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Amazonie péruvienne : communautés indigènes contre la déforestation


10% de l’Amazonie se trouvent au Pérou, où les communautés indigènes luttent pour la préservation de leurs territoires contre les cultures illicites, les activités minières illégales et la déforestation. Problème : l’absence de reconnaissance officielle prive certaines de ces communautés de leurs droits, les rendant ainsi plus vulnérables aux activités illégales. Une équipe du média Mongabay Latam a mené une enquête au long cours sur ces communautés.


Il existe au Pérou des communautés indigènes qui n'apparaissent pas sur les cartes officielles,dont l'existence ne repose que sur leur nom et la connaissance qu'en ont les fédérations qui les représentent, mais sans reconnaissance de l'État. Ce problème concerne 647 communautés indigènes dans cinq régions de l'Amazonie péruvienne.


Photo : SPDA


Communautés fantômes

Le premier défi auquel sont confrontées les communautés indigènes du Pérou est de devoir « certifier » leur propre existence. « Il est impossible d'arriver à un chiffre exact », déclare Katherine Sánchez, juriste à la Société péruvienne de droit environnemental (SPDA). « Le ministère du Développement agraire et de l'Irrigation a un système cadastral qui ne prend pas en compte les communautés titrées qui n'ont pas de géoréférencement [un territoire délimité] », explique-t-elle. La mise à jour de la base de données dépend des gouvernements régionaux, qui souvent ne disposent pas d'un système similaire à celui du ministère.

Or, les communautés non reconnues ne bénéficient d'aucune sécurité juridique. Nelly Aedo, responsable du programme des peuples indigènes du bureau du médiateur, explique que « la propriété communale, lorsqu'elle n'est pas reconnue, se heurte à des obstacles pour la gestion de projets, de programmes sociaux, voire de services publics comme, par exemple, un établissement de santé. » Ce manque de protection se reflète dans la désignation enregistrée dans la base de données ministérielle : « localité sans type identifié par la DRA (Direction régionale de l'agriculture) », comme s'il s'agissait de villes fantômes. La reconnaissance d'une communauté autochtone est le premier pas vers l'obtention de la sécurité juridique, c'est-à-dire la titularisation du territoire communal.


Photo Meylinn Castro- Servindi


« Si vous êtes né indigène, vous avez automatiquement le droit à un territoire collectif et à la reconnaissance en tant que peuple indigène. Par conséquent, c'est à l'État de reconnaître ce droit », déclare Ernesto Ráez, directeur de l'Instituto del Bien Común (IBC), une organisation qui travaille depuis plus de 20 ans avec les communautés indigènes sur l'aménagement du territoire et la conservation de l'environnement.

« Il y a cinq ou dix ans, les communautés des rives de l'Amazone se disaient paysannes, mais au fil du temps, elles se sont identifiées comme des communautés indigènes », explique Manuel Ramírez, président de l'Organisation des peuples indigènes de l'Est (Orpio) : « C'était un problème de discrimination, parce qu'en tant que communauté paysanne, ils se sentaient bien, ils pensaient qu'ils pouvaient avoir plus de droits, mais ils se sont ensuite rendu compte que ce n'était pas le cas. »

Aujourd’hui encore, plus de 600 communautés autochtones dans cinq régions de l’Amazonie péruvienne ne sont pas reconnues. Manco Capac est l'une de ces communautés qui attendent d'avoir droit à un titre sur le territoire. Pour Arturo Chistama Díaz, l'un des plus anciens membres de cette communauté, le manque de reconnaissance les empêche de protéger efficacement leurs forêts : « Nous souffrons constamment de l'exploitation illégale des forêts. Nous ne pouvons pas préserver et prendre soin de nos forêts parce que nous n'avons pas de titre de propriété. »

Le manque de reconnaissance de l'État est en effet loin d’être le seul problème des communautés indigènes au Pérou. L'enquête de Mongabay Latam sur l'impact des crimes environnementaux sur les territoires indigènes dans cinq régions amazoniennes montre qu'au moins 1247 communautés sont affectées par l'exploitation minière illégale, la culture illicite de feuilles de coca ou la déforestation.


En 2014, le Pérou avait déclaré l’urgence dans 11 districts de la région de Madre de Dios, en Amazonie après avoir détecté des niveaux de mercure anormalement élevés, liés aux nombreuses mines illégales.


Déforestation, trafic de drogue et violence

Dans les cinq régions de l’Amazonie péruvienne concernées par l’enquête de Mongabay Latam, la déforestation a impacté 276 000 hectares ces dix dernières années. Les communautés indigènes les plus touchées dans chacune de ces régions sont : Santa Martha, de l'ethnie Kakataibo, à Huánuco ; Kotsimba, de l'ethnie Harakbut, à Madre de Dios ; Cahuapanas, Asháninka, à Pasco ; Puerto Nuevo, Kakataibo, à Ucayali ; et Matsés à Loreto.

Dans la seule région d'Ucayali, 344 communautés indigènes ont perdu 104 000 hectares de forêt au cours des dix dernières années. Les provinces de Padre Abad et d'Atalaya représentent la majorité des zones touchées par la déforestation dans cette région. Ces provinces comptent également le plus grand nombre de pistes d'atterrissage clandestines dédiées au trafic de drogue. En 2020, le gouvernement régional a identifié 45 de ces pistes d'atterrissage, et en 2021, neuf autres ont été ajoutées.

Arbildo Meléndez, dirigeant de la communauté indigène Unipacuyacu, assassiné en avril 2020. Photo Aidesep


La communauté Unipacuyacu est l’une des plus durement touchées : en 10 ans, de 2010 à 2020, la déforestation a fait disparaître la moitié de son territoire. Cinq problèmes graves convergent : absence de titres fonciers, déforestation, exploitation minière illégale, culture illicite de la coca et présence de trois pistes d'atterrissage clandestines. Cette communauté tente depuis près de trente ans d'obtenir de l'État qu'il leur accorde des titres de propriété sur leurs territoires. Arbildo Meléndez, l'un de ses dirigeants, a été assassiné en avril 2020, sans avoir obtenu cette reconnaissance. Sa veuve, Zulema Guevara, a fui Unipacuyacu avec ses enfants : « J'ai dû quitter ma maison et ma ferme à Unipacuyacu. Maintenant, nous vivons cachés pour protéger mes enfants. Je sais que les personnes qui ont ordonné la mort de mon mari sont toujours en activité. »

L’assassinat d’Arbildo Meléndez a marqué le début d’un cycle de violence dans toute la région. Sur les dix défenseurs de l'environnement assassinés au cours des 18 derniers mois, sept sont des dirigeants indigènes amazoniens.

Impact de l'exploitation minière à San José de Karene. Photo Vico Méndez.


« Pendant la pandémie, les activités illégales ont énormément augmenté, car tandis que nous étions obéissants et ne bougions pas, les illégaux continuaient à avancer », affirme Berlin Diques, président de l'organisation régionale Aidesep Ucayali, qui regroupe les communautés indigènes de cette région et inclut les Kakataibo de Huánuco. Pour la seule année 2020, le Pérou a enregistré la plus grande quantité d'hectares de forêt perdus au cours des 20 dernières années. « C'est scandaleux », déclare Ernesto Ráez, de l'Instituto del Bien Común : « Si la surveillance est abandonnée, les défenseurs de ces forêts, qui sont les peuples autochtones, seront laissés sans protection. » « L'effet de la pandémie a fait que certaines capacités de réponse du ministère de l'Intérieur et de l'autorité forestière, ainsi que des différents acteurs de la forêt, ont été limitées », reconnaît Gabriel Quijandría, ancien ministre de l'environnement, en poste jusqu'en juillet 2021.


La menace de l'exploitation minière illégale


San José de Karene, à Madre de Dios, occupe la deuxième place parmi les communautés les plus touchées

par l'exploitation minière illégale. Photo : Vico Méndez.


Les cultures illicites de coca ne sont pas la seule cause de déforestation. Dans la région de Madre de Dios, la communauté indigène de San José de Karene, disposant pourtant de titres de propriété communale, a perdu plus de 6.000 hectares de forêt saccagés par l'exploitation minière illégale. Au total, selon l’enquête de Mongabay Latam, 17 communautés de Madre de Dios ont perdu 47.095 hectares de forêt du fait de cette activité illégale, entre 2013 et 2020. Dans la région de Loreto, 84 communautés sont touchées par l'exploitation minière illégale : la superficie totale du territoire autochtone impacté s'élève à 278 958 hectares.


Des communautés résilientes

Malgré tout, les communautés indigènes servent de bouclier pour conserver des zones protégées telles que la réserve communale d'El Sira, dans la région d’Ucayali.

Enfant Ashéninka


À Catoteni, situé au sud de la zone protégée, dans la province d'Atalaya, une centaine de familles Ashéninka luttent contre l'abattage illégal des quelques arbres restants, comme le moena (Aniba amazonica), le capirona (Calycophyllum spruceanum) et même le shihuahuaco (Dipteryx micrantha), des espèces soumises à une forte pression due à la déforestation. En fait, les habitants de cette communauté ont empêché l'expansion de la culture illégale de la feuille de coca sur leurs terres. Ils sont devenus une barrière contre l'illégalité qui les traque. « Pendant la pandémie, ils sont venus à l'entrée de notre communauté pour essayer de nous convaincre de planter de la coca, car nous n'avions plus de marchés pour notre principale source de subsistance, le café », raconte un villageois de Catoteni. « Nous leur avons demandé de partir », ajoute-t-il.


Les communautés indigènes d'Atalaya, dans le sud de l'Ucayali, ont un passé douloureux. Selon Pedro García Hierro, avocat spécialisé dans la défense des peuples indigènes, les Ashéninka d'Atalaya ont vécu jusqu'à la fin des années 1980 dans un système d'esclavage, "sous le contrôle des patrons forestiers". Mais Catoteni a pu obtenir son titre de propriété communale en 1986, par le biais de la loi sur les communautés indigènes, avec une superficie actuelle de 6.804 hectares. Ces démarcations n'ont toutefois pas suffi à empêcher les bûcherons de pénétrer illégalement sur leurs terres pour en extraire les derniers cèdres.

«Dans le temps», se souvient Juan Coronado Cachique, 80 ans, l'un des plus anciens membres de la communauté de Catoteni, «nous ne savions même pas ce qu'était un hectare. Nous étions constamment menacés, mais nous ne savions pas ce qu'était une menace. Maintenant, on se réveille, notamment grâce aux jeunes qui sont expérimentés, éduqués. Ils savent ce qu'est un hectare. Maintenant, nous pouvons nous défendre

Catoteni a perdu 400 hectares de forêt entre 2010 et 2020, soit 5,88% de sa surface totale titrée, un faible pourcentage par rapport aux autres communautés d'Ucayali. Catoteni reste un exemple de résistance à l'exploitation forestière illégale et au trafic de drogue.

Phaethornis koepckeae, un oiseau endémique d’Amazonie, dans la réserve d’El Sira.


Les 616 000 hectares de la réserve communale d'El Sira abritent d'importantes espèces emblématiques du Pérou comme l'ours à lunettes (Tremarctos ornatus), le singe choro (Lagothrix lagotricha), le calliste de Philips (Stilpnia phillipsi) et l'imposant jaguar (Panthera onca). Au total, El Sira abrite plus de mille espèces d'arbres, 400 types d'oiseaux et 143 espèces de mammifères. Elle s'étend sur les régions de Huánuco, Pasco et Ucayali, ce qui lui permet d'avoir des forêts humides, des collines escarpées et des prairies.

Kary Ríos, responsable de la réserve d’El Sira, souligne que dans des communautés telles que Catoteni, on peut clairement observer l'importance du travail conjoint entre les populations indigènes et la zone protégée : « La moitié du travail de conservation dans la région dépend de l'organisation des communautés situées dans la zone tampon pour sauvegarder la forêt ».

Un rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a récemment mis en évidence le rôle fondamental des peuples autochtones dans la gouvernance des forêts. Ce document souligne, parmi les facteurs culturels et les politiques d'incitation forestière, l'importance de la reconnaissance des droits territoriaux collectifs, comme la sécurité juridique. "La reconnaissance formelle permet d'empêcher l'entrée de groupes extérieurs qui détruisent leurs forêts", indique le document.


Dans le cas des réserves communales, il existe déjà une forme de cogestion entre ces peuples et l'État, à travers le projet Resilient Amazon Sernanp-PNUD, qui a signé huit accords de conservation avec les communautés autochtones d'Eco Sira depuis 2019. Kary Ríos indique que des efforts ont notamment été menés pour renforcer la chaîne de valeur du café, le produit phare de ce secteur d'Atalaya : « Nous avons travaillé pour qu'ils aient un café de qualité et il a réussi à s'imposer comme l'un des principaux produits de la région. »

La communauté indigène Catoteni dans la province d'Atalaya, Ucayali,

résiste aux menaces des activités illégales. Photo : Christian Ugarte.


Le problème réside dans le fait qu'en général, le processus de géoréférencement des communautés autochtones n'est pas achevé, de sorte qu'un grand nombre de communautés autochtones restent exposées aux problèmes d'empiètement et de chevauchement d'autres activités telles que l'octroi de concessions forestières et minières. Depuis 2013, au Pérou, le ministère de l'Agriculture et de l'Irrigation est chargé de la réglementation physique et juridique des terres communales appartenant aux communautés paysannes et autochtones. Mais les procédures administratives dépendent des gouvernements régionaux. Or, ceux-ci « ne considèrent pas la délivrance de titres de propriété des terres communautaires comme une priorité institutionnelle », confie Nelly Aedo, du bureau du médiateur : « Nous préconisons une meilleure conception de la réglementation, une conception beaucoup plus conforme à la réalité et qui puisse simplifier le cercle de la bureaucratie qui existe actuellement pour la reconnaissance et la titularisation des communautés ».

Un cas de déforestation dans la Sierra del Divisor. Photo Hugo Alejos.


En juin dernier, un addendum a été signé à la déclaration commune d'intention (DCI), un accord de coopération entre le Pérou, la Norvège et l'Allemagne qui vise à réduire les gaz à effet de serre provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts amazoniennes. L'accord fixe comme objectif la régularisation d'au moins 5 millions d'hectares de terres indigènes, un processus qui comprend la démarcation des territoires et l'octroi de titres fonciers. L'attribution de ces titres fonciers est une étape préalable à l'accès des communautés autochtones à des aides pour maintenir leurs forêts sur pied grâce à l'émission de crédits carbone.

Lors du dernier Congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le 10 septembre dernier à Marseille, a précisément été votée (sur proposition de la Coordination des Organisations Indigènes du Bassin Amazonien) une motion pour promouvoir les efforts visant à restaurer au moins la moitié des zones forestières dégradées du bassin de l’Amazone, en renforçant les moyens des peuples autochtones, qualifiés «d’autorités et de gardiens de la biodiversité» (Lire ICI).

Contrairement au Brésil de Bolsonaro et à la Colombie de Duque, le Pérou est engagé sur une voie beaucoup plus vertueuse (1). Mais le narcotrafic, tout comme l’exploitation minière illégale, sont de puissants fléaux. Dans son premier discours officiel, le 28 juillet dernier, le nouveau président péruvien, Pedro Castillo, a clairement annoncé vouloir lutter pour la protection de l’environnement et la préservation de l’Amazonie, contre les cultures illicites et la déforestation, et pour les droits des peuples autochtones. Dans un contexte parlementaire particulièrement chahuté (où l’opposition de droite est majoritaire), qui a entraîné la démission du Premier ministre, deux mois après sa prise de fonction, les actes suivront-ils les promesses ? Ce 6 octobre, Pedro Castillo a nommé au poste de Premier ministre une militante de l'environnement et des droits humains, Mirtha Vásquez. Une nomination de bon augure ?


(1) - Depuis 1993, la Constitution péruvienne reconnaît la multiculturalité et garantit le droit à l’identité culturelle, notamment pour les communautés rurales et autochtones. Des lois permettent ainsi l’accès à un enseignement bilingue, la protection des communautés indigènes isolées, ainsi que la protection du patrimoine culturel traditionnel avec l’INDEPA (institut national pour les peuples andins, amazoniens et afro-péruviens).


A partir d’un article de Yvette Sierra pour Mongabay Latam, avec Alexa Vélez, Thelma Gómez, María Isabel Torres, Cristina Fernández, Daniel Carbajal, Fiorella Fiestas, Vanessa Romo et Douglas Tangoa. Vidéo et photographies : Christian Ugarte, Vico Méndez et Roberto Wong.


Vidéos

Déforestation due au narcotrafic dans les forêts de la communauté indigène de Flor de Ucayali.


Escalade de violence en Amazonie péruvienne (mars 2021)




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