Folle hypothèse : et si l’attentat contre l’ultra-nationaliste Alexandre Douguine, qui a tué sa fille dans l’explosion de sa voiture dans la nuit du 20 au 21 août, était un « montage » des services russes, prétexte et prélude à une riposte massive du Kremlin contre l’Ukraine ?
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« Ce que l'on sait de la mort de Daria Douguine, fille d'un idéologue proche de Vladimir Poutine » titre BFMTV ce dimanche soir à 19 h. La vérité c'est qu'on ne sait encore rien. BFM a interviewé Eugène Berg, ancienne ambassadeur et expert de l'Ukraine qui avance plusieurs hypothèses. « L'Ukraine aurait pu commanditer l'attaque contre Alexandre Dougine » dit-il, mais trois autres possibilités existent, ajoute-t-il : « Cela peut-être les milieux mafieux, mais ça reste peu probable. Cela peut-être une affaire interne aux services secrets russes, c'est possible mais peu envisageable. Enfin, cela peut être, en Russie, des gens qui s'opposent à la guerre. Comme ils ne peuvent pas toucher les responsables, qui sont bien protégés, ils veulent toucher le cerveau de l'idéologie [russe]. »
The Guardian, pour sa part, rapporte les propos d’un ex-député de la Douma aujourd’hui réfugié à Kiev, Ilya Ponomarev, qui a lu le communiqué d’une mystérieuse « Armée nationale Républicaine », composée d’opposants à Poutine, qui revendique l’attentat. J’avoue n’avoir jamais entendu parler auparavant d’une telle organisation (pas plus qu’une journaliste russe -en exil- que j’ai consultée ce soir). D’autant plus étrange que le nom de cette « organisation » renvoie à celui de l’armée de la République sociale italienne qui s’est battue aux côtés de l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale…
Comme l’indique Vincent Présumey (sur Facebook), « une résistance organisée de type militaire et sabotage existe déjà [en Russie] mais vise les voies ferrées et les dépôts d’armes, avec de nombreuses opérations revendiquées par "l'organisation de combat anarcho-communiste de Russie. » Il semble hautement improbable, compte tenu du niveau de surveillance exercé en Russie à l’encontre des opposants ou dissidents de tout poil, qu’une organisation clandestine ait pu planifier et organiser un attentat comme celui qui a tué la fille d’Alexandre Douguine.
Dès ce matin, l’inénarrable dirigeant séparatiste pro-russe de la République populaire de Donetsk (DNR), Denis Pouchiline, accusait « les terroristes du régime ukrainien ». « Si la piste ukrainienne se confirme » réagissait dans la foulée la non moins inénarrable Maria Zakharova, porte-parole de la diplomatie russe (la soubrette lubrique dont j’ai déjà parlé à plusieurs reprises) « il s'agira de la politique du terrorisme d'Etat mise en place par le régime de Kiev ». Le scénario semble cousu de fil blanc. Il est alimenté par des personnalités telles que Sergei Udaltsov, chef d'un "Front de gauche" russe (que Jean-Luc Mélenchon, en France, présentait voici peu comme la seule opposition à Poutine digne d'être soutenue, contrairement à Navalny), lequel vient d’affirmer que « l'Ukraine se lance dans les actions terroristes à grande échelle », et par des propagandistes tels que l’influente Margarita Simonyan, rédactrice en chef de Russia Today, qui a pressé le Kremlin, sans même attendre les résultats d’une éventuelle enquête, à bombarder les « centres de décision » à Kiev.
Voilà ma « folle hypothèse » : je parie (un peu plus qu’un paquet de cacahuètes) que dans les deux jours qui viennent, de soi-disant « coupables » vont être trouvés, et que, comme par hasard, ces « coupables » seront liés au gouvernement ukrainien. « Révélation » qui justifiera une riposte massive du Kremlin.
Il y a fort à parier que l’attentat contre Douguine (qui le visait lui, mais où est mort sa fille) a été préparé et organisé par le FSB et les services de renseignement russes. Dans la partie d’échecs (et bientôt mat) qu’il mène, Poutine pouvait bien sacrifier le « pion » Douguine, qui ne lui est plus d’aucune utilité. Et si c’est sa fille qui meurt, c’est encore mieux. L’émotion soulevée dans le pays permet de dissimuler les pertes de l’armée russe en Ukraine (hier, justement, comme le rapporte encore Vincent Présumey, le Kremlin a laissé fuiter qu'il reconnait 13.494 morts dans l'armée, 2366 dans la garde nationale, 48.745 morts, blessés et disparus au total)…
Depuis quelques jours, les services de renseignement avertissaient que la Russie préparait un « false flag » (une opération sous fausse bannière est un acte commis dans le but de dissimuler la source réelle de responsabilité et de rejeter la faute sur une autre partie). Tout le monde avait les yeux tournés vers la centrale nucléaire de Zaporijjia (où, soit dit en passant, l’armée russe qui occupe le site a renvoyé dans leurs foyers les travailleurs ukrainiens, prélude vraisemblable à un raccordement imminent au réseau russe. Les engagements de Poutine « obtenus » par Emmanuel Macron n’auront alors été, une fois de plus, que roupie de sansonnet).
Et si le « false flag » annoncé, c’était précisément l’attentat contre Douguine ? L’hypothèse n’est pas si folle que cela. On sait aujourd’hui que les attentats qui ont frappé Moscou en 1999 (trois cents morts), attribués aux "terroristes tchétchènes" ont été commis par les services de sécurité russes sous l’égide d’un certain Vladimir Poutine. Déclarer la guerre à la Tchétchénie sous un prétexte mensonger a alors permis à un premier ministre fraîchement nommé par le clan Eltsine de se hisser au pouvoir.
On ne sait pas encore quelle sera la « riposte » (a priori spectaculaire) du Kremlin à « l’attentat » contre Douguine. La date du 24 août, anniversaire de l’indépendance de l’Ukraine, est sur toutes les lèvres. Un conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak, a estimé que la Russie pourrait intensifier ses bombardements de villes ukrainiennes pendant les 23 et 24 août. Les autorités de Kiev viennent d’annoncer l’interdiction de tout rassemblement public du 22 au 25 août dans la capitale. Et le gouverneur de la région de Kharkiv (centre-est) a de son côté annoncé samedi un long couvre-feu prévu du soir du 23 août au matin du 25 août. On imagine que de telles décisions n’ont pas été prises à la légère, mais sur la foi de renseignements précis. Et alarmants.
Jean-Marc Adolphe
Photo en tête d'article : Alexandre Douguine, à Moscou, dans la nuit du 20 au 21 août, arrivant sur les lieux où la voiture conduite par sa fille a explosé.
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