Andrée Turcy, star de l'Eldorado et de l'Alcazar
- Nicolas Villodre
- il y a 6 heures
- 4 min de lecture

Mireille Doering dans Qui êtes-vous Andrée Turcy ?, mise en scène de Jean-Christophe Born. Photo Didier Verdureau
Sur scène, Mireille Doering et Jean-Christophe Born font joliment revivre Andrée Turcy, chanteuse réaliste et grande figure du music-hall d'avant-guerre, étrangement tombée dans l'oubli. Vous reprendrez bien un verre d'anisette ?
Après avoir rendu hommage à Gaby Deslys, Jean-Christophe Born a décidé de célébrer l’an dernier les cinquante ans de la disparition d'Andrée Turcy afin de faire découvrir ou redécouvrir cette figure du music-hall née à Toulon, qui fit ses débuts à Lyon puis lancée très jeune par Félix Mayol à Paris. Née Alphonsine-Sidonie-Philomène Turc, elle commença à connaître le succès à l’Eldorado (rebaptisé aujourd’hui Théâtre libre) puis, lassée de Paris (à moins que ce ne fût l’inverse) poursuivit sa voie à l’Alcazar de Marseille grâce à l’entremise de Raimu. Elle créa sa propre troupe avec laquelle elle ne cessa de tourner, « sept mois sans s’arrêter », sur la Côte d’Azur, en Belgique, en Algérie, allant jusqu’à se produire à Saint-Pétersbourg avant la Révolution en Russie.

Andrée Turcy à l'époque de l'Eldorado. Photo non datée (entre 1912 et 1916)
Andrée Turcy alterna chant et art dramatique dans Mon homme, une pièce d’André Picard et Francis Carco. Elle dirigea avec son mari André Garnier le grand Casino d’Alger. Après-guerre, Marcel Pagnol la soutint financièrement en lui donnant des rôles dans ses films Manon des sources (1952) et Les Lettres de mon moulin (1954). Après l’indépendance de l’Algérie, contrainte et forcée de revenir dans l’hexagone, elle figura également dans Mon oncle du Texas (1962) de Robert Guez ainsi que dans Les Grands chemins (1963) de Christian Marquand. Elle finit sa vie pauvrement. Dans la cité phocéenne, comme il se devait. Surtout, elle a symbolisé à sa manière le café-concert et porté haut la poésie réaliste, l’art comique, dramatique et celui de Terpsichore – quatre danseuses et un danseur faisaient partie de sa compagnie.

Mireille Doering et Jean-Christophe Born. Photo Didier Verdureau.
Jean-Christophe Born et Mireille Doering retracent la carrière d’Andrée Turcy sous la forme d’un entretien entre la protagoniste se penchant sur son passé et un fan, journaliste du Provençal, par ailleurs sectateur de Maurice Chevalier. L’interview se déroule autour d’une petite table ronde, côté cour, où sont posés deux verres et une carafe d’eau. Les souvenirs de la chanteuse sont illustrés par une dizaine de succès choisis dans son répertoire, chantés live, sans micro et, malheureusement pour des raisons pratiques, sans la présence de Danielle Sainte Croix, l’excellente pianiste qui a cependant enregistré les musiques sur bande – ou, plus probablement, sur fichier numérique. Le décor minimaliste est de l’auteur, les lumières sont de Maurizio Montobbio et les costumes, de Mireille Doering. Au début du spectacle, Born montre ses qualités vocales en interprétant La Marche de Ménilmontant de Maurice Chevalier, Maurice Vandair et Jacques Borel-Clerc, caricaturant au passage la gestuelle de Maurice Chevalier.
Andrée Turcy ayant enregistré nombre de 78 tours pour la maison Pathé, elle eut droit en 1927 à un long reportage de "Pathé revue" intitulé : "Tournée théâtrale moderne". De sa discographie, Born et Doering ont retenu La Chanson du Cabanon, dont chaque couplet fut écrit par un auteur différent : Fortuné Cadet, César Labite et Charles Helmer, un tube repris et popularisé par Fernandel et Fernand Sardou. Le P’tit Bosco de Vincent Scotto, opus en parlé-chanté est aussi mélodramatique que Les Roses blanches de Charles-Louis Pothier et Léon Raite. Il est d’autant plus actuel qu’il traite de la question du harcèlement : le protagoniste, un jeune ouvrier, est le souffre-douleur de ses camarades prolétaires.
La version de Mon Homme de Maurice Yvain est des plus subtiles qui puissent être. Le tempo est légèrement alenti ; la voix, on ne peut mieux posée sur le piano du playback ; Mireille Doering touche le public sans effet, sans pathos. Cette chanson contraste avec Mon Anisette, d’Albert Evrard, dont la philosophie peut se résumer comme suit : « Y a des gens qui cherchent le bonheur/Quand ils l'ont tout près de leur cœur (…) Il leur faut mille sensations/Qui leur chavirent la raison/Opium, coco, pour eux, plus rien n'est bon/Quand on veut être heureux/ Y a que les spiritueux (…) Les toilettes, les bijoux/J' m'en fous!/La morphine qui rend fou/J' m'en fous!/Tout ces trucs-là me semblent bêtes/Quand j'ai bu mon anisette ».
Le tour de chant est complété par Ah ! Si vous voulez d’l’Amour, de Vincent Scotto, C’est dégueulasse, de Daniderff et Francis Carco, La Chanson de Marseille de Marc Cab et Mon Amant de la Coloniale, de Juel, très proche de Mon Légionnaire, de Raymond Asso et Marguerite Monnot avec des lyrics tout aussi gratinés : « C'était un gars de la Coloniale/Il avait là, partant du front/Et descendant jusqu'au menton/Une cicatrice en diagonale/Des cheveux noirs, des yeux tout pâles/La peau brûlée par le soleil/J'en ai plus jamais vu d'pareil ». Les spectateurs ont longuement applaudi les artistes. En rappel, nous avons eu droit à Dites-moi ça en Marseillais, de Vincent Scotto.
Nicolas Villodre
Qui êtes-vous, Andrée Turcy ?, mise en scène Jean-Christophe Born, avec Mireille Doering, au Guichet Montparnasse, 15 rue du Maine, Paris 14e, jusqu'au 25 mai (ICI).
A écouter : Andrée Turcy, Mon anisette (1932)
Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI
Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre
Comentarios