Trumpland, c'est déjà en France
- Jean-Marc Adolphe
- il y a 5 jours
- 14 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 5 jours

Une histoire de "danseurs aux pieds nus". Pourquoi se gausser de Trump-Musk, quand ici-même (en France, on veut dire) ça ne vaut guère mieux, avec censures qui commencent à se voir, et d'autres qui ne se voient pas encore. Mais aussi, dans le "journal du jour" : un volcan indonésien, les Chemises rouges en Thaïlande, le Camp Terre Libre au Brésil et les grands fleuves qui n'en peuvent plus de microplastiques, le festival Horizon vert et l'horizon brun aux Etats-Unis avec Stephen Miran, dont on n'avait pas encore pas parlé. Mais aussi, pour nourrir les neurones d'un cerveau de souris, en poésie, avec Claude Esteban.
IMAGE DU JOUR
En tête de chronique : représentation digitale de neurones dans la partie du cerveau d’une souris (Forrest Colleman / Allen Institute for Brain Science à Seattle).
Une souris qui regarde Matrix, ce n’est pas banal. On ne connaît pas son nom, mais elle a prêté son concours à la science du cerveau. Les neurones, notamment, on connaît encore très mal. Les chercheurs de l'Allen Institute for Brain Science à Seattle, au sein d’une équipe internationale de plus de 150 chercheurs, ont entraîné ladite souris, dotée d'un gène qui fait briller ses neurones lorsqu'ils sont actifs, à regarder des extraits vidéo de films de science-fiction, de sport, d'animation et de nature. Ensuite, à l’aide d’un microscope à laser, ils ont pu observer ce qui se passait dans le ciboulot de Mickey Mouse. « Nous examinons une minuscule partie du cerveau d'une souris et nous constatons la beauté et la complexité de ces neurones et des centaines de millions de connexions qui les relient. Cela inspire un sentiment d'admiration, tout comme les images de galaxies », confie Forrest Collman, l’un des chercheurs. L’énorme quantité de données collectées a été publiée hier dans la revue Nature. Elles sont désormais disponibles pour des scientifiques du monde entier. Simples curieux ? Un petit tour par ICI (en anglais).
(source : Lauran Neergaard, Associated Press)
Ephémérides

Quand gronde le mont Tambora. Malgré la destruction de Pompéi, même le Vésuve, à côté, c’est de la gnognotte. Il y a exactement 110 ans, le 10 avril 1815, sur l'île de Sumbawa, en Indonésie, le mont Tambora sortait bruyamment de la relative discrétion à laquelle il s’était tenu depuis un millier d’années. Le 10 avril, l’éruption volcanique fit au moins 117.000 personnes (y inclus les victimes des nuées ardentes, des tsunamis, de la famine et des épidémies qui ont suivi la catastrophe). Cette éruption a également eu des conséquences climatiques mondiales, provoquant "l'année sans été" en 1816 : soumises à d’épouvantables conditions météorologiques, les cultures de céréales, pommes de terre et vignes ont pourri ou gelé sur pied, entraînant des famines sévères en Europe, en Amérique du Nord et en Chine. Cette perturbation climatique a entraîné des famines en Europe, en Chine et en Amérique du Nord. En Europe, le prix du blé a doublé entre 1815 et 1817. Des émeutes de la faim ont éclaté en France, en Allemagne et au Royaume-Uni (voir ICI). Comme quoi, l’Indonésie, ce n’est pas si loin. Pour le moment, le Tambora se tient peinard, mais les scientifiques le surveillent comme le lait sur le feu.
Photo ci-dessus : le volcan Tambora sur l'île de Sumbawa vu du ciel, par la Nasa via Wikicommons.

Les Chemises rouges du Front national uni pour la démocratie et contre la dictature (UDD), le 9 avril à Bangkok,
à la veille des affrontements sanglants du 10 avril. Photo Nate Robert.
Chemises rouges. C’est une éruption d’un autre type qu’a connu la Thaïlande en 2010 : une éruption contestataire, qui a opposé les partisans du Front national uni pour la démocratie et contre la dictature (UDD), appelés chemises rouges, au gouvernement d'Abhisit Vejjajiva, soutenu par l'establishment royaliste et militaire. Les manifestations débutèrent pacifiquement à Bangkok, rassemblant principalement des ruraux pauvres et des travailleurs urbains. Le 8 avril, le gouvernement déclare l'état d'urgence. Les affrontements entre manifestants et forces armées s'intensifient. El il y a tout juste 15 ans, le 10 avril 2010, les troupes gouvernementales tentent de disperser les manifestants au pont de Phan Fah. Bilan : 24 morts et 800 blessés. Cette date, qualifiée de « samedi noir », reste inscrite dans la mémoire thaïlandaise.
La répression ne s’arrêtera pas là. : Le 19 mai, l'armée lance un assaut final contre les manifestants retranchés dans le quartier central de Bangkok. Les violences font plus de 85 morts et 2.100 blessés (les soldats tirant même sur des équipes médicales tentant de venir au secours de victimes). Plusieurs bâtiments, dont le centre commercial Central World, sont incendiés par des manifestants qui refusent de se rendre.
La Thaïlande reste aujourd’hui une monarchie constitutionnelle. Sur le papier, ont été adoptées certaines lois garantissant les droits fondamentaux. Dans les faits, les autorités thaïlandaises continuent de réprimer sévèrement la liberté d'expression. La loi sur le crime de lèse-majesté, qui criminalise toute critique envers la monarchie, est fréquemment utilisée pour poursuivre les dissidents. Entre 2020 et 2024, 272 personnes ont été inculpées dans 303 affaires liées à cette loi, avec des peines allant jusqu'à 15 ans de prison.
On comprend que la Thaïlande soit devenue une destination de choix pour les oligarques et touristes russes, notamment attirés par des conditions favorables pour l'investissement immobilier En 2025, la Thaïlande prévoit d'accueillir environ 1,9 million de touristes russes, un chiffre en constante augmentation depuis la pandémie. Les Russes représentent désormais le plus grand marché européen pour le tourisme thaïlandais. L’île de Phuket, surnommée "Little Moscow", est ainsi devenue un refuge pour les Russes fuyant les sanctions, la conscription militaire et les répercussions économiques de la guerre en Ukraine. Depuis 2022, l'île a vu une explosion des commerces adaptés aux Russes (restaurants, écoles internationales, signalisation en russe)…
En pièces détachées
A l'ouverture du Camp de la Terre Libre à Brasilia, le 7 avril 2025.
Photos Mauro Pimentel / AFP ; Fabio Rodrigues-Pozzebom /Agência Brasil ; Richard Wera Mirim / Apib
Terre Libre
« Nous sommes la réponse » et « Notre avenir n’est pas à vendre » : depuis lundi, plus de 8.000 représentants de peuples autochtones d'Amazonie et d'Océanie (îles Fidji et Australie) sont rassemblés à Brasilia dans le cadre du "Camp Terre Libre", qui a lieu pour la vingtième année consécutive. A quelques mois de la COP30 prévue en novembre 2025 à Belém, au Brésil, ces communautés réclament, comme le dit la cheffe indigène brésilienne Alana Manchineri, que leurs leaders aient « la même voix et le même pouvoir » que les chefs d'État lors des négociations climatiques. Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a récemment rencontré le chef emblématique Raoni Metuktire, et a reconnu le rôle fondamental des peuples autochtones dans la lutte contre le changement climatique. Il a toutefois évité de se prononcer sur des sujets controversés comme l'exploration pétrolière en Amazonie.
(Source : brasildefato.com)
site officiel de l'Association des Peuples Indigènes du Brésil (APIB) : www.apiboficial.org
Grands fleuves et microplastiques
Les grands fleuves ont un peu de mal à se rassembler, mais eux aussi aimeraient bien que leur voix soit entendue à la prochaineCOP30. De l’Elbe en Allemagne à l’Ebre en Espagne, en passant par la Seine ou la Tamise, « la pollution est dans tous les fleuves européens », constate Jean-François Ghiglione, directeur de recherche CNRS en écotoxicologie microbienne marine. Plusieurs études publiées simultanément dans la revue Environmental Science and Pollution Research révèlent que le niveau de microplastiques dans les eaux fluviales est pour le moins inquiétant. On y trouve de tout : fibres de textiles synthétiques issues du lavage, microparticules qui jaillissent sous les pneus des voitures ou lors du dévissage du bouchon d’une bouteille d’eau, ou encore les granules vierges de l’industrie du plastique.
On est loin des 40 microplastiques par m3 détectés dans les 10 fleuves les plus pollués du monde (Fleuve Jaune, Yang Tse, Mékong, Gange, Nil, Niger, Hindus, Amour, Perle, Hai He) qui irriguent les pays où est fabriqué le plus de plastique ou qui traitent le plus de déchets. Une des études a identifié une bactérie virulente sur un microplastique dans la Loire, capable de déclencher des infections chez l’Homme. Dans le Rhône, le débit affiche une moyenne de 3.000 particules plastiques à chaque seconde. On n'atteint pas encore les »records » enregistrés dans les dix fleuves les plus pollués du monde (Fleuve Jaune, Yang Tse, Mékong, Gange, Nil, Niger, Hindus, Amour, Perle, Hai He) qui irriguent les pays où est fabriqué le plus de plastique ou qui traitent le plus de déchets, mais ce n’est pas une raison pour rester les bras ballants. Au fait, c’est quand qu’on se baigne dans la Seine ?
Simplifions, simplifions…
L’Assemblée nationale poursuit, ce 10 avril, la discussion du projet de loi, déjà adopté par le Sénat, de simplification de la vie économique. C’est bien beau, de « simplifier », sauf que, comme l’écrivait avant-hier Reporterre, « ce texte est surtout l'occasion de faire disparaître les récentes avancées en matière de lutte contre le changement climatique et de préservation de la biodiversité : les zones à faibles émissions, le débat public sur les grands projets industriels, la protection des espèces protégées pour les projets d'infrastructures », etc. Bref, DÉ-RÉ-GULER. Sans DOGE, mais tout comme Trump-Musk aux États-Unis.

La scène du vêlage, avec Maïwène Barthelemy, dans "Vingt dieux", film de Louise Courvoisier.
Horizon vert
Pour rappel, les humanités sont partenaire du festival Horizon vert, qui conjugue cinéma et écologie, en Haute-Vienne (lire ICI). Pour qui est dans les parages : ce jour à Saint-Yrieix, en partenariat avec l’épicerie l’Epicurieux il y aura dégustation de comté vers 20 h, à l’issue de la projection, au cinéma Arevi, de Vingt dieux, film de Louise Courvoisier, succès surprise de l'année 2024, avec plus de 900.000 entrées en France et deux Césars en 2025 (meilleur premier film pour Louise Courvoisier et meilleure révélation féminine pour Maïwène Barthelemy, qui joue le rôle d'une jeune agricultrice). Dans cette "épopée sentimentale et fromagère", Totone, 18 ans, passe le plus clair de son temps à boire des bières et écumer les bals du Jura avec sa bande de potes. Mais la réalité le rattrape : il doit s’occuper de sa petite sœur de 7 ans et trouver un moyen de gagner sa vie. Il se met alors en tête de fabriquer le meilleur comté de la région, celui avec lequel il remporterait la médaille d’or du concours agricole et 30.000 euros.
Contrairement au roquefort et au Brie, les producteurs de comté ne sont pas trop inquiets des lubies douanières de Donald Trump : l'exportation de comté vers les Etats-Unis reste assez marginale (quand même 409 tonnes en 2006, soit un quart de l'ensemble des fromages AOC français. Il n'y a plus qu'à aller conquérir les Russo-thaïlandais, et/ou les Chinois, assez peu consommateurs de fromages, mais ça bouge : le marché chinois montre en effet un intérêt croissant pour les fromages étrangers, y compris les produits français...)

Stephen Miran, architecte de la guerre commerciale de Trump. Photo Reuters
Trumpland, là-bas et ici-même
On ne sait pas si lui-même s'y retrouve, entre deux parties de golf, mais pour notre part, on avoue avoir un peu de mal à suivre Donald Trump. Un jour, il sort le bazooka douanier; le lendemain il dit "attendez, c'était juste un poisson d'avril", tout en ajoutant : "je me donne quand même trois mois pour réfléchir" (en supposant qu'il soit capable de réfléchir). Cette incontinence présidentielle, à jet presque continu, cache en fait quelques dissensions parmi la bande de zozos qui entourent le président de la "plus grande puissance mondiale". On le sait, puisque ça fuite (en partie). Le kétaminé Elon Musk, l'une des oreilles droites de Trump, balance un texto où il traite de "crétin" le conseiller économique du Grand Vizir, un certain Peter Navarro, alias Ron Vara (un peu comme si Darmanin qualifiait publiquement Bayrou, dans un tweet, de "pédophile"). Bref dans l'entourage de Trump, il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre, et c'est comme au catch, c'est le plus fort qui va gagner. Mais dans le catch, c'est truqué, et là, Trump arrive à peine à arbitrer.
Parce que arbitrer, il faut bien. Trump a deux conseillers économiques, un pour les jours pairs, et l'autre pour les jours impairs (plus un troisième, dont on ignore le nom, pour les jours de pleine lune). Pendant que tout le monde se gausse du premier, le déjà cité Peter Navarro, qui a arrêté ses cours d'économie en maternelle mais qui fait la leçon dans des livres où il cite à tour de bras un fameux économiste qui n'a jamais existé (Ron Vara, pseudo de Navarro, vous suivez ?), on parle bien moins de Stephen Miran, nommé à la tête du prestigieux conseil des conseillers économiques (CEA) de la Maison-Blanche. Diplômé de Harvard, il a la tête de quelqu'un avec qui on n'aurait pas forcément envie de passer des vacances. Oublions les vacances : ce type est un véritable danger public, digne héritier des "Chicago boys" qui contribuèrent à l'instauration de la dictature de Pinocchet au Chili. Pour aller plus loin, on conseille confraternellement la lecture de l'article (en accès libre) que vient de lui consacrer Grand continent : ICI.
Mais Trumpland, ce n'est pas que là-bas. C'est déjà ici-même, par petites touches. Alors que le Parlement a définitivement adopté, ce mardi 8 avril, un texte qui vise à durcir les restrictions au droit du sol à Mayotte, la détourneuse de fonds publics, Marine Le Pen et sa bande de nationalement rassemblés exigent déjà que cette remise en cause du droit du seul s'étende bien au-delà de Mayotte, Laurent Wauquiez, putatif candidat à la prochaine élection présidentielle (rappelons, pour qui l'ignorerait, que "putatif" est un adjectif poli), veut construire un bagne pour métèques à Saint-Pierre-et-Miquelon : pourtant il reste encore de la place dans le camp de concentration salvadorien que Trump a choisi pour déporté de (supposés) méchants Latinos, sans recours ni retour possibles.
Et la liberté d'expression ? A Trumpland, on sait ce qu'il peut désormais en coûter d'utiliser un mot de travers. Shoshana Chatfield en quelque chose. Cette dame, avec le grade de vice-amiral, était la représentante américaine à l’Otan. Elle vient d'être limogée avec pertes et fracas. Son crime ? Avoir déclaré il y a dix ans, en 2015, lors la Journée de l’égalité des femmes : « notre diversité est notre force ». Pete Hegseth, a présent secrétaire américain à la Défense, avait qualifié cela de « phrase la plus stupide » de l’histoire militaire. Conséquence : Shoshana Chatfield a été jugée « inapte à diriger».

Christoiphe Guilloteau, Président (LR) du département du Rhône : « J’en ai assez de ces associations de danseurs aux pieds nus ».
Photo Maxime Jegat, "Le Progrès".
On n'en pas encore là ? Voire. A Soissons, le maire (divers droite) Alain Crémont a interdit au dernier moment, lundi dernier, une réunion publique de "l'éco-aventurier" Benjamin Cattiau (qui a réalisé 48 marathons en 48 jours pour sensibiliser à la préservation de l'eau douce). Objet du délit : l'événement était soutenu par l'association Soissonnais en transition et le collectif Stop Rockwool, qui lutte contre le projet d'implantation d'une usine de laine de roche. Dans le Rhône, le président (LR) du Conseil départemental, Christophe Guilloteau (un grand copain de Wauquiez) vient de supprimer derechef les subventions à trois associations dont le caractère "écoterroriste" ne fait guère de doute : Anthropologia, France Nature Environnement, et... la Ligue de Protection des Oiseaux. Il faut dire que ces trois sulfureuses officines ont commis un sacré crime de lèse-majesté : elles ont, tenez-vous bien, « exprimé leur inquiétude sur l'impact d'un projet de construction fluviale sur un plan d'eau ». Il n'en fallait pas plus pour que le Guilloteau prenne la mouche : « J’en ai assez de ces associations de danseurs aux pieds nus, qui viennent nous expliquer ce que nous, élus, devons faire sur nos territoires ». N'ayant pas de psychanalyste sous la main, on ignore la nature du grief que Christophe Guilloteau semble avoir contre les « danseurs aux pieds nus ». Mais comme le ridicule ne tue pas, aux dernières nouvelles, Christophe Guilloteau est toujours vivant...
Souvent, les censures les plus insidieuses sont celles qui ne se voient pas. Enfin, pas tout de suite. Nous reproduisons ici, sans autre forme de commentaire, ce "témoignage" qu'a posté avant-hier sur sa page Facebook Stéphane Jacob, professeur en Pratiques scéniques et pratiques textuelles au Lycée René Josué Valin, à La Rochelle :
« Après l’annonce du gel du Pass Culture, qui nous avait déjà abasourdis, il semble que ce ne soit pas fini. Aujourd’hui, je ressens juste une immense fatigue, une immense lassitude, même la colère reste dans ma gorge, elle a du mal à sortir, alors qu’elle devrait être là.
J’apprends hier que la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) cesse tout financement des options artistiques en lycée. Cette décision, conjuguée à la baisse globale par les régions des moyens dont disposent les lycées, signe quasiment la fin de ces enseignements. Ceux-ci reposent en effet sur le travail conjoint d’un enseignant et d’un artiste. Si cet accompagnement commun disparaît, cela signifie que l’on délègue à des enseignants, dont ce n’est pas le métier, la tâche de construire des projets artistiques, seuls à former les élèves à l’art théâtral. Cela veut dire que l’on abandonne le lien essentiel avec la création artistique, que seuls les artistes professionnels peuvent partager avec les élèves. A terme, il sera également impossible de justifier le maintien des enseignants sur ces pratiques, puisque seule la maîtrise des savoirs fondamentaux et « importants » semble compter pour les comptables. Personne n’aurait l’idée de supprimer des cours de mathématiques ou d’informatique, n’est-ce pas?
Depuis des années, grâce en particulier au beau travail de transmission de Martine Fontanille, Camille Geoffroy, plus récemment de Barbara, dans mon lycée, des centaines d’élèves se sont éveillés à la culture, à l’art, ont été heureux grâce à cela. Très peu sont devenus comédiens ou comédiennes, mais à n’en pas douter, dans ce qu’ils/elles font aujourd’hui (métiers médico-sociaux, enseignement, communication, commerce, droit, urbanisme, pour n’en citer que quelques-uns) ils se souviennent certainement de la manière dont la pratique artistique les a aidé.e.s à se construire, à accepter la différence, l’autre, leur propre étrangeté. Ils/elles sont allé.e.s à la rencontre d’eux-mêmes et des autres, avec une confiance que seule la pratique artistique permet de pousser aussi loin. Comme nous en avons vécu des moments de grâce, de pure connexion humaine, de légèreté et de profondeur mêlées! Tous ces élèves ont osé être et faire ce qu’ils n’avaient jamais osé faire, protégés par la scène, par cet espace des possibles, où, croyez moi, émerge tant de beauté, d’émotion, de poésie, d’intelligence, et de solidarité humaine. Comment peut-on vouloir mettre fin à cela ???
En France, on n’a pas de DOGE (Département de l’efficience gouvernementale), on n’a pas Elon Musk, mais à l’Education et à la culture, on a Elisabeth Borne et Rachida Dati qui font très bien le boulot de massacre de nos institutions éducatives et culturelles. Quand va-t-on se réveiller ?!!! »
Poème du jour
Avec Claude Esteban
Claude Esteban, de gauche à droite : couverture de "Morceaux de ciel, presque rien" (Gallimard, 2001) ;
portrait (photo DR) ; couverture de "Par-delà les figures" (L'Atelier contemporain, 2024)
Quand tout va de travers, reste la poésie. Sans doute ne sauve-t-elle de rien en particulier, mais elle sauve quand même. Peut-être même aurait-elle faculté à réparer ?
Pour aujourd'hui, se souvenir de l'immense poète et traducteur qu'a été Claude Esteban parti sans laisser d'adresse (autre que toutes celles contenues dans ses opoèmes) il y a dix-neuf ans, le 10 avril 2006. On va pas faire de bio, yaka regarder sur la Toile. Juste dire que Claude Esteban avait pour souci (était-ce vraiment un souci ?) de rassembler l'épars et de chercher un lieu qui puisse être hors de tout lieu, à l'écoute des Veilleurs aux confins (Fata Mirgana, 1978). Rejoindre, quand même, le site de Jean-Michel Maulpoix, pour yrtrouver le très bel entretien de Claude Esteban (avec Laure Helms et Benoît Conort, paru en juin 2004 dans le numéro 71 de la revue Le Nouveau recueil, aux éditions Champ vallon : ICI. Avec poèmes à suivre, issus de Morceaux de ciel, presque rien ; Sur la dernière lande et de Le jour à peine écrit.
Toi
qui marches, qui ne veux pas voir
descends, descends toujours jusqu'aux royaumes
de l'infertile
là tout un peuple bouge, ombres
des pères que les fils bafouent, reines
qui dansent dans leur délire et loin,
très loin sur une falaise
un homme qui regarde la mer et qui murmure,
montagnes de l'écume, rendez-la-moi.»
(poème extrait de Morceaux de ciel, presque rien, Gallimard, 2001)
***
Que tout soit léger, qu'il y ait à peine
un peu de vent
et qu'il nous emporte comme ces pollens
que les arbres perdent
que nos âmes
se dispersent dans l'espace
et qu'un jour quelqu'un sache
que nous avons vécu
en respirant une fleur quelconque.
(poème extrait de Sur la dernière lande, Fourbis, 1996)
***
Et je m'arrête, maintenant.
Qu'on me comprenne, qu'on m'accorde
que je n'ai pas su
dire ici, avec des mots
que j'ai perdus,
des mots, sans doute, que je n'ai pas connus,
la mort violente.
Chaque mort
est terrible, mais celle-là
tombe sur nous comme un soleil qui
sombrerait
et qui ferait que nous soyons
sans une image, sans un geste, même
absurde,
pour y répondre.
(poème extrait de Le jour à peine écrit (1967-1992), Élégie de la mort violente, 1989, Gallimard, 2006)
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