux d'eau du réservoir de Cerro Prieto en juillet 2015 et juillet 2022.
Le réservoir de l'État de Nuevo León, qui alimente Monterrey, la deuxième plus grande ville du Mexique, s'assèche depuis des années.
Mais l'aggravation de la sécheresse depuis 2020 a amené le réservoir, construit dans les années 1980, à son point le plus bas à ce jour.
En juillet dernier, il est tombé à 0,5 % de sa capacité de 393 millions de mètres cubes.
Avant-hier, 29 juillet, enfin il a plu sur Monterrey, pendant une vingtaine de minutes, pour la première fois depuis trois mois. La presse mexicaine remercie déjà Tláloc ("celui fait ruisseler"), le dieu aztèque de la pluie. Juan Ignacio Barragán, le directeur du service d’eau de Monterrey, assure que l’issue de la crise est proche, que des pluies prévues début août devraient pouvoir à nouveau alimenter le réservoir de Cerro Prieto, actuellement quasi à sec. A voir les images satellite du site, il est permis d’en douter. Sinon… Jaime Noyola dit qu’il ne serait pas surpris de voir les gens attaquer les camions-pipas. Et Rocio Vega Morales, espère quant à elle un retour à la vie normale : « Si ça empire, je ne sais pas comment nous pourrons vivre comme ça jusqu'en septembre ».
Tapo Aloike, avec Pilar Fuentes, correspondante des humanités en Amérique latine.
Photo en tête d’article : Distribution d’eau à Monterrey. Photo DR
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