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Michel Strulovici

A Séoul, la "menace communiste" prétexte à un coup d’État présidentiel

A Séoul, des personnes regardent l'allocution télévisée du président Yoon Suk-yeol qui annonce, ce mardi 3 décembre,

l'instauration de la loi martiale. Photo Ahn Young-joon / AP


Que se passe-t-il en Corée du Sud ? Le président de droite, Yoon Suk-yeol, élu sans disposer de majorité parlementaire, et fragilisé par un scandale de corruption, a instauré la loi martiale pour se donner les pleins pouvoirs, en invoquant une prétendue "menace communiste" liée à la Corée du Nord. Pour l'heure, le Parlement a fait barrage à ce coup d’État, avec l'appui d'une foule de manifestants qui ont bravé le traumatisme de répressions passées. Par Michel Strulovici.


Le président de la Corée du SudYoon Suk-yeol, vient de décréter la loi martiale. Cette mesure, affirme-t-il, était nécessaire pour protéger le pays des "forces communistes nord-coréennes". Un tel "argument", a été utilisé de nombreuses fois dans l'histoire de la Corée du Sud, notamment dans le coup d’État militaire des années1960, organisé par l'état-major dirigé par Park Chung Hee. J'avais alors pu en constater les effets dramatiques, les arrestations par milliers, les très nombreuses condamnations à mort de démocrates que la dictature et la sinistre KCIA, les service secrets sud-coréens, faisaient passer pour des agents et des espions communistes. C'était au cours des années 1969-1971. J'étais alors le premier des coopérant français, maître de conférences, à la Faculté des lettres de l'Université nationale de Séoul. (1)


Yoon Suk-yeol, élu Président de justesse en mai 2022 (2), était jusqu'alors, un homme de la droite traditionnelle. En l'espace d'un discours, le voici devenu aspirant dictateur. L'homme sait pertinemment que son argumentaire est totalement mensonger. Jeune étudiant, il a participé à la révolte des étudiants et des ouvriers qui embrasa la ville de Qwangju en mai 1980. Elle fut défaite (avec des milliers de victimes) par l'armée du dictateur Chun Doo Wan qui lui aussi parlait "d'espions communistes" pour justifier sa sanglante répression.


Il y a 44 ans, en 1980, la répression de la révolte de Qwangju fit 165 morts, 75 disparus et 3515 blessés.

Un traumatisme qui est resté profondément ancré dans la société sud-coréenne.


Un des éléments de langage de Yoon Suk Yeol, en dévoile la cible : « Pour protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes et éliminer les éléments antiétatiques (...), je déclare la loi martiale d'urgence ». Éliminer, bigre !  Le coup d’État vise donc l'opposition démocratique de centre gauche, majoritaire au Parlement depuis les élections législatives de mars 2024. Le Président voyait, depuis, son action profondément remise en cause. Pris dans un scandale impliquant son épouse, qui a éclaté en septembre 2024, le président Yoon avait opposé son veto à un projet de loi spécial nommant le procureur chargé d'enquêter sur les allégations de corruption liées à lui-même et à son épouse Kim Keon-hee. 


En début novembre, plus de 3.000 professeurs et chercheurs de diverses universités ont signé une déclaration demandant à Yoon de démissionner. Le 28 novembre, 1.466 prêtres catholiques sud-coréens ont demandé sa destitution de Yoon. Nous savons que l’Église catholique sud-coréenne joue un rôle de soutien, avec courage, aux forces démocratiques depuis les années 1960. Ces ecclésiastiques ont publié cette déclaration intitulée « Comment une personne peut-elle agir ainsi ? » et ont affirmé que le Président ne représente que des « intérêts privés » et que, de fait, « il a remis à sa femme l'autorité que lui a confiée le peuple ».


Dans la soirée, des manifestants tentent de pénétrer à l'intérieur du Parlement. Photo Lee Jin-man / AP


Cette tentative de coup d’État vise donc à tuer dans l’œuf la révolte démocratique en cours. Ce soir, toutes les activités politiques ont été interdites et le Parlement a été placé sous scellés, rapporte l'agence de presse Yonhap, alors que des images en direct, diffusées par les chaînes de télévision, ont montré des hélicoptères atterrir sur le toit de l'Assemblée. Le Parlement, toutefois, a voté à l'unanimité le rejet de la loi martiale et des manifestants sont en train d'affluer vers le bâtiment au centre de Séoul.


Au petit matin, des manifestants célèbrent le vote des députés qui ont rejeté la loi martiale,

ainsi que le départ des soldats de l'enceinte du Parlement.


Il n'est pas sûr, cependant, que Yoon Suk-yeol ait dit son dernier mot. Réussira-t-il à museler la démocratie en exercice depuis le début des années 1980 ? Les États-Unis, dont la 8ème armée campe à Séoul, disent « suivre la situation de près ».

 

Michel Strulovici


NOTES 


1) - Voir mes Évanouissements. Chroniques des continents engloutis », Éditions du Croquant.


(2) - Le 9 mars 2022, il remporte l'élection présidentielle, devançant le candidat progressiste Lee Jae-myung d'une courte tête (48,5 % des voix contre 47,8 % pour son rival), devenant ainsi le nouveau président sud-coréen.


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