En Géorgie, Vladimir Poutine vient encore de remporter une élection, avec les ingrédients habituels : manipulations, fraudes, etc. A Tbilissi, l'opposition pro-européenne conteste le "résultat" de ce véritable hold-up électoral. Mais selon le journaliste d'investigation Christo Grozev, le Kremlin a d'ores et déjà prévu la suite du scénario...
Tbilissi. Les bureaux de note venaient à peine de fermer que Rêve géorgien, le parti au pouvoir du milliardaire pro-russe Bidzina Ivanichvili, proclamait déjà sa victoire, avec 53 % des voix ; une victoire aussitôt contestée par l’opposition, dénonçant « une élection volée ». Les élections législatives en Géorgie, ce samedi 26 octobre, ont hélas confirmé les craintes que nourrissaient de nombreux observateurs. De nombreux cas de fraude (bourrage d’urnes), de violations du secret de vote, de soupçons de manipulation des votes électroniques, et de violences à l’encontre d’observateurs indépendants, confirmés par des journalistes d’un média indépendant, Open Caucasus, ont émaillé la tenue du scrutin. Dans certaines régions rurales et/ou à fortes minorités ethniques, le score de Rêve Géorgien dépasserait les 90 % de suffrages exprimés : ces mêmes régions où a pu être observée une "stratégie" d’achat de votes, selon une manne pudiquement qualifiée de "ressource administrative"…
L’opposante Tina Bokuchava a accusé les « voyous » de Rêve géorgien de « s’accrocher au pouvoir » : « Ils bourrent les urnes, brutalisent les électeurs et frappent les observateurs ». Plusieurs ONG et organisations de la société civile, dont Transparency International, Georgia's Reforms Associates, la Civil Society Foundation, et bien d'autres, regroupées sous la bannière WeVote,qui avaient envoyé 2.000 observateurs dans les bureaux de vote du pays, ont accusé le gouvernement d'avoir mis en place « un système complexe de fraude électorale » ont demandé l'annulation du scrutin. Les résultats définitifs devraient être entérinés ce lundi par une commission électorale, mais il est peu probable que cette commission, inféodée au parti au pouvoir, fasse preuve d’indépendance…
En mai dernier, d’importantes manifestations pro-européennes avaient occupé les rues de Tbilissi et d’autres villes du pays. Nous avions alors amplement relayé ces manifestations, qui s’opposaient à une loi sur les agents de l’étranger, dite « loi russe » (voir par exemple « Un 1er mai en direct de Tbilissi » et « A quoi rêve le "Rêve géorgien ?", par Alexander Atasuntsev). Il n’en fallait pas plus pour que Poutine n’y voie l’épouvantail d’un nouveau Maidan, cette fois-ci à la sauce géorgienne. Si la répression à l’encontre des manifestants de Tbilissi fut brutale, il n’y eut pas alors d’intervention militaire russe. Peut-être parce que le déploiement de forces en Ukraine ne permettait guère cette hypothèse ?
Poutine a donc pris son temps, mettent en œuvre d’autres moyens pour peser sur les élections en Géorgie, y compris avec l’aide de l’Azerbaïdjan, qui a mené une propagande assidue en faveur de Rêve géorgien, auprès de la communauté azérie qui vit en Géorgie (environ 6% de la population). Un journaliste d’investigation, Christo Grozev, vient de révéler dans une interview au média estonien Delfi, avoir intercepté du service de renseignement extérieur russe qui proposent des « mesures radicales » pour s'assurer que la Géorgie ne devienne pas une « nouvelle Arménie ».
Le journaliste d’investigation Christo Grozev, sur la "liste noire" du Kremlin. Photo DR
Activement recherché par la Russie (qui, pour être clair, veut sa peau), Christo Grozev est un expert des services de renseignement russes. Récompensé en 2019 par le Prix européen de la presse pour le reportage d'investigation, il est l'auteur d'enquêtes identifiant, entre autres, deux officiers supérieurs russes liés à la destruction du vol de Malaysia Airlines en 2014, des officiers du GRU impliqués dans le complot monténégrin de 2016, les trois suspects responsables de l'empoisonnement de Sergei et Yulia Skripal en 2018 et de l'empoisonnement d'Alexei Navalny en 2020.
Selon les documents interceptés par Christo Grozev, la Russie aurait non seulement "prévu" le résultat des élections en Géorgie, mais aussi le scénario qui pourrait s’ensuivre, tant il est peu probable que l’opposition et la société civile géorgiennes acceptent sans broncher le "hold-up" de Rêve Géorgien, qui prévoit notamment de modifier la constitution afin d’interdire et criminaliser les mouvements d’opposition "pro-occidentaux". En juillet dernier, Andrei Klimov, vice-président du Conseil de la Fédération de Russie, avait déjà déclaré que le Kremlin était prêt à aider Rêve géorgien à conserver le pouvoir si l'aide lui était demandée. Face aux manifestations qui sont à prévoir en Géorgie, le maire de Tbilissi et secrétaire général de Rêve géorgien, Kakha Kaladze, a menacé hier d'une « réponse très stricte » quiconque « oserait prendre des mesures contraires à la loi ».
Dans la logique autoritaire du régime géorgien inféodé au Kremlin, le choix d’une très violente répression ne fait guère de doutes. Pour en faire "passer la pilule, Christo Grozev affirme que le Kremlin prévoirait de "rétrocéder" à Tbilissi, dans le cadre d’un gouvernement confédéral, l’Ossétie du Sud et de de l'Abkhazie, deux régions qui sont actuellement sous protectorat russe : un tel plan serait, pour Christo Grozev, « un cheval de Troie qui assujettirait à jamais la Géorgie à la Russie. Ce serait la fin de la Géorgie libre telle que nous la connaissons ».
Jean-Marc Adolphe
Ne pas en rester là. En mai dernier, nous avions quasiment été les seuls à suivre et relayer les importantes manifestations pro-européennes à Tbilissi, grâce à une jeune correspondante sur place. Faute de moyens, nous avions dû interrompre cette "collaboration". Et maintenant ? Les élections qui se sont tenues hier en Géorgie ne marquent sans doute pas la fin de l'histoire. Quand d'autres médias regarderont (peut-être) ailleurs, on aimerait encore là. Mais ce "travail de veille" demande quelques moyens. Dons ou abonnements bienvenus, juste parce que les humanités, ce n'est pas pareil : ICI
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