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3 millions de Français exclus des droits fondamentaux

Photo du rédacteur: La rédactionLa rédaction

La juriste Sabrina Cajoly, fondatrice de Kimbé Rèd – French West Indies, une association de promotion des droits,

lors de son audition à l'Assemblée nationale, le 19 février 2024.  Photo Thomas Chevaleyrias.


En France, tous les travailleurs ont droit à la dignité dans le travail. Tous ? Non : à l'exception des territoires d'outre-mer. Ce "droit à la dignité dans le travail" figure, avec bien d'autres points (accès à l’éducation, au logement, à la protection sociale…) dans la Charte sociale européenne, qui garantit des droits fondamentaux. La France a signé ce texte dans les années 1960, en choisissant de ne l’appliquer que sur le territoire métropolitain. En sont donc exclus 3 millions de Français qui ont le tort de ne pas vivre dans l'Hexagone. Depuis les années 1960, rien n’a changé. La Commission nationale consultative des droits de l’homme dénonce une "clause coloniale".


« C’est un traité international comme tant d’autres », écrit Jeanne Péru-Gelly dans un article pour le portail des outre-mer (sur France info), que nous reproduisons ici.


Rédigée au début des années 1960, la Charte sociale européenne garantit des droits fondamentaux allant de la santé au logement en passant par l’éducation, l’emploi ou la protection sociale. Mais ce traité à une particularité : en le signant, la France a exclu ses Outre-mer de son application. Pour étendre la portée de la Charte aux territoires ultramarins, le gouvernement français n’aurait qu’à envoyer une lettre au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe. Il ne l’a jamais fait. D’autres pays européens qui possèdent aussi des territoires ultrapériphériques ont fait un choix différent. C’est par exemple le cas des Pays-Bas : la Charte ne s’applique pas dans la partie française de Saint-Martin, mais s’applique dans la zone néerlandaise de l’île, Sint Maarten.


Inclure les Outre-mer dans le champ d’application de la Charte, c’est le combat de Sabrina Cajoly. "On parle de la reconnaissance de droits humains. On parle de trois millions de personnes", s’indigne cette juriste, fondatrice de Kimbé Rèd – French West Indies, une association de promotion des droits. Ce mercredi 19 février, elle était auditionnée par la Délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale, qui s’est saisie du sujet. "C’est une question d’égalité des droits entre les territoires, c’est aussi une question réputationnelle pour la patrie des droits de l’homme", avance la juriste.


Sabrina Cajoly ne mène pas seule son combat. En septembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’est positionnée pour l’application de la Charte aux Outre-mer. Dans sa déclaration, la CNCDH qualifie la situation d"inacceptable" et parle même de "clause coloniale". "Ces clauses [qui permettent de ne pas appliquer un texte sur une partie du territoire, ndlr] sont connues sous le nom de clauses coloniales et leur but était de restreindre l’application d’un traité aux territoires non métropolitains pour qu’ils soient régis par un régime spécifique, précise Michel Tabbal, conseiller juridique en charge des questions internationales et européennes à la CNCDH. Ce sont des clauses qui n’existent plus de nos jours, surtout dans les domaines des droits humains." (ci-dessous en PDF)



"On est en 2025, il devrait être écrit noir sur blanc que ces populations jouissent des mêmes droits que des populations dans l’Hexagone." Sabrina Cajoly, fondatrice de Kimbé Rèd – French West Indies

Si l’exclusion des Outre-mer ne fait plus sens aujourd’hui, il y avait une certaine logique à ne pas les inclure au moment de la signature de la Charte. "On n’a pas d’explication officielle, reconnait Ismaël Omarjee, docteur en droit et professeur à l’université de Nanterre. Ce qu’on peut imaginer, c’est que le droit social d’Outre-mer a toujours été un droit différencié. Les prestations sociales n’étaient pas les mêmes, le SMIC n’était pas le même… Je pense que c’est une des raisons qui expliquent que la France n’a pas inclus les Outre-mer dans cette Charte." Reste que ce n’est plus le cas et que, depuis, la France n’a jamais revu sa copie, y compris lors de la révision de la Charte, dans les années 1990. "Une occasion manquée" selon Ismaël Omarjee, qui considère "qu’il n’y a aucune raison d’exclure les Outre-mer".


En mars 2024, l’association Kimbé Rèd – French West Indies, la Fédération internationale des droits humains (FIDH) et la Ligue des droits de l’Homme (LDH) ont déposé une réclamation collective contre la France devant le Comité européen des droits sociaux, l’organe chargé de la bonne application de la Charte. On saura en mars si le Comité accepte d’examiner la requête (qui concerne à la fois les problèmes d’accès à l’eau en Guadeloupe et l’empoisonnement au chlordécone aux Antilles) et donc s’il considère que la Charte peut s’appliquer aux Outre-mer.


Si la Charte finissait par s’appliquer aux Outre-mer, quelles seraient les conséquences concrètes pour les Ultramarins ? "Il ne faut pas non plus se faire beaucoup d’illusion sur la Charte, parce que même si le Comité européen des droits sociaux est un organe de contrôle très actif, il n’y a pas de sanctions attachées au non-respect de la Charte", nuance Ismaël Omarjee. Même sans pouvoir de sanction, le Comité peut influer sur les actions des États soucieux de leur image à l’international. "Il n’y a pas de sanctions mais, souvent, les États n’aiment pas être montrés du doigts", résume Ismaël Omarjee. La France passe parfois outre : malgré des condamnations liées au statut des Roms, elle n’a jamais changé sa politique. Que la Charte ne puisse pas révolutionner l’accès des Ultramarins à leurs droits n’est au fond pas la question selon le président de la délégation aux Outre-mer à l’Assemblée nationale, Davy Rimane : "La véritable question c’est : aux yeux du système est ce que les droits des Ultramarins sont de même niveau que les droits dans l’Hexagone ? Je pense que tout le monde à la réponse".

 

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