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17 mai : Tbilissi ne faiblit pas

Dernière mise à jour : 21 juin



Le temps d'une demi-journée, les médias français (et encore pas tous) ont bien voulu s'intéresser à la Géorgie, essentiellement pour dire que le Parlement avait fini par voter la très controversée "loi sur les agents de l'étranger", avant... de retourner vaquer à d'autres occupations, laissant en berne le désir d'Europe de la jeune géorgienne, Europe pour laquelle nous sommes bientôt cessés voter ! Pourtant, à Tbilissi et pas seulement, la mobilisation ne faiblit pas. Parce qu'une loi qui ne passe pas (qui reste au travers de la gorge), ça... ne passe pas, tout simplement. Avec les très faibles moyens du bord, et notre hélas bénévole jeune correspondante à Tbilissi, les humanités restent en veille.


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Au 38ème jour de mobilisation contre la "loi sur les agents de l'étranger", alias "loi russe", adoptée par le Parlement le 15 mai dernier, la Géorgie qui rêve d'Europe et de démocratie ne baisse pas les bras. Hier encore, 16 mai, de nombreux manifestants se sont rassemblés devant le Parlement.


Hier à Tbilissi...


Contre un pouvoir sourd au désir de la jeunesse (et pas seulement), la population fait chœur, et cœur :

Le 16 mai 2024 à Tbilissi. Photo Ezza Gaber



D'un côté, il y a la noirceur, de l'autre la couleur, et il se pourrait bien que les couleurs fassent reculer la noirceur :

La situation en vrai...

... et sa traduction graphique

Parmi les événements d'hier :


  • Défections au sein de la chaîne de télévision pro-gouvernementale : la présentatrice d'une émission matinale, Ana Amilakhvari, a été remerciée pour s'être simplement émue face à la brutalité de la violence policière. D'autres employés de la chaîne auraient vu leur collaboration "interrompue" pour des faits similaires. En revanche, c'est de son propre chef que la célèbre chanteuse et pianiste Irma Sokhadze a décidé d'arrêter l'émission qu'elle produisait sur la même chaîne. « Je ne peux pas continuer à animer une émission de divertissement en ce moment », a-t-elle sobrement commenté.


  • Des milliers de manifestants ont bloqué la place des Héros, un important carrefour du centre de Tbilissi. Les ministres des affaires étrangères de l'Estonie, de la Lituanie et de l'Islande se sont joints à une marche d'étudiants le long de l'avenue Rustaveli depuis la place des Héros. Le vice-président du Conseil de la Fédération de Russie, Konstant Kosachev, a écrit sur Telegram que la participation des ministres des Affaires étrangères de Lituanie, d'Estonie et d'Islande à "une manifestation illégale et violente" contre la loi géorgienne sur les agents étrangers constituait une ingérence dans les affaires de la Géorgie. Il Kosachev a comparé leur présence à celle de l'ancienne secrétaire d'État adjointe américaine Victoria Nuland lors des manifestations de Maïdan en Ukraine.


  • La valeur des actions de Bank of Georgia et de TBC, les deux plus grandes banques géorgiennes, a chuté respectivement de 12 % et de 15 % à la Bourse de Londres le lendemain de l'adoption de la "loi sur les agents étrangers".


  • Le festival annuel de musique électronique 4GB, qui devait se tenir du 23 au 25 mai, s'est pareillement sabordé. Les organisateurs ont déclaré qu'il était « injustifié » d'organiser un festival compte tenu de « la situation dans le pays. (...) Nous soutenons tous ceux qui luttent pour l'avenir européen de la Géorgie », ont-ils ajouté.


  • Lazare Grigoriadis, 22 ans, jeune militant du parti d’opposition proeuropéen Droa a été libéré après avoir été arrêté sans aucun motif valable, avec d'autres, choisi au hasard. « Ils nous ont frappés, battus, insultés, et ils nous filmaient en même temps », a-t-il raconté au média indépendant Open Caucasus. L'an passé, arrêté lors d'une manifestation contre ce même projet de "loi russe", il avait passé plus d'un an en prison, condamné pour "hooliganisme mineur". Comme l'avait écrit Le Monde du 24 décembre 2023, le jeune homme était alors « devenu le visage d’une jeunesse géorgienne perçue comme une menace par le parti prorusse majoritaire au gouvernement, Rêve géorgien ». Dans une interview à la télévision, le premier ministre, Irakli Garibachvili, avait qualifié les jeunes ayant participé aux manifestations de « satanistes ». Cette rengaine est aujourd'hui reprise par les plus zélés propagandistes du Kremlin. Tandis que le présentateur-aboyeur de la première chaîne de télévision russe, Vladimir Soloviev, promet les feux de l'enfer aux Russes qui ont émigré en Géorgie et se joignent aux manifestants, l'idéologue d'extrême-droite Alexandre Douguine a félicité le gouvernement géorgien qui « se rend compte que rompre les liens avec la Russie et introduire des technologies occidentales libérales (...) mèneront le pays à l’effondrement », tout comme « légaliser le mariage homosexuel ».


A gauche : l'oligarque géorgien Bidzina Ivanishvili et son épouse, Ekaterina Khvedelidze (Photo Gorgy Kakulia).

A droite : l'idéologue russe d'extrême-droite Alexandre Douguine (Photo DR).


En ce 17 mai, tout comme la Russie, la Géorgie ne se joint d'ailleurs pas à la Journée mondiale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie. En lieu et place, l'Église orthodoxe commémore depuis 2014 la "Journée de la pureté familiale", décrétée jour férié... Fin mars, le parti au pouvoir, Rêve géorgien a annoncé de vastes révisions constitutionnelles visant à interdire la transition de genre et ce qu'il appelle la "propagande LGBT", notamment en interdisant les manifestations publiques ou les publications qui "popularisent la famille ou les relations intimes entre personnes de même sexe". Critiquant à ce sujet l'Union européenne, « nous ne pouvons pas laisser une telle mentalité dépravée s'installer dans notre pays », a réitéré ce 17 mai 2024 Shio Mujiri, numéro deux de l'Église orthodoxe géorgienne et... proche ami d'Alexandre Douguine.

En Géorgie, des prêtres orthodoxes célèbrent la journée de la pureté familiale le 17 mai 2023, le même jour que

la Journée internationale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie. Photo : Mariam Nikuradze/OC Media.


Il en faudra plus pour décourager les manifestants qui continuent de protester chaque jour contre la "loi russe". Hier, à l'appel de Dafioni, un groupe d'activistes, des "mères avec leurs enfants" se sont rassemblées à 16 h sur la place de la Première République de Tbilissi, avant de marcher jusqu'au parlement. Les étudiants en grève pour leur part annoncé qu'ils organiseraient des manifestations quotidiennes dans la première moitié de la journée à partir du samedi 18 mai.


A Gori, le souvenir des bombardements russes.


Manifestation à Gori, le 8 mai 2024. Photo Mariam Nikuradze


En début de semaine, on a aussi manifesté à Gori, ville industrielle de 50.000 habitants au centre de la Géorgie, à une heure de route à l'ouest de Tbilissi à environ 10 km de l'Ossétie du Sud (Gori, où est né un certain... Joseph Staline). Il faut dire qu'à Gori, on ne garde pas un très bon souvenir des Russes. En août 2008, lors de la guerre russo-géorgienne (également connue sous le nom de seconde guerre d'Ossétie du Sud), l'aviation russe a bombardé la ville plusieurs reprises, faisant de nombreuses victimes, avant que les milices sud-ossètes, alliées aux forces russes, ne "finissent le travail". Human Rights Watch et l'ONG russe Memorial (depuis interdite par le Kremlin) avaient alors parlé de véritables "pogroms".



Manifestation à Gori, le 8 mai 2024. Photo Mariam Nikuradze


A Gori, pour de nombreux manifestants, la lutte contre la "loi sur les agents étrangers" s'inscrivait dans le cadre d'une lutte plus large contre l'impérialisme russe, écrit Mariam Nikuradze, co-rédactrice en chef d'Open Caucasus. Ana Trapaidze, l'une des organisatrices de la manifestation, souligne que la "loi russe" ne vise pas la transparence, comme le prétend le gouvernement. Elle attire l'attention sur les amendements au code des impôts récemment adoptés concernant la propriété dans les zones offshores. « Vous pouvez transférer vos actifs de l'étranger vers la Géorgie sans que personne ne pose de questions », ajoute-t-elle. « Et pendant ce temps-là, ils voudraient que nous désignions à la vindicte des militants des droits de l'homme et que nous les désignions comme "agents de l'étranger". On est déjà passés par là, on ne reviendra pas là-dessus ! »


La rédaction des humanités, avec Alyssa G., correspondante à Tbilissi.


Tbilissi, mai 2024. PORTFOLIO DIMA ZVEREV














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